lundi 31 octobre 2022

MALCOLM & MARIE, de Sam Levinson


Disponible sur Netflix depuis Février 2021, Malcolm & Marie est le troisième long métrage de Sam Levinson, plus connu pour être showrunner de la série Euphoria. Il retrouve d'ailleurs à cette occasion Zendaya, dont il a fait une vedette dans la production HBO et lui associe John David Washington, révélé par Tenet (de Christopher Nolan) pour un drame en temps réel et en huis-clos. Le résultat est intense, un poil nombriliste, mais somptueux visuellement.


Malcolm Elliot, Cinéaste, rentre de la première de son long métrage acclamé où l'a accompagné Marie Jones, sa fiancée. Encore sur son nuage, il remarque cependant rapidement que Marie boude et lui demande pourquoi. Elle lui explique qu'il a remercié tout le monde sauf elle en présentant son film.


Voyant que cela la trouble plus que prévu, Malcolm l'écoute développer ses récriminations. Marie estime que le film s'inspirant largement de sa vie d'ancienne toxicomane, elle méritait d'être créditée. Malcolm voit les choses différemment en affirmant que son héroïne, Imani, est la synthèse de plusieurs filles avec lesquelles il est sorti auparavant. Marie insiste en affirmant qu'il n'aurait pas été capable d'écrire son scénarion sans l'avoir connue, elle, et son parcours chaotique. Malcolm trouve qu'elle sur-réagit et pense qu'en vérité elle est jalouse de Cynthia, l'actrice qui interprète Imani, alors qu'elle a renoncé à devenir comédienne par paresse.


Le ton monte. Marie considère comme un médiocre profiteur, incapable d'imaginer une histoire sans puiser dans la vie des autres. Vexé, il devient agressif et énumère ses relations passées pour prouver que la matière de son scénario provient de plusieurs sources, en soulignant qu'il a davantage sauvé Marie qu'elle ne l'a inspiré. Après avoir pris un bain, Marie sort fumer à l'extérieur de la maison. Quand elle revient, elle trouve Malcolm déchaîné car la première critique du film vient de paraître sur le Net et met en avant sa complaisance à montrer la souffrance d'une femme et le racisme systémique. Or il a tout fait pour ne pas signer une oeuvre politique et veut s'imposer comme un cinéaste dont la couleur de peau ne compterait pas.


Marie relève que la critique dit aussi que le film est un chef d'oeuvre et se moque gentiment du fait que Malcolm préfère ne retenir que les points qui le dérangent plutôt que les compliments. Il se calme et rit de son emportement. Ils commencent à s'étreindre mais Marie relance le débat et demande à Malcolm pourquoi il ne l'a pas choisie pour jouer Imani à laquelle elle affirme qu'elle aurait donné plus d'authenticité. Après s'être mutuellement accusés d'égocentrisme, Marie saisit un couteau avec lequel elle menace de se trancher la gorge, avouant qu'elle se drogue à nouveau et qu'elle couche avec les amis de Malcolm pour payer sa came. En fait, elle joue la comédie pour prouver son talent et Malcolm reconnaît, hébété, qu'il a eu peut-être tort.


Malcolm retrouve Marie dans leur chambre où, une dernière fois, elle revient sur ses remerciements et le fait qu'il l'a oubliée. Il aurait pu/dû le faire, sachant qu'ils se soutiennent l'un l'autre et que c'est bien elle qui a inspiré son film. Malcolm, bouleversé, ne peut que s'excuser et lui dire qu'il l'aime. Ils se mettent au lit, sans un mot.


Au matin, Malcolm se réveille. Marie n'est plus à ses côtés. Il se lève et la cherche dans la maison. Il en sort et la rejoint dehors, sans savoir si leur couple aura résisté à cette nuit agitée.

La semaine dernière, j'écrivais une critique du film Tromperie de Arnaud Desplechin en soulignant sa théâtralité qui, paradoxalement, en faisait un long métrage très vivant, très fort, porté par ses acteurs (son actrice principale surtout). Sans l'avoir prémédité, c'est à peu près le même constat qui s'impose avec Malcolm & Marie.

Fils du cinéaste Barry Levinson (Rain Man), Sam Levinson s'est fait remarquer pour son brûlot Assassination Nation, son deuxième long métrage un peu trop artificiel pour être honnête, puis en qualité de showrunner pour la série Euphoria (dont je n'ai toujours pas eu le temps de voir la saison 2). Cette production HBO a révélé une quantité incroyable de jeunes actrices, qui, pour certaines, semblent promises à de belles carrières, comme Sydney Sweeney (future nouvelle Barbarella au cinéma).

Mais la vraie révélation d'Euphoria reste Zendaya Coleman, dont le rôle de Jules lui a valu deux Emmy Awards, une prouesse car elle reste la plus jeune récipiendaire du trophée. Egérie de grandes marques, récupérée par le MCU (elle joue MJ, la fiancée de Spider-Man), traquée par les tabloids pour son couple (qu'elle forme avec Tom Holland, alias Spidey), la jeune actrice en impose par son charisme, son élégance et sa jeunesse.

Il était donc naturel que Levinson lui écrive un film pour montrer sa puissance de jeu et effectivement, Malcolm & Marie est un écrin pour Zendaya, qui livre une prestation exceptionnelle. Dans la peau de cette jeune femme en couple avec un metteur en scène, elle est quasiment de tous les plans, et même quand elle n'apparaît pas à l'image, elle hante chaque plan avec une intensité phénoménale.

Le scénario est une sorte d'exercice de style : l'action se déroule en temps réel, dans le huis-clos d'une superbe villa, après la première d'un film dont le réalisateur a oublié de remercier sa compagne lors de sa présentation. Celle-ci le prend très mal car elle a inspiré le sujet du long métrage : ancienne toxico, Imani, l'héroïne, lui ressemble come un double, mais elle n'a eu ni le rôle ni la reconnaissance.

Très vite, le ton monte. Et Levinson se garde bien d'épargner ce couple. Chacun a ses défauts et avance des arguments spécieux, que l'autre prend un plaisir vache à démolir pour faire valoir ses propres arguments. Marie traite Malcolm de médiocre, de vampire. Malcolm s'emploie à briser Marie en lui énumérant toutes les femmes avec lesquelles il a eues une relation et à qui il reconnaît avoir pris des traits de personnalité transférés à Imani. Plus tard, le dialogue se prolonge sur le thème de l'égocentrisme, de la (dé)possession, de la jalousie, de l'ingratitude.

C'est là que Levinson atteint ses limites. Car s'il a le courage de s'autoportraiturer en cinéaste bourgeois (comme lui, Malcolm est issu d'un milieu aisé et parle d'une misère sociale qu'il n'a pas connue), si son double à l'écran est volontiers odieux, arrogant, blessant, c'est aussi quelqu'un qui, in fine, écrase une larme de contrition devant la femme qu'il aime, à qui il doit son récent succès, qui a le courage de le remettre à sa place, de le consoler malgré ses travers. Au fond, Levinson via Malcolm semble dire au spectateur qu'il n'est donc pas si méchant, qu'il est un artiste qui souffre, en premier lieu des critiques qui ne le comprennent pas, qui veulent le réduire à une étiquette, un cliché alors que lui n'aspire qu'à faire des films sans que ses origines ne s'interposent entre le public et son oeuvre.

Malgré tous ses efforts, Levinson excuse Malcolm mais donne le point du match à Marie, car il ne se résoud pas à défaire Zendaya/Marie. On a alors la désagréable impression que tout se dénoue sur un nul, alors que Marie a réussi, de manière bouleversante, à l'emporter, non pas parce qu'elle est jalouse, capricieuse, vexée, mais bien parce qu'elle aime un homme et lui pardonne de s'être servi d'elle. Lui n'a qu'un "je suis désolé, je t'aime" à lui répondre en fin de compte : il s'en tire bien. Trop bien ?

Face à la tornade Zendaya, aussi explosive dans la colère que subtile et poignante dans la conclusion, John David Washington rame parfois pour ne pas se faire balayer par sa partenaire. Il choisit d'interpréter Malcolm avec sobriété la plupart du temps, après un début plus cabotin (souligné par une mise en scène trop démonstrative, à coup de plans-séquences). Le fils de Denzel Washington est un comédien intéressant, et plutôt humble, prenant conscience que lui comme son personnage vont être battus à plate couture, même si Levinson le dirige en le désirant plus conquérant, plus agressif. Ce qui produit un décalage bizarre.

On retiendra en outre que visuellement le film est sompteux. Tournée en noir et blanc, il est photographié par Marceli Rév qui met en valeur les carnations des deux acteurs, Washington plus ténébreux que Zendaya, plus musclé aussi (c'est une vraie liane, féline, forte sous cette allure fragile), évoluant dans cette villa qui ressemble à un décor aussi irréel que celle d'un film (même s'il ne s'agit pas d'un décor créé pour le film).

Malcolm & Marie est une expérience assez électrique, parfois trop maniériste et narcissique, mais transcendée par ses deux interprètes et sa photo éblouissante.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire