dimanche 21 août 2022

THE SINNER (Saison 3) (USA Network / Netflix)


4 ans après sa saison 3, j'ai enfin pris le temps de suivre les nouveaux épisodes de The Sinner. La série, une des meilleures dans son genre, le polar, vient hélas ! d'être annulée au terme de sa quatrième saison, récemment diffusé sur USA Network. Comme d'habitude, on plonge dans une enquête très sombre, touffue et perturbante menée par l'inspecteur Harry Ambrose. Cette fois confronté au survivant d'un accident...


Le detective Harry Ambrose est appelé sur la scène d'un accident de la route où le chauffeur, Nick Haas, a péri, mais son passager, Jamie Burnes, a survécu et a appelé les secours. Les deux hommes étaient amis depuis le lycée et avaient passé la soirée ensemble chez Burns et son épouse, Leela. Harry interroge Sonya Barzel, propriètaire du terrain où a eu lieu l'accident et qui ne connaissait pas les deux hommes. A l'hôpital, sous le choc, Jamie se remémore les circonstances du drame : c'est lui qui a provoqué l'accident et a laissé mourir son ami.


Harry mène l'enquête avec le détective Dick Soto et remarque lors de son autopsie que la main droite de Nick était transpercée, mais cela s'est produit longtemps avant son décès selon le médecin légiste. En l'interrogeant, Harry apprend que Jamie et Nick avaient diné deux semaines auparavant à Manhattan et des témoins l'ont vu se mutiler. Sonya découvre dans son terrain une trombe fraîchement creusée et en informe Harry.


Harry apprend ensuite par un autre camarade de lycée de Jamie que celui-ci avait subitement changé de comportement lorsqu'il était devenu l'ami de Nick. Un de leurs professeurs explique que les deux garçons étaient fascinés par le philosophe Friedrich Nietzsche et son concept de l'übermensch (surhomme). De son côté, Jamie reprend son travail de professeur et encourage Emma, une élève, à résister aux injonctions de ses parents qui la pressent d'aller à l'université. Puis il fait une crise panique en berçant son noveau-né, Kai. Harry craint qu'il ne représente un danger pour lui et les autres et le conduit auprès d'un psychiâtre, mais Jamie s'enfuit, craignant d'être interné.


Soto permet à Harry de suivre Jamie jusqu'à New York grâce à la géo-localisation de son téléphone. Avant qu'il ne soit intercepté, Jamie croise une de ses anciennes élèves, Sophie, qui l'invite à une fête. Harry s'y introduit et voit Jamie discuter avec Kyle, un médium qui sent la présence de Nick autour de lui. Après avoir entraîné Sophie dans une balade à toute vitesse en ville, Jamie est arrêté par Harry qui le ramène chez lui. Il reste devant sa maison mais s'endort. Il est réveillé par un appel de la detective Jones de New York qui l'informe du meurtre de Kyle.


Des témoins présents à la fête ont vu Jamie revenir et s'entretenir à nouveau avec le médium avant de disparaître et de découvrir le corps sans vie de Kyle. Harry rentre au commissariat où on le prévient que Jamie a été filmé par les caméras de surveillance de son lycée cette nuit entrant puis ressortant du bâtiment avec des vêtements différents et un sac poubelle rempli. Sonya rend visite à Leela dans la boutique de cosmétiques qu'elle tient et lui parle de la tombe dans son parc. Leela met son mari à la porte et Jamie, furieux, va chez Harry où il menace son petit-fils, Eli, avant de repartir.
 

Cet incident conduit Melanie, la fille de Harry, à venir rechercher Eli. Jamie espionne Harry et découvre qu'il est devenu l'amant de Sonya. Leela accepte de revoir son mari dans un endroit public et il lui avoue avoir laissé mourir Nick puis tué Kyle : désormais, elle a sa vie entre ses mains. Puis Jamie donne rendez-vous à Harry vers la tombe où Nick avait prévu d'enterrer Sonya après l'avoir tuée. En échange de ses aveux écrits, Jamie convainc Harry de se laisser enterrer mais il est piégé.


Après huit heures sous terre, Harry est libéré par Jamie qui voulait le convaincre que cette expérience lui ferait comprendre qu'il faut affronter ses démons pour être pleinement soi, tel que le professait Nick. En état de choc, Harry laisse filer Jamie mais il l'a enregistré à son insu et cela permet à Soto de l'arrêter. Toutefois, le juge estime que les aveux ont été soutirés de manière frauduleuse. Leela a obtenu une ordonne de restriction contre son mari puis elle avoue à Harry, Soto et Jones ce que lui a confiée Jamie au sujet des morts de Nick et Kyle. Un mandat d'arrêt est lancé mais Jamie tue le commissaire sur le terrain de golf où il pratiquait.
 

Sur la scène du crime, Jamie a laissé un mot à l'intention de Harry, menaçant Sonya, Melanie et Eli - qui est introuvable. Harry répond à l'appel de Jamie et se rend chez lui où il retient Eli en otage. Harry réussit à le désarmer et envoie son petit-fils se cacher dans sa cabane de jardinage. Après une course dans la forêt environnante, Harry, blessé, distance Jamie et rentre chez lui pour prendre un revolver. Lorsque Jamie le rejoint, il lui tire dessus. Burns meurt avant l'arrivée des secours. Quelques mois plus tard, Harry, convalescent, passe la soirée avec Sonya et craque nerveusement en se rappelant la peur qui saisit Jamie dans ses derniers instants.

Initiée par l'actrice et productrice Jessica Biel en 2017, The Sinner s'est tout de suite distingué, du moins à mes yeux, par sa profondeur psychologique. Ce polar adapté des romans de Petra Hammesfahr mettait en scène un inspecteur de police, Harry Ambrose, qui s'impliquait tellement dans ses enquêtes qu'il en perdait presque pied. D'abord confronté à une femme accusée du meurtre en public de son mari (incarnée par Biel elle-même), puis à une mère entrée dans une secte avec son jeune fils (incarnée par Carrie Coon), les deux premières saisons ne laissaient pas le spectateur indemne.

Cette troisième livraison de huit épisodes est du même acabit. Il s'agit encore une fois d'un face-à-face trouble, troublant et macabre entre Harry Ambrose et cette sois un homme, Jamie Burns, sous l'emprise d'un ami de jeunesse et rattrapé par une spirale criminelle inspirée par la théorie du surhomme de Nietzsche.

Le showrunner de la série, Derek Simmonds, aime prendre son temps, il faut donc s'accrocher, mais le jeu en vaut la chandelle. Les personnages ont une consistance, une épaisseur impressionnantes, et l'intrigue nous mène de témoin en témoin, nous égare parfois sur des fausses pistes, avant de se rassembler pour un climax d'une tension extrême.

Le principe de The Sinner, c'est que le spectateur en sait souvent plus que Harry Ambrose : par exemple, par le biais d'un flashback dès le premier épisode, on voit que Jamie Burns a provoqué l'accident mortel pour son ami Nick Haas et qu'il a attendu qu'il succombe à ses blessures avant de prévenir les secours. Mais l'important, c'est de comprendre ce qui a conduit à ce choix sinistre, le cheminement intellectuel qui a abouti à ce drame et qui en provoquera d'autres.

Par le biais de témoignages recueillis par Ambrose et d'autres policiers, mais aussi donc de retours en arrière, la vérité se fait jour : cette fois, la problème de la toxicité masculine est au centre de l'affaire. Nick Haas est un manipulateur supérieurement intelligent qui a influencé pendant des années de formation un esprit malléable, celui de Jamie Burns, le poussant dans ses retranchements pour le convaincre de la futilité de l'existence, de l'hypocrise sociale, et de la nécessité d'affronter ses peurs, d'embrasser ses pulsions primitives pour être en harmonie avec soi-même. La philosophie Nietzschéenne est une base parfaite à ces débordements puisqu'elle incite à nier l'existence de Dieu pour devenir son propre Dieu et imposer sa loi à des individus jugés inférieurs. Ce propos a été exploité en le déformant par Hitler.

Mais il en faut pas exonérer Jamie pour autant : certes, il est décrit dans sa jeunesse comme influençable, mais après la mort de Nick, la culpabilité le ronge puis il la dépasse pour emprunter une direction sans retour, franchir des limites morales. Lorsqu'il tue le médium Kyle, il agit mû par la colère, la frustration car son interlocuteur refuse de lui dire ce qu'il sent intuitivement. En revanche, lorsqu'il tue le commissaire de police, il accomplit cet homicide de sang-froid, en l'ayant prémédité. Puis sa lâcheté éclate lorsque Harry le défie de tuer son propre petit-fils puis de se suicider, soulignant qu'il ne trouvera de toute manière jamais la satisfaction, l'accomplissement qu'il recherche.

Comme je l'ai dit plus haut, Ambrose n'est pas un flic conventionnel : il s'investit totalement dans ses enquêtes, quitte à perdre pied. Il flirte avec l'illégalité, comme quand il trace le téléphone de Jamie pour le suivre jusqu'à New York, ou, pire, quand il accepte de se plier au jeu macabre de son enterrement contre la promesse d'aveux écrits. Dans ses deux précédentes enquêtes, la série le confrontait à des femmes et dans une certaine mesure, Ambrose n'abordait pas le problème aussi intensément qu'avec un homme. Son duel avec Jamie le fait dériver inexorablement jusqu'à le blesser mortellement alors qu'il avait obtenu qu'il lâche son arme et qu'il avait appelé des renforts. De fait, Jamie a poussé Harry au crime.

L'épilogue de la saison est poignant et glaçant : on y voit Harry plusieurs mois après, en compagnie de Sonya Barzel, qui s'effondre nerveusement, hanté par l'agonie de Jamie et la peur qui le saisit dans ses derniers instants. C'est comme un virus dont les symptômes se manifestent après une période d'incubation et Harry, comme Sonya, a été contaminé par Jamie. Tout comme Jamie avait été infecté par Nick Haas. Il n'y a pas de happy end dans The Sinner, les conséquences de chaque affaire laisse Ambrose au bord du précipice et cette fois, comme l'écrivit Nietzsche, "si tu regardes l'abîme, l'abîme aussi regarde en toi". L'effrroi étreint aussi le policier et sa compagne, redoutant de devenir des monstres comme les monstres que furent Nick et Jamie.

L'autre force de The Sinner, avec son écriture et sa réalisation au cordeau, repose sur un casting chaque fois magistral. Bill Pullman a trouvé avec Harry Ambrose le rôle d'une vie, il l'interprète avec une sobriété impressionnante, économe en mots et en gestes, d'une présence prégnante, d'un charisme marmoréen. Mais sa prestation est toujours mise en valeur par son/sa partenaire et après Jessica Biel et Carrie Coon, Matt Bomer bluffera tout le monde. Celui qui joue Larry Trainor/Negative Man dans Doom Patrol et avant cela Neal Caffrey dans White Collar campe Jamie avec une intensité ahurissante. On le sent aussi rongé que son personnage, toujours en tension, toujours sur la corde raide, habité. Son face-à-face avec Pullman fonctionne à fond parce qu'ils se renvoient la balle en permanence sur des registres opposés - le calme inquiet de l'un contre la fébrilité menaçante de l'autre.

Malheureusement, The Sinner va s'achever après sa quatrième saison, toujours pas programmée sur Netflix, mais que j'espère quand même voir. Raison de plus pour (re)découvrir les trois saisons disponibles si vous êtes client de polars bien sombres et intelligents.

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