vendredi 13 janvier 2023

DANGER STREET #2, de Tom King et Jorge Fornés


Deuxième dose de Tom King cette semaine, cette fois pour le deuxième numéro de Danger Street en compagnie de Jorge Fornes. Encore une fois, l'épisode compte prés de quarante pages mais la lecture est d'une remarquable fluidité, passant d'un personnage à l'autre et d'une intrigue à l'autre sans qu'on soit perdu.



Les Dingbats enterrent leur ami Good Looks, "Lady Cop" enquête pour trouver l'assassin, Sarman et Warlord se cachent dans un motel, le Creeper commence à s'interroger sur l'obsession de la Green Team pour les Outsiders, et le Haut-Père de Genesis annonce une nouvelle dramatique à Darkseid d'Apokolips...


Il y a un effet zapping dans la construction de Danger Street, et à mon avis il va s'accentuer puisque Tom King a prévenu que le casting n'était pas au complet. Le scénariste sort vraiment de sa zone de confort en animant autant de personnages, lui qui nous avait habitués à suivre un héros solitaire ou en couple.


Mais l'expérience est grisante, excitante car on se demande comment il va lier les destins de personnages aussi différents. Danger Street ratisse en effet très large, entre la bande des Dingbats de Danger Street jusqu'à Darkseid d'Apokolips en passant par Jack Ryder ou le Manhunter, sans oublier Starman et Warlord ou la Green Team.


King profite à fond du fait que la majorité de ces personnages sont inconnus ou largement méconnus à tout le moins pour que le lecteur ait le sentiment de découvrir une saga avec des héros originaux. De fait, on évolue dans ce qui ressemble à un comic-book indé où un auteur semble composer un "cadavre exquis".


Tout dépénd donc de l'ouverture d'esprit du lecteur : si vous êtes prêt à embarquer dans une histoire baroque avec des acteurs qui ne vous sont pas familiers, alors Danger Street est un objet fascinant et imprévisible. Sinon, autant passer tout de suite votre chemin et retourner lire quelque chose de plus convenu.

Quand on y songe, le défi que s'est lancé King est insensé car si, à l'origine, il a puisé son casting dans la revue 1st Issue Special du milieu des années 1970, rien ne liait les héros de ces épisodes done-in-one. Or, ce que veut faire King, c'est raconter un récit qui les rassemble, tisser un réseau entre ces créatures.

Pour l'instant, évidemment, au bout de seulement deux épisodes, la trame est encore très ajourée et on voit mal comment ils vont interagir pour la plupart. Mais le scénariste ne perd pas son temps bien qu'il dispose d'une pagination généreuse.

Ce mois-ci, on observe les conséquences du dénouement dramatique du premier épisode au cours duquel un des Dingbats a trouvé la mort dans un accident. Les responsables sont en cavale et se cachent. Les trois Dingbats enterrent leur ami et font le serment de tuer son assassin. "Lady Cop" enquête pour trouver ce dernier, ses investigations sont laborieuses et longtemps infructueuses avant de payer à la toute fin.

Une deuxième partie s'organise autour du Creeper/Jack Ryder qui présente désormais un journal télévisé pour le network de la Green Team, des gamins du même âge que les Dingbats mais dotés d'une fortune colossale et dépourvus de toute morale. Un attentat commis par le Manhunter contre des supporters de ces mioches richissimes sert de prétexte pour accabler les Outsiders (qu'on n'a pas encore vus mais qui sont présentés comme des terroristes intérieurs).

Enfin, en lien avec l'autre mort survenue dans le premier épisode (celle d'Atlas), le Haut-Père de New Genesis rend visite à Darkseid d'Apokolips pour la lui annoncer. Cela ébranle suffisamment le terrible Néo-Dieu pour qu'il enlace son égal, sous le regard médusé de Desaad.

La première partie avec les Dingbats et Lady Cop occupe une place privilégiée et légitime, considérant le choc qu'a représenté la mort de Good Looks. Tom King réussit parfaitement à saisir l'état d'esprit des gamins qui rendent hommage à leur ami de manière maladroite puis devisent sur la mort en des termes naïfs, avant de sceller un pacte terrible. La justesse du langage et des dialogues est remarquable.

Du côté de Lady Cop, King s'appuie sur le dessin de Jorge Fornes, artiste qui n'a pas peur d'assumer une narration ingrate pour montrer son enquête infructueuse, laborieuse. Les témoins qu'elle interroge et qui ne savent rien (ou sin peu) ainsi que la réaction des Dingbats quand elle vient les assurer qu'elle ne lâchera pas l'affaire bien qu'elle n'ait aucun résultat pour l'instant, tout cela passe fabuleusement dans des planches très fournies (avec une moyenne de dix cases). Fornes diversifie les visages, les physionmies des témoins, alterne les décors, et avec Dave Stewart aux couleurs montre les jours qui passent à différentes heures de façon incroyablement subtile et efficace.

Fornes a réellement franchi un palier en passant chez DC et en collaborant avec King alors qu'il ne faisait que ronger son frein chez Marvel en jouant les fill-in. KIng sait qu'il dispose avec l'espagnol d'un artiste méticuleux, veillant à chaque détail, pour établir une ambiance, construire une séquence, rendre les personnages expressifs avec nuance. Ce registre très terre-à-terre lui convient idéalement et fait tout passer avec un naturel confondant.

En vérité, le dessin très simple, épuré de Fornes permet même, grâce à ses qualités très humbles, d'accentuer les effets les plus glaçants. Un exemple : Jack Ryder téléphone )à Commodore Murphy (un des gamins de la Green Team) pour l'interroger au sujet des Outsiders sur lesquels il souhaiterait enquêter lui-même. Commodore se trouve dans un salon en compagnie de Jonathan Drew/Codename Assassin et un type ligoté à une chaise, le visage amoché et sanguinolent. Il prévient Ryder qu'un bruit va retentir en expliquant qu'il s'agit de travaux dans la pièce et en fait Codename Assassin abat à bout portant, sans silencieux, l'homme attaché, d'une balle dans la tête. La conversation reprend sans éveiller les soupçons de Ryder et fait sourire Commodore. Tout cela est mis en images sans fioritures mais on est médusé.

L'autre grand moment de stupéfaction concerne l'étreinte entre le Haut-Père et Darkseid. D'abord parce que c'est le dernier geste qu'on s'attend à voir faire par Darseid. Ensuite parce qu'il nous permet d'apprécier la gravité de l'annonce de la mort d'Atlas, un événement visiblement assez important pour déstabiliser le maître d'Apokolips (et faire taire Desaad). Là encore, King et Fornes mettent cela en scène sans tralala, les angles de vue sont très basiques, les valeurs de plans ordinaires. Mais l'effet est véritablement bouleversant.

Et c'est là qu'on prend la mesure de Danger Street : au-delà de son improbable casting, du projet fou de mêler tous ces personnages à une même intrigue, c'est dans la façon de raconter, désarmante et implacable, que l'on est fasciné, absorbé, captivé. Que le même auteur soit capable d'écrire cela et The Human Target prouve l'inspiration de Tom King et sa capacité à bien s'entourer, en s'associant au meilleur dessinateur pour chaque histoire, au plus approprié.

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