dimanche 25 septembre 2022

FABLES #155, de Bill Willingham et Mark Buckingham


Cette cinquième partie de l'arc The Black Forest de Fables est un nouvel exemple que des scénaristes expérimentés comme Bill Willingham savent prendre le lecteur par la main tout en ne le laissant voir que ce que lui désire. Les multiples intrigues progressent à pas de loup mais suscitent notre curiosité. Et, comme d'habitude, Mark Buckingham nous ravit avec ses superbes planches.


Washington. Cendrillon s'invite pour proposer ses services à une réunion au Pentagone où militaires et politiques discutent de la menace potentielle que représentent les Fables.


La Forêt Noire. Connor Wolf continue son périple aux côtés du chevalier errant, Kit Helconer. Mais il s'aperçoit vite que ce dernier applique une justice très expéditive contre tous ceux qu'il croise.


New York. GreenJack/Gwen et Mme Ours recherchent celui ou celle qui menace la Forêt Noire. En ville, Peter Pan et Clochette réfléchissent au moyen de récupérer les territoires de Gepetto.


La Forêt Noire. Blossom a libéré des coffres enchaînés le père de Herne, le dieu cerf. Mais le jeune homme, reconnaissant, jure de servir la jeune fille à présent.

Je ne veux pas avoir l'air de jouer les vieux cons mais actuellement je trouve que ceux qu'on appelle les vétérans parmi les scénaristes de comics donnent souvent une leçon de storytelling aux plus jeunes. A l'exception de Christopher Priest (61 ans) qui me désarçonne un peu trop avec Black Adam, les scripts de Mark Waid (60 ans) pour World's Finest et donc de Bill Willingham (65 ans)  pour Fables sont quand même sacrément bons.

En examinant ma pile de lectures, j'ai pu constaté que, ces derniers mois, mes préférences allaient à des auteurs expérimentés qui savaient où ils allaient et qui, sous un certain classicisme, livraient des histoires solides. Et, en vérité, je préfére ça, j'aime qu'on me prenne la main et qu'on réussisse à me surprendre sans faire le malin, sans prétendre réinventer la roue.

Un exemple parmi d'autres de cette solidité dans l'écriture se vérifie avec la pratique de la narration parallèle, un procédé vieux comme les comics mais qui révèle si le scénariste sait construire un script. Pour cela, il suffit d'une ou deux pistes narratives simultanées minimum que l'auteur arrive à exploiter à parts égales tout en entetenant le suspense jusqu'au climax, à la convergences de ces lignes narratives. Si ça ne fonctionne pas, ça se voit très vite et l'histoire se déroule alors laborieusement, la lecture est hachée.

Priest s'est pris les pieds dans le tapis sur Black Adam avec cette narration, à cause d'un manque de ryhtme et de consistance. Mais Waid fait des étincelles avec sur World's Finest. Et Willingham s'en sert comme d'un virtuose puisque Fables a souvent (pour ne pas dire tout le temps) jonglé avec une multitude de personnages et donc de lignes narratives.

C'est encore le cas ce mois-ci avec cette cinquième partie de l'arc de la Forêt Noire, correspondant au n°155 de Fables. On suit en parallèle Cendrillon, Connot Wolf, Blossom Wolf, GreenJack. Quatre personnages, autant d'hstoires parallèles. Et  toutes sont accrocheuses, maîtrisées, intrigantes. C'est presque une leçon que donne Willingham dans sa gestion narrative.

Souvent, pourtant, l'auteur ne progresse qu'à pas comptés : Cendrillon, par exemple, fait juste son entrée dans une salle de réunion du Pentagone, et c'est tout. Mais cela suffit à amorcer quelque chose qui sera développé ultérieurement et qui surtout se préoccupe d'un aspect important (comment les humains envisagent la cohabitation avec les Fables ? Sont-elles des menaces ?). Dans le cas de Greenjack aussi, c'est un tout petit pas en avant puisque, perdue dans les rues de New York où elle cherche celui/celle qui menacerait la Forêt Noire, elle croise sans le voir Peter Pan et Clochette qui planifient la reconquête des territoires perdus par Gepetto. N'empêche : Willingham suggère que Greenjack et Peter Pan vont sûrement se revoir et sans doute s'affronter.

Plus consistant, ce qui implique Connor Wolf et Kit Helconer : ce dernier s'avère un personnage inquiétant, qui n'hésite pas à dégainer son épée pour occire tous ceux qu'il juge suspect de mauvaises actions (des bandits) ou contre nature (des créatures de la Forêt Noire). Pour Connor qui voulait, comme se frères et soeurs, vivre une grande aventure, c'est inquiétant. Pour Blossom Wolf, qui a libéré le dieu cerf du coffre dans lequel il était enfermé, c'est plus mitigé : elle craint d'avoir commis une terrible bourde mais fait la connaissance de Herne, le fils du dieu cerf, qui, pour la remercier de lui avoir rendu sa liberté, devient son servant.

Tout coule de source, rien ne vient heurter la lecture. Et en matière de subplots, ce que si peu de scénaristes maîtrisent, c'est carrément magistral. Cet arc de Fables est tellement riche qu'on peut même se demander si tout va être résolu dans les sept épisodes restants, ce qui signifie qu'on ne risque pas de s'ennuyer, qu'il y aura de quoi lire, vibrer. Combien de comics sont aussi riches, denses, et excitants ?

Et combien ont une dessinateur si parfaitement en phase avec le scénariste ? Dans un milieu où les artistes ont non seulement du mal à enchaîner les épisodes mais sont en plus fréquemment déplacés d'une série à une autre par des editors voulant privilégier les titres les plus exposés avec les dessinateurs les plus populaires, que c'est agréable de savoir qu'on va lire tout une histoire de douze épisodes avec le même dessinateur.

Mark Buckingham n'est pas, lui non plus, un perdreau de l'année : à 56 ans, il en a vu passer, mais son expérience en tant qu'encreur puis de dessinateur, et sa complicité éprouvée avec Willingham est quelque chose qui ne doit rien à des caprices éditoriaux, à la côte de popularité, encore moins à une difficulté à enchaîner les épisodes.

Buckingham est entouré par le même encreur depuis des lustres (Steve Leialoha), du même coloriste (Lee Loughridge) : à eux trois, ils forment une équipe soudée, qui se connaît parfaitement. Buckingham n'est pas une star, c'est un artisan consciencieux, qui aodre cet univers, qui a établi esthétiquement la majorité des personnages même s'il n'a pas été le premier choix pour dessiner la série. N'empêche, son nom est désormais indissociable du titre.

Il découpe quasi invariablement ses planches en "gaufrier" de quatre cases, avec comme influence assumée la simplicité d'un Jack Kirby. Peu de plans donc mais à chaque fois bien composés, avec des décors détaillés. C'est aussi cela qui rend la lecture si fluide, si facile, on n'est jamais perdu malgré la multiplicité des lieux et des acteurs de l'histoire. C'est tout con, mais si un peu plus d'artistes appliquaient cette sobriété, non seulement ils se fatigueraient moins et donc ils enchaîneraient plus facilement, avec pour le lecteur un confort de lecture supplémentaire. 

Je ne dis pas que tous les comics devraient ressembler à Fables, mais il y a avec Fables matière à réflexion, au niveau de l'écriture et des dessins. Quelque chose qui ressemblerait à de l'humilité, et qui renvoie à l'essence des comics, ce que certains jugent avec mépris comme de la sous-littérature, et que d'autres estiment comme un divertissement populaire, mais qui, quand c'est bien fait, se reconnait immédiatement, quel que soit le nom qu'on lui donne.  

La variant cover de Mark Buckingham.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire