lundi 27 mars 2023

DAISY JONES & THE SIX sonne faux


Daisy Jones & The Six est l'adaptation du roman du même nom de Taylor Jenkins Reid par Scott Neudstader et Michael H. Weber. Les dix épisodes ont été diffusés sur Amazon Prime ce mois-ci et imaginent le destin du "plus grand groupe du monde" de la fin des années 1960 à la fin des années 70, à l'occasion d'un documentaire revenant sur sa dissolution. Hélas ! Le résultat ne convainc guère...


A ma droite : les Dunne brothers, un groupe de rock de Pittsburgh fondé par Billy et Grahma Dunne, avec leurs amis Eddie Roundtree et Warren Rojas, avant le recrutement de la claviériste Karen Sirko. Ambitieux mais sans relations dans le milieu musical, ils gagnent los Angeles sur le conseil de Rod Reyes, un tourneur professionnel, et s'aguerrissent en se produisant dans des clubs.


A ma gauche : Margaret "Daisy" Jones, fille unique et non désirée par ses parents, poétesse depuis l'adolescence, et guitariste folk. Elle aussi quitte Pittsburgh pour tenter sa chance à Los Angeles où elle co-loue un appartement avec Simone Jackson, une choriste. Elle tape dans l'oeil de Teddy price, un producteur reconnu, mais sans vouloir faire aucun compromis sur ses compositions, ce qui la prive de meilleurs opportunités.


Price, abordé un soir par Billy Dunne, auditionne les Dunne brothers mais, malgré leur potentiel, sent qu'il leur manque quelque chose pour décoller. Il a alors l'idée de leur présenter Daisy Jones pour qu'elle améliore les paroles de leurs chansons, puis pour devenir la chanteuse du groupe aux côtés de Billy.


La cohabitation est tendue car Daisy et Billy sont deux leaders nés mais aussi aprce qu'ils partagent des addictions à la drogue et à l'alcool. Billy se reprend en suivant une cure de désintoxication après son mariage avec la photographe Camila Alvarez, qui donne naissance à leur fille. Mais lorsqu'il veut réintégrer le groupe, il se heurte à ses partenaires qui conteste son autorité et surtout aux tourneurs qui ne font pas confiance à un ex-junkie.


Teddy engage Rod Reyes pour organiser des concerts pour Daisy Jones & the Six. La sortie d'un premier single à succès les remet en selle. Ils entrent en studio pour enregistrer leur premier album, mais à la fin des sessions, Daisy part en Grêce pour se sevrer à son tour. Rejointe par Simone, qui a percé à New York en se lançant dans le disco, elle se marie, résolue à abandonner sa carrière musicale, puis revenant sur sa décision, soutenue apr son époux, un oble irlandais.


L'album du groupe fait un carton, les salles dans lesquelles il joue sont remplies. Mais des tensions entre ses membres, notamment à cause des rapports toujours troubles entre Daisy et Billy, vont finir par faire éclater la formation lors d'un concert dans un stade à Chicago...


En matière de fiction sur un groupe de rock qui connaît la gloire, une référence s'impose : il s'agit de Presque Célèbre (Almost Famous) de Cameron Crowe, sorti en 2000, inspiré par la propre expérience du cinéaste, qui fut auparavant reporter pour "Rolling Stone magazine". Tout est parfait dans ce long métrage, le plus réussi de la filmographie de Crowe, depuis le récit épique et intime à la fois jusqu'à la bande-son extraordinaire en passant par le casting.


Daisy Jones & the Six a d'abord été un roman avant d'être adapté en série pour Amazon Prime. Paru en 2018, le livre de Taylor Jenkins Reid a été un best-seller et on comprend que cette histoire ait intéressé les showrunners Scott Neustader et Michael H. Weber, qui ont convaincu James Ponsoldt (The Spectacular Now) d'en réaliser la majorité des dix épisodes.


Située dans les fantasmatiques années 1970, quand les rock-bands comme Led Zeppelin triomphaient, juste avant l'éclosion du disco et du punk, l'histoire reprend les clichés d'une époque où, comme dans Presque Célèbre, tout était démesuré : la taille des salles de concert quand il ne s'agissait pas de stades, la durée des morceaux, la folie des groupies, le mode de vie sex, drugs & rock'n'roll des musiciens. Encore aujourd'hui, cela est vu comme une sorte d'âge d'or, même si le revers de la médaille était cruel avec les excès dus à la drogue et l'alcool, les morts prématurées liées à leur consommation.


Alors pourquoi, malgré la richesse du matériau source, Daisy Jones & the Six déçoit ? D'abord et avant tout parce que la série reproduit dans sa construction même les défauts qui minent la vie de ce groupe fictif. Il est déjà compliqué de réussir un biopic sur un chanteur solo, alors un groupe entier à faire exister de manière crédible et intense...

Le titre met en vérité déjà la puce à l'oreille en soulignant la position de Daisy Jones, tandis que les Six ont l'air de simples musiciens qui l'accompagnent. Or ce n'est pas le cas, et d'ailleurs dans un premier temps, l'accent est plutôt mis sur Billy Dunne et son propre band. Un personnage d'ailleurs plus charismatique et vibrant, qui guide d'abord son frère Graham avant de prendre la tête de la formation et d'imposer ses chansons, ignorant les compositions des autres membres (en particulier celle d'Eddie Roundtree, le guitariste relégué à la basse là encore parce que Billy le décide).

Anxieux, Billy sombre rapidement dans la drogue et va envoyer le groupe dans le mur, obligeant à annuler leur première tournée, et se mettant donc à dos leur maison de disques et les tourneurs. Il manque de peu de perdre sa femme et leur fille, en n'assistant pas à l'accouchement car il part en cure de désintox. Puis, guéri, il reconquiert sa place et mène le groupe à la gloire, sans toutefois revoir sa façon de diriger.

Si la série s'était contentée de raconter l'histoire des Dunne brothers rebaptisés the Six, ç'aurait été déjà un programme ambitieux et captivant. Mais donc il y a aussi Daisy Jones. Chanteuse de folk, écorchée vive, intransigeante quand il s'agit de son art, elle ne manque ni de personnalité ni de talent, et le récit trouve un moyen assez astucieux, quoique visible à des kilomètres, de réunir les Dunne brothers et Daisy, par l'entremise de Teddy Price, leur producteur commun.

Là aussi, Daisy Jones aurait suffi à alimenter une série, sans doute plus intimiste (du fait de la nature de sa musique), moins spectaculaire. Mais parfois, souvent, le trop est l'ennemi du bien et Daisy Jones & the Six devient alors surpeuplé, trop plein pour satisfaire tout le monde. Il y a des personnages qui restent sur le bas-côté, sous-développés, mal caractérisés, réduits à l'état de cliché ou de figurants, avec des arcs tronqués ou rebattus. Dommage.

Car, si je n'ai pas lu le roman original, le talon d'Achille de cette série, c'est son manque d'originalité. Tous les poncifs sur un rock-band y sont compilés, depuis le titre de chaque épisode qui reprend celui d'une chanson célèbre (comme Rock'n'roll suicide de David Bowie ou Whatever gets you thru the night de John Lennon) jusqu'aux péripéties qui émaillent la carrière fulgurante du groupe. Certes, ne pas parler de drogues, d'alcool, d'engueulades, de mégalomanie quand ion évoque la trajectoire météorique d'une formation de musiciens, a fortiori dans les années 70, ç'eut été fermer les yeux sur une réalité incontournable. Mais il y a la manière.

Dans Presque Célèbre, Cameron Crowe, plutôt que d'adopter le point de vue des musiciens, et donc de placer sa caméra directement dans l'oeil du cyclone, choisissait comme narrateur un ado journaliste, témoin de l'ascension du rock-band, une position en recul mais suffisamment proche malgré tout pour que le spectateur assiste à l'essentiel. Dans Daisy Jones & the Six, c'est ce point de vue qui manque, le scénario va-et-vient de Billy à Daisy, s'attarde quand il y pense sur les autres membres du groupe et leur entourage, leur vie privée, et finalement ne fait que survoler tout ce qui ne concerne pas les deux vedettes, des créateurs certes habités, investis, talentueux, mais aussi férocement rivaux, égocentriques, et pour tout dire fatigants.

Pour ne rien arranger, Daisy et Billy vivent une sorte de romance, sans jamais succomber à l'attirance qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. A ce jeu, on a davantage d'indulgence pour Billy, qui aime d'un amour sincère Camila et ne veut pas abandonner leur fille, que pour Daisy, capricieuse, instable, aguicheuse et agressive. Mais bon, la vérité est que cette romance est une idée calamiteuse, qui ne fonctionne pas, qui n'est pas bien amenée, pas bien construite, qui n'est ni faite ni à faire. Il paraît (même si Taylor Jenkins Reid le nie du bout des lèvres) que cela s'inspire de ce que vivaient Lindsey Buckingham et Stevie Nicks au sein de Fleetwood Mac, mais la vie sera toujours plus forte que n'importe quelle fiction pour raconter ce genre d'amour tumultueuse.

C'est là aussi dommage car on aurait bien aimé que l'histoire nous en dise davantage par exemple sur l'autre couple du groupe, Karen Sirko (ouvertement inspirée de la claviériste Christine McVie, de Fleetwood Mac) et Graham Dunne (qui fait penser, physiquement et artistiquement, à Jimmy Page), ou à la place ingrate occupée par Eddie Roundtree (le bassiste, comparable à George Harrison chez les Beatles, occulté par le duo Lennon-McCartney). Quant au subplot concernant Simone Jackson (incarnée par l'épatante Nabiyah Be), il y avait matière à un spin-off, mais là, c'esst juste un personnage surnuméraire dans des intrigues déjà bondées.

Le casting était pourtant bon, et d'ailleurs une des chansons originales écrites pour la série a fait un vrai tabac dans les charts américains. Riley Keough et Sam Claflin chantent et jouent vraiment, et il y a une alchimie évidente entre eux à l'écran. Suki Waterhouse est également musicienne et chanteuse quand elle ne joue pas la comédie, mais son personnage est trop sous-exploité pour qu'on profite de ses talents. Quant à Sebastian Chacon (le batteur Warren Rojas), Will Harrison (Graham Dunne) et Josh Whitehouse (Eddie Roundtree), ils sont bien désoeuvrés tant leurs personnages sont peu écrits. De tous les seconds rôles, ceux qui s'imposent le plus et le mieux sont Camila Morrone (Camila Alvarez), trsè touchante ; Tom Wright (Teddy Price) et Timothy Olyphant (Rod Reyes).

La prochaine fois qu'une production sur le rock sera conduite, que les décideurs fassent appel à quelqu'un qui a connu ça plutôt que d'adapter un roman rédigé par quelqu'un qui en est resté à la légende et aux clichés.

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