lundi 8 août 2022

SANDMAN (Netflix) (Critique avec spoilers !)

 

Je n'ai pas l'habitude de "binge-watcher" des séries mais dans le cas de Sandman, disponible sur Netflix depuis Vendredi dernier, j'ai visionné les dix épisodes de cette saison 1 en deux jours. Cette adaptation de la série écrite par Neil Gaiman, longtemps réputée impossible, est une extraordinaire réussite, un modèle du genre, peut-être la meilleure que j'ai vue. Un exploit donc, mais qui ne doit rien au hasard.

- 1/ (Le sommeil du juste) 1916. Alors qu'il traque le Corinthien, un des cauchemars qu'il a créés, Morpheus est capturé par Roderick Burgess lors d'un rituel occulte où il voulait piéger Mort. Burgess retire à Morpheus ses armes : une bourse de sable, un casque et un rubis, qui seront ensuite volés par Etehl Cripps, la maîtresse de Burgess, enceinte de leur fils non désiré. La détention de Morpheus provoque une épidémie de maladie du sommeil. En 2021, le fils de Roderick, Alex, libère accidentellement Morpheus.

- 2/ (Hôtes imparfaits) Morpheus rentre dans son royaume et découvre son palais en ruines. Il rene visite à Abel et Caïn pour siphonner l'énergie de Gregory, leur gargouille. Grâce à elle, il peut invoquer les Parques et leur demander où se trouvent ses armes. La bourse appartient à Johanna Constantine, son casque à un démon en Enfer, et son rubis à John Burgess, le fils d'Ethel Cripps. Morpheus part à leur recherche en compagnie du corbeau Matthew.

- 3/ (Rêve un peu à moi) Morpheus rencontre Constantine pour qu'elle lui rende sa bourse. Mais elle l'a laissée à son ancienne maîtresse. Elle est mourante car la magie de la bourse a sapé son énergie vitale. Morpheus lui accorde une fin paisible. Cependant, Ethel Cripps, qui a reçu la visite du Corinthien en quête du rubis de Morpheus, rend visite à John, placé dans une cellule. Elle lui donne son amulette de protection, qui a prolongé sa vie, et, enfin libre, il part pour Buffalo où il a caché le rubis.

- 4/ (Un espoir en Enfer) Morpheus et Matthew descendent aux Enfers où Lucifer les reçoit et convoque le démon qui possède le casque. Ce dernier défie Morpheus en demandant à Lucifer de le représenter. Le maître des rêves décide de se battre lui-même pour son bien. Il emporte le duel mais Lucifer, après son départ, jure de se venger. De son côté, John arrive à Buffalo peu après Morpheus qui a été repoussé par le rubis modifié.

- 5/ (24/7) John entre dans un diner où il utilise le rubis pour influencer le comportement des clients et du personnel afin qu'ils s'expriment sans filtre. Cela les pousse jusqu'au suicide ou au meurtre. Morpheus intervient et déporte John dans son royaume où, pour se défendre, il brise le rubis. Morpheus en absorbe l'énergie et neutralise John en le plongeant dans un sommeil éternel dans un asile.

- 6/ (Le son de ses ailes) Morpheus retrouve sa soeur, Mort. Il l'accompagne toute la journée auprès de ceux qu'elle doit conduire dans l'au-delà. Puis elle tente de lui expliquer qu'il doit trouver une nouvelle manière de diriger son royaume pour avoir un nouvel objectif. Morpheus se rend ensuite dans une taverne où, au XIVème siècle, il accorda la vie éternelle à Hob Gadling, qui prétendait qu'il ne mourrait jamais. Tous les cent ans, ils se retorouvèrent au même endroit jusqu'à ce que Hob suggère que Morpheus cherchait un ami en le revoyant. Vexé, Morpheus tourna les talons, puis manqua le prochain rendez-vous, alors captif de Burgess. Aujourd'hui, enfin, il admet apprécier la compagnie de Hob.

- 7/ (La maison de poupées) En 2015, Rose Walker est séparée de son petit frère Jed suite au divorce de ses parents. A la mort de ceux-ci, Jed est placé en famille d'accueil, où il est maltraité. Rose, elle, le cherche mais l'administration refuse de lui communiquer son adresse. C'est alors qu'elle est contactée par Unity Kincaid, unique survivante de la maladie du sommeil et qui est son arrière-grand-mère. Elle met sa fortune à la disposition de Rose pour l'aider. Ailleurs, Désir et Désespoir, les deux autres soeurs jumelles de Morpheus, conspirent pour utiliser Rose, qui est un vortex humain capable de briser la frontière entre monde des rêves et monde éveillé, contre leur frère. Le Corinthien est également sur la piste de Rose qui pourrait le débarrasser de Morpheus.

- 8/ (Jouer à la maison) Rose revient en Floride où habitait son père et avec l'aide d'amis placarde des avis de recherche. Morpheus  entre en contact avec Rose via ses rêves et ils retrouvent Jed qui leur communique son adresse dans le monde éveillé. Mais le Corinthien devance Rose en tuant la famille d'accueil et en emmenant Jed à une convention où il donne rendez-vous à la jeune femme.

- 9/ (Les collectionneurs) Chaperonné par Gilbert, Rose part retrouver le Corinthien et Jed à cette convention qui réunit, en vérité, des tueurs en série adorateurs du Corinthien. Gilbert rentre au royaume des rêves prévenir Morpheus de la situation tandis que le Corinthien explique à Rose que Morpheus va la tuer à cause de sa condition de vortex.

- 10/ (Coeurs perdus) Morpheus arrive et tue le Corinthien puis ramène Rose dans son royaume en proie à des séismes par sa faute. Pendant ce temps, Lucienne, la bibliothécaire du palais, a découvert que Unity Kincaid aurait dû être le vortex si elle n'avait pas été atteinte de la maladie du sommeil. Prévenu, Morpheus convoque Unity qui se sacrifie pour son arrière-petite fille, renvoyée dans le monde éveillé auprès de Jed et héritant de la fortune de son aïeule. Morpheus a reconnu, lors de la mort de Unity, la signature des manigances de Désir qu'il part mettre en garde contre de futurs complots. Tout en ignorant qu'en Enfer, Lucifer lève une armée pour envahir le royaume des rêves.

Parmi les trois titres emblématiques de la révolution des comics dans les années 80, on cite Watchmen (Alan Moore/Dave Gibbons) et Batman : The Dark Knight Returns (Frank Miller). Puis juste après, souvent, The Sandman : ce pas de côté s'explique sans doute par le fait que l'oeuvre écrite par Neil Gaiman ne s'inscrit pas comme les deux autres précitées dans le registre super-héroïque, mais dans le cadre d'un récit qui emprunte à la mythologie, au fantastique, à l'onirisme.

Par ailleurs, si Miller et Moore/Gbbons ne sont pas revenus sur la qualité de leurs mini-séries iconiques, Neil Gaiman ne s'est pas privé d'un examen auto-critique en admettant que tout n'était pas parfait au début de sa saga - car, c'est aussi une autre différence avec Watchmen ou The Dark Knight Returns, The Sandman compte plus de 75 épisodes (plus de hors-séries, ue prologu, etc). Un matériau extrêmement dense, touffu, qui a découragé le cinéma en plusieurs occasions.

HBO ayant renoncé à financer un projet aussi coûteux, c'est Netflix qui a convaincu Warner Bros. de co-produire cette saison de dix épisodes, correspondant grosso modo aux seize premiers numéros du comic-book. Neil Gaiman a été présent à toutes les étapes du développement, posant ses conditions sur le casting, l'équipe technique, le budget, dirigeant l'écriture du script, avec Allan Heinberg et David S. Goyer. Comme il l'a dit lui-même : une bande de fans de Sandman.

Et c'est tout bête mais sans doute est-ce la clé de cette réussite que d'avoir confié cette adaptation à des gens qui connaissaient les comics sur le bout des doigts, qui avaient une passion pour ces histoires, ces personnages, cet univers, en plus de posséder les compétences pour le transposer en live action. Quand on s'adresse à des connaisseurs doués, le risque de se tromper réduit considérablement.

Ces dix épisodes se divisent nettement en deux actes de cinq chapitres. Dans un premier temps, nous faisons connaissance avec Morpheus/ Morphée/Rêve (Dream en vo), un des Infinis (Endless en vo), présidant un des royaumes célestes (celui des songes donc). Il est capturé par un occultiste qui espérait piéger Mort (la soeur de Morpheus) pour ressuciter son premier fils. La captivité de Morpheus provoque une gigantesque épidémie, plongeant les uns dans un sommeil profond, les autres dans l'insomnie, et son geôlier lui retire ses armes.  Il est libéré accidentellement après plus d'un siècle et part récupérer ses attributs, après avoir découvert qu'en son absence son royaume est tombé en ruines et que ses sujets se sont éparpillés.

La quête de Morpheus l'entraîne à Londres sur la piste d'un détective magicienne, en Enfer chez la plus puissante des Infinis, et à Buffalo face à un homme désirant libérer les passions des humains.

Puis, après une halte auprès de Mort (Death en vo), une de ses trois soeurs, et de Hog Gadling (un homme à qui il a donné l'immortalité par jeu), Morpheus se trouve embarqué dans une intrigue impliquant une adolescente qui est un vortex, capable de briser les frontières entre le royaume des rêves et le monde éveillé. Ce pouvoir est convoîté par d'autres individus qui conspirent contre Morpheus pour diverses raisons, mais le temps est compté car déjà l'émergence des pouvoirs du vortex ébranle le domaine des songes.

La saison se clot sur un cliffhanger avec une guerre en préparation. Même si Netflix et Neil Gaiman n'ont encore rien officialisé, il semble acquis, vu le succès des dix épisodes mis en ligne, qu'on aura la chance d'avoir une saison 2, introduisant une partie du reste des Infinis (Délire, Destin, Destruction) notamment.

Ce qui impressionne d'entrée de jeu, c'est la rigueur narrative et esthétique du show, pensé dans ses moindres détails. Comme je le rappelai plus haut, Gaiman n'était pas satisfait des débuts de son comic-book et il a opéré avec Goyer et Heinberg un travail de synthèse, de corrections remarquable. La décision la plus radicale a été de supprimer (presque) toutes les références à l'univers partagé de DC Comics (car Gaiman reliait notamment l'histoire de tous les Sandmen existant et utilisait des super-héros en guest-stars). Un exemple de ce gommage : en Enfer, Morpheus est introduit chez Lucifer par le démon Etrigan (célèbre pour sa façon de s'exprimer en vers rimés) dans les comics, ici remplacé par Outrefange. Par contre, les connaisseurs reconnaîtront une mention au Joueur de Flûte (un ennemi de Flash) ou au costume du Sandman de Jack Kirby (dans l'épisode 8, avec Jed et Gault).

Avoir découpé la saison en deux parties était risqué car l'une pouvait être supérieure à l'autre et aboutir à un ensemble déséquilibré. C'est vrai que les cinq premiers épisodes sont époustouflants, avec la quête de Morpheus pour récupérer ses attributs, ses interactions avec Joanna Constantine (qui, contrairement à ce que certains grincheux vilipendant le caractère "woke" et le "gender-swap", n'est pas une féminisation de John Constantine, créé par Alan Moore, mais la récipiendaire de la magie des Constantine dans cette histoire), Lucifer, ou John Burgess (adapté du John Dee des comics), les décors, la tension dramatique, tout participe à en faire un enchaînement indépassable.

D'autant que ce premier acte se termine sur l'épisode 24/7, un sommet de la série, en huis clos, avec un déchaînement de scènes violentes, paroxystiques, dont on se remet difficilement. Mais l'intelligence des adaptateurs, c'est de rebondir sur un deuxième arc narratif différent, sans doute plus classique, moins exotique aussi, mais tout aussi prenant, palpitant.

L'histoire centrée sur Rose Walker et le vortex qu'elle incarne ne débute qu'au septième épisode, après un sixième qui est aussi un sacré morceau, lui-même en deux parties distinctes. La balade de Rêve et Mort suivi des rencontres sur plusieurs siècles entre Hob Gadling et Morpheus est bouleversant, drôle, magnifique, inventif. C'est sans doute l'épisode le plus renversant du lot, celui qui manie les concepts les plus vertigineux avec une adresse incomparable et une émotion simple mais poignante.

Ce qui permet à la fin de la saison de ne pas souffrir de la comparaison avec ces six premiers épisodes, c'est le fin mot de l'intrigue qui l'alimente. Faire de Rose Walker un danger et  un objet de convoitise, l'instrument d'un complot, l'objet d'un sacrifice, tout cela à la fois, donne tout de même une idée saisissante de la complexité et de la fluidité mêlées de la série. Les personnages convergent jusqu'à un climax étrangement apaisé, apaisant et déchirant à la fois, juste avant qu'on comprenne qui tirait les ficelles et les conséquences que cela va avoir (la promesse de deux revanches terribles).

Revenons sur les parti-pris narratifs et esthétiques de la série, avec les accusations de "wokisme" et de "gender-swaping". Ceux qui font ces reproches à Neil Gaiman et à Sandman n'ont jamais dû lire les histoires du scénariste et le comic-book car le premier a été un précurseur de l'inclusivité dans ses BD et sa grande oeuvre regorge d'exemples à cet égard. J'aid éjà évoqué le cas de Joanna Constantine, qui n'annule en rien le John Constantine d'Alan Moore, qui ne le remplace pas. Il faudrait aussi parler du choix de faire de Mort une femme noire alors qu'elle est représentée comme une lolita blanche dans les comics : quel est au juste le problème ? Que la couleur de la peau change le personnage ? Ou qu'un noire incarne la Mort ? Dans les deux cas, c'est absurde. Tout comme Jenna Coleman qui interprète brillamment Joanna Constantine, Kirby Howell-Baptiste joue Mort à la perfection, avec moins de malice que le personnage de papier mais avec une douceur envoûtante, et un talent sidérant. D'ailleurs, devinez quoi ? Après avoir vu l'intégralité du show, les spectateurs réclament désormais des spin-off consacrés à Joanna et Mort !

Quant aux choix cosmétiques, on croit littéralement rêver quand on lit ou entend les réciminations à leur sujet. Ainsi certains pestent parce que Morpheus n'a pas la peau absolument blanche, la tignasse longue et ébouriffée ou les yeux sombres mais brillants des comics. Mais Tom Sturridge qui joue Rêve a fait des essais costumes et maquillages avant le tournage et tout le monde s'est accordé à dire que le résultat d'une reproduction exacte ne fonctionnait pas, sombrait davantage dans la caricature que dans la transposition juste. Sturridge donne effectivement un air plus juvénile à Morpheus, mais il lui confère aussi une classe incroyable, un air buté, parfois intransigeant qui correspond idéalement à cet être toisant les humains avec une certaine condescendance et qui élimine les anomalies sans ciller. Je n'imagine pas meilleur acteur pour incarner Morpheus.

Les décors, largement numérisés, sont splendides et témoignent d'un investissement dans les effets spéciaux conséquent. L'argent est sur l'écran. Quand on découvre le royaume des rêves décrépit ou l'Enfer, ce sont de grands moments. Mais la série réussit aussi bien à exploiter des décors plus communs pour souligner l'intensité de ce qui s'y passe, tels que le château de Burgess, le diner de Buffalo, la taverne, ou encore cet hôtel où se déroule la convention des céréales à la fin de la saison, avec ses corridors sinistres. 

Les costumes sont également superbes, d'un respect total avec ceux des comics - et c'est à cela aussi qu'on mesure l'intelligence des changements apportés dans le casting en faisant jouer Lucifer par la géante et géniale Gwendolyne Christie, qui en impose naturellement et dont le combat très graphique contre Morpheus est jubilatoire, ou en octroyant à Mason Alexander Park, comédien non-binaire comme on dit, et qui compose, en peu de scènes, un très troublant Désir (j'espère vraiment que si saison 2 il y a, on le/la verra davantage).

Enfin, je ne peux pas ne pas citer Boyd Holbrook qui campe le Corinthien de manière magistrale, le méchant abominable, glaçant et tragique de ces dix épisodes. De même que la jeune Kyo Ra, excellente Rose Walker, ou Stephen Fry, épatant Gilbert, et encore Vivienne Acheampong, alias Lucienne la bibliothécaire, impeccable.

J'ai donc adoré cette saison. Je ne suis pas le seul, et ça fait du bien. Rejoignez notre armée, notre nombre contribuera à convaincre Netflix de signer un nouveau gros chèque pour une saison 2 La saga du Marchand de Sable ne peut pas en rester là.

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