samedi 15 octobre 2022

MON INCONNUE, de Hugo Gélin


La comédie romantique avec un zeste de fantastique est un territoire quasiment vierge dans le cinéma français et rien que pour ça Mon Inconnue mérite qu'on s'y arrête : c'est presque une anomalie. Mais une brillante anomalie pour laquelle Hugo Gélin a embrassé le genre, s'est bien entouré, et a livré  un modèle du genre.


Quand il était au lycée, Rapahaël écrivait un roman de science-fiction mais refusait de le faire lire, même à son meilleur ami Félix, car il n'était jamais satisfait. Un soir, il entend une élodie provenant d'une salle et surprend Olivia qui joue au piano. C'est le coup de foudre. Les années suivantes, ils se marient et Raphaël, soutenu par Olivia, propose son manuscrit révisé à des éditeurs. Le succès est fulgurant. Pour Olivia en revanche, sa carrière de concertiste ne décolle pas et elle doit se contenter d'être professeur de pinao. Raphaël, obnibulé par sa carrière, délaisse Olivia. Après une dispute, il sort boire un verre et il est surpris par une tempête de neige.


Lorsqu'il se réveille le lendemain matin, Olivia a disparu et sa vie n'est plus la même : il n'a jamais été un romancier célèbre mais enseigne dans le lycée où il a fait sa scolarité, tandis qu'Olivia est devenue une pianiste mondialement reconnue. Qui plus est elle s'apprête à épouser Marc, son agent.


Raphaël raconte son invraisemblable histoire à Félix, qui, d'abord incrédule, accepte de l'aider à reconquérir Olivia pour récupérer sa vie d'avant. Il se fait passer pour un agent littéraire pour convaincre Olivia  d'autoriser Raphaël à écrire sa biographie. Réticente, elle se laisse convaincre par Marc qui pense que le public appréciera de connaître son parcours. Elle invite Raphaël à l'accompagner dans la maison de campagne où elle aime se retirer en week-end pour travailler. Raphaël utilise tout ce qu'il sait d'elle pour la séduire et arrive à ses fins en couchant avec elle.


Mais de retour à Paris pour un concert, non seulement Olivia estime qu'ils ont fait une erreur (même si elle regrette qu'ils ne se soient pas connus plus tôt) mais surtout elle accepte la demande en mariage de Marc. Dans une ultime tentative de changer le cours de événements, Raphaël réécrit son premier roman et va le remettre à Olivia juste avant son concert. La neige se met à tomber dehors, un signe pour Raphaël, qui entre dans la salle pour assister à la représentation.


Olivia livre une prestation bouleversante et Raphaël se remémore les meilleurs moments de leur vie de couple pour comprendre qu'il s'est mal comporté avec elle et qu'elle serait peut-être plus heureuse sans lui finalement. Il sort. Olivia est acclamée mais au lieu de rejoindre Marc en coulisses, elle quitte la salle et rattrape Raphaël dehors. Ils s'embrassent.

Le plus triste dans cette histoire tient en un chiffre : Mon Inconnue, sorti en 2019, a fini sa carrière à 550 000 entrées en France. Un score qui n'est pas déshonorant, surtout compte tenu du fait que ses acteurs ne sont pas des vedettes, mais tout de même décevant car on imagine sans mal que la même production aux Etats-Unis avec deux comédiens spécialisés dans la comédie romantique aurait atteint le double.

Mon Inconnue révèle une triste réalité, à l'image de la mésaventure vécue par son héros, qui tient au fait que la comédie romantique faite par des français ne séduit pas. Le cinéma hexagonal abonde en comédies, souvent médiocres, basées sur des formules faciles et vulgaires (des Tuche à la série Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu ? en passant par Camping). Ou en polars, complaisemment glauques (lécole Olivier Marchal). Ou en drames intimistes jusqu'à la caricature, des films d'auteurs suffisants. Mais pour le reste...

Cela entraîne un vedettariat aussi bien des acteurs que des cinéastes qui aboutit à un panorama peu attractif, soutenu par des critiques qui accablent les blockbusters américains (en particulier les films de super-héros) pour expliquer la mauvaise santé de notre 7ème Art. Un raccourci affligeant. Car des talents, il y en a ; des jeunes acteurs talentueux, il y en a ; et l'envie d'explorer d'autres genres est là. 

Mon Inconnue investit donc le champ de la comédie romantique, avec deux jeunes acteurs. Hugo Gélin lui-même est une sorte d'anomalie, mais c'est un artisan consciencieux : pour son scénario il a su s'entourer de deux partenaires et trois consultants (dont le romancier David Foenkinos), et cela rappelle quand dans les années 60 un Philippe de Broca s'entourait de plumes expertes comme Claude Sautet, Jean-Paul Rappeneau, Pascal Jardin, pour signer de vraies pépites (notamment avec Jean-Pierre Cassel - j'y ai consacré des critiques sur ce blog).

Mais depuis la comédie romantique a été abandonnée alors qu'elle reste un genre fréquemment investie par les américains, avec des acteurs qui en raffolent. Gélin puise son inspiration dans des classiques du genre : on pense à Un Jour sans Fin pour la touche de fantastique dans son intrigue qui voit un jeune romancier à succès, mais devenu un mauvais mari obnibulé par sa gloire, déplacé dans une réalité parallèle où il a tout perdu et en premier lieu, la femme qu'il aimait mais a complètement négligée.

A partir de là, le récit a le bon goût de ne jamais s'éparpiller, bien que le film dure 110 minutes. Pourtant il n'y a aucun temps mort. Gélin s'appuie principalement sur quatre personnages et ça suffit : chacun est bien caractérisé, connaît un arc narratif propre, et surtout l'histoire ne dévie jamais de son objectif, assumant les clichés propres à son genre, les embrassant.

En outre, le film est superbement réalisé, avec une photographie très soignée, qui donne du cachet à l'ensemble, une vraie production design (si souvent négligée en France). Les obstacles que doit franchir Raphaël pour reconquérir Olivia sont suffisamment ardus pour qu'on apprécie ses efforts et que le moment où il réalise que  l'échec de son couple lui revient entièrement soit crédible et émouvant. On rit aussi franchement avec le personnage de Félix, soutien du héros mais incorrigible improvisateur voulant trop bien faire et menaçant de tout planter.

Le casting est impeccable : Benjamin Lavernhe est prodigieux dans ce rôle du bon pote incrédule mais qui ne sait jamais quand s'arrêter. Avec un second rôle aussi parfaitemetn écrit, le film aurait déjà pu aller loin, mais François Civil est également excellent en jeune écrivain aveuglé par son succès puis en jeune homme qui est plongé dans un cauchemar mais ne s'y résigne pas jusqu'à prendre conscience de ses erreurs. Enfin Joséphine Japy est magnifique et il est désolant qu'une actrice aussi subtile et belle qu'elle ne soit pas plus connue (quand d'autres de sa génération n'existe que par du buzz et des récompenses indues). Oui, il y a vraiment un problème quand trois acteurs pareils sont moins populaires que Philippe Lacheau et sa bande dans leurs navets.

Alors, si vous avez envie de voir que le cinéma français est capable de bien mieux que ce que vous croyez, regardez Mon Inconnue. Et si, après ça, vous n'avez pas envie de voir plus souvent des films comme celui-ci, avec des acteurs comme ceux-là, je ne peux rien pour vous (même si je vous aime quand même...).

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