La plateforme de streaming Paramount + vient d'arriver en France et s'il vous faut une bonne raison pour vous y abonner, c'est pour regarder la saison 1 de Mayor of Kingstown, la série co-créée par Taylor Sheridan et Hugh Dillon, avec Jeremy Renner. En dix épisodes très intenses et denses, on a là affaire à un chef d'oeuvre, noir, très noir, mais accomplissant son ambition narrative et esthétique.
A Kingstown, Michigan, les deux frères aînés McLusky, Mitch et Mike, officient comme "maires", incarnant les intermédiaires entre la population carcérale et leurs familles et partenaires à l'extérieur. Ils assurent la paix dans une ville corrompue et sous tension permanente.
Mais tout bascule à la mort de Mitch, tué par un latino qui l'a suivi pour dérober l'argent dans son coffre - de l'argent récupéré pour le compte de Milo, un malfrat slave derrière les barreaux. Mike, qui aspire pourtant à changer de vie, assume de poursuivre les affaires de son frère parce qu'il a lui-même été en prison. Sa mère s'end ésole, tout comme son autre frère, Kyle, policier, dont le femme est enceinte et qui souhaite son transfert dans une brigade plus tranquille.
Deux agents du F.B.I. lui demandent aussi de devenir leur informateur, comme le fut Mitch. Mike sert donc d'agent de liaison entre les autorités et les gangs, comptant comme ami Bunny, un dealer noir, ou Duke, un néo-nazi avec lequel il a été incarcéré, ou encore Carlos, qui ne va pas tarder à retourner à l'ombre. Quand un junkie tue, accidentellement, sa femme et son fils, Mike s'assure de l'aide de ces gangsters rivaux tandis que la police veut empêcher qu'il ait droit à un procès et arrange son meurtre par les détenus.
Mais ce "contrat" rempli, les prisonniers réclament des conditions plus dignes et les gardiens refusent. Milo, lui, pour contrôler Mike, lui envoie une prostituée, Iris, mais il la repousse. Elle le paiera chèrement. Tout contribue à un déchaînement de violences qui culminera avec une émeute dans la prison du comté et beaucoup, beaucoup de morts...
Mayor of Kingstown, dont la deuxième saison sera prochainement diffusée, a connu un coup de projecteur dramatique récemment avec le terrible accident subi par son interprète principal, Jeremy Renner, auquel il a miraculeusement survécu (écrasé par une dameuse après avoir sauvé son neveu de l'engin). L'affiche promotionnelle de la série, où on voyait Renner le visage couvert de blessures, a d'ailleurs été retirée pour qu'on ne suspecte pas la production de tirer parti de sa situation.
Mais, dans un registre plus positif, en 2021, quand Jeremy Renner a été choisi pour jouer Mike McLusky, le "maire" de Kingstown, c'était d'abord les retrouvailles de l'acteur avec le metteur en scène et scénariste qui l'avait dirigé dans l'excellent Wind River en 2017. Avant Hawkeye sur Disney +, Renner renouait avec une production à la mesure de son immense talent.
Taylor Sheridan est devenu, comme Renner, une valeur sûre à Hollywood, en créant des séries télé comme Yellowstone (avec Kevin Costner) : son écriture acérée, dense, intense, est prisée des comédiens en quête d'histoires solides et ambitieuses. Toutes choses présentes dans Mayor of Kingstown, peut-être son chef d'oeuvre.
On est saisi dès le premier épisode (de plus d'une heure) par la richesse du projet, qui embrasse un décor au réalisme terrifiant, dans une ville du Michigan, où deux frères reçoivent les doléances de taulards et de leurs familles, hors du cadre de la mairie, et en rapport étroit avec les matons et la police. La situation devient tout de suite tendue quand Mitch, l'aîné de la fratrie, meurt, tué par un voleur ayant remarqué dans la salle d'attente du bureau des McLusky une danseuse d'un strip-club et qui, l'ayant suivie jusque chez elle, a appris qu'elle avait demandé aux deux frères de récupérer le butin d'un détenu.
Le choc est d'autant plus grand pour le téléspectateur que Mitch est interprété par Kyle Chandler, un acteur connu (on l'a vu notamment dans le remake de Catch-22) et immédiatement sympathique. Que Sheridan et le co-créateur de Mayor of Kingstown, l'acteur Hugh Dillon (qui incarne le lieutenant Ian Ferguson) , sacrifient si vite une de leurs vedettes renseignent sur le caractère entier de la série : personne n'est à l'abri.
Au troisième épisode, nouveau coup de théâtre : au premier abord, il s'agit d'une chasse à l'homme, par ailleurs parfaitement orchestrée, une affaire sordide de jukie, mais qui va connaître des développements jusqu'à la fin de la saison. En effet, dégoûtés par le fait qu'il ait causé la mort d'un enfant, tout le monde - gangsters, policiers, gardiens - veut empêcher un procès et punir cet individu en le livrant aux prisonniers qui, contre la promesse de meilleurs conditions de détention, acceptent de l'exécuter dès son arrivée au péintencier.
Seul Mike McLusky devine les problèmes à venir car il sait que les détenus n'auront rien de ce qu'ils réclament - au contraire, pour leur prouver qui commande, ils seront soumis à des traitements encore plus durs. Les autorités sément donc les graines d'une émeute inévitable, d'autant plus que le directeur de la prison, péchant par naïveté, cherche à apaiser les chefs de gangs à l'intérieur des murs de son établissement alors qu'il est déjà bien trop tard et que les matons ne suivent plus ses ordres depuis longtemps.
Sheridan, qui a écrit les dix épisodes de la saison 1, tire les ficelles avec maestria. Il n'épargne pas son héros en le confrontant à son pire ennemi, Milo, un gangster slave qui sait comment le manipuler. Ainsi lui envoie-t-il d'abord une prostituée, que son adjoint Josef roue ensuite de coups pour que Mike devienne son protecteur, avant de l'enlever lorsqu'il veut la confier au programme de protection des témoins du FBI. La jeune femme est livrée à des néo-nazis, puis revendue à des blacks, son calvaire serre le coeur. Il faut avoir l'estomac bien accroché pour suivre cette série, même si, à l'arivée, on ne peut qu'applaudir devant tant de talent.
Les seconds rôles ont droit à des arcs narratifs aussi consistants : Mariam, la mère des trois frères McLusky, campée par la grande Dianne Wiest, enseigne aux femmes emprisonnées l'Histoire tout en déplorant à la fois que Mike ne rompte pas avec le milieu criminel et que Kyle, son benjamin, risque sa peau tous les jours au sein de la brigade criminelle, en assistant à la moindre occasion son frère. Kyle, joué par Taylor Handley, est l'exemple même du flic intègre mais qui semble, comme ses frangins, incapable de se détacher de cette ville corrompue et toxique : sa situation est encore plus compliquée quand sa femme lui annonce être enceinte et qu'il se demande comment ils vont pouvoir élever un enfant dans cet environnement.
Mike est un personnage complexe, attachant et limite à la fois : son passé criminel le hante et il ne semble trouver un peu de paix que dans sa cabane au fond des bois, dans une zone où son téléphone n'a pas de réseau. Il reçoit régulièrement la visite d'un ours, à qui il a la mauvaise idée, d'offrir de la nourriture, et rêve, sans y croire, à partir loin de là pour devenir cuisinier. Lorsque Iris déboule dans sa vie, il la repousse d'abord, sachant qu'elle sert Milo, puis, quand elle disparaît, après avoir été sauvagement battue par Josef, il ne pense qu'à la retrouver pour la sauver. Il n'y aura pas de romance entre deux êtres brisés par Kingstown et ses barbares, mais un espoir commun de sauver ce qui peut l'être en eux. C'est absolument bouleversant.
On retiendra aussi le personnage de Bunny, cet affable dealer afro-américain, contact privilégié de Mike avec un gang, dont on ne sait jamais s'il joue à être un ami ou avance ses pions dans l'éventualité que Mike l'abandonne. Joué par l'imposant Tobi Bamtefa, il est une figure marquante de la série, au même titre que Emma Laird dans le rôle d'Iris ou Aidan Gillen dans celui de Milo. Le casting est irréprochable, chaque acteur investit son personnage avec une humanité renversante.
Mais évidemment Jeremy Renner est le coeur battant de Mayor of Kingstown. Depuis qu'il a été révélé dans Démineurs (de Kathryn Bigelow, en 2009), c'est un acteur qui ne m'a jamais déçu et qui compte quelques belles collaborations (James Gray, Denis Villeneuve, Ben Affleck...). Son jeu électrique est fascinant, même lorsqu'il marche il semble traversé par une tension terrible, et on sent que l'homme derrière le comédien a une authenticité que peu de ses pairs possèdent. Sous la direction de Sheridan, Renner trouve un auteur qui lui donne ici un personnage hors normes, qu'il investit totalement.
Superbement filmé, notamment dans une ancienne prison au Canada, Mayor of Kingstown impressionne par sa dureté et sa subtilité mêlées. Ne ratez pas cette série !
Magnifique série belle réussite
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