vendredi 27 mai 2022

KARNAK : THE FLAW IN ALL THINGS, de Warren Ellis, Gerado Zaffino, Antonio Fuso et Roland Boschi

 

N'ayant plus de nouveautés à critiquer pour cette semaine, j'ai cherché quelque chose dont je n'avais parlé au moment de sa sortie, une lecture que j'avais pas soumis à votre curiosité. Donc, aujourd'hui, séance de rattrapage pour la mni-série Karnak : The Flaw in all Things, écrite par Warren Ellis, accompagné de Gerardo Zaffino, Antonio Fuso et surtout Roland Boschi pour six épisodes consacrés à l'Inhumain le plus creepy dans une aventure palpitante.


Magister de la Tour de Sagess et conseiller auprès du trône d'Attilan, Karnak accepte d'aider Phil Coulson du S.H.I.E.L.D. dans une affaire concerant l'enlèvement d'Adam Roderick exposé aux brumes terrigènes par un organisation religieuse, l'I.D.I.C. (International Data Integration Control).



Après avoir fait parler un agent double du SHIELD, Karnak se rend à Berlin, dans une cellule de l'IDIC. Il y  tue tous les gardes et affronte un prêtre qui lui parle de l'a Chapelle de l'Ombre Unique où séjourne Adam de son plein gré.


Récupéré par Coulson, Karnak obtient du SHIELD les coordonnées de cette Chapelle située dans les Monts Wundagore. Les disciples de l'IDIC les attendent et les attaquent. Mais Karnak trouve la parade et riposte de manière radicale.
 


Les disciples sont évacués de la Chapelle et Karnak en interroge un qui se présente comme le Peintre. Karnak coprend qu'Adam peut donner à chacun le pouvoir qu'il souhaite, ce qui représente aussi bien un miracle qu'une menace.


Karnak est téléporté dans le refuge où s'est déplacé Adam et le confronte. Soumis au jeune Inhumain, le magister trouve la faille dans son pouvoir et le neutralise définitivement. Le garçon est rendu à ses parents tandis que Karnak rentre à sa Tour, en messurant la radicalité de sa solution.

2014 : Jonathan Hickman a écrit l'event Infinity qui met en scène la bataille entre Avengers et Bâtisseurs d'un côté, et Thanos et les Inhumains de l'autre. Le titan cherche son fils parmi les sujet de Black Bolt qui pour contrarier l'ennemi et ses acolytes déclenche une bombe terrigène révélant au monde des agents dormants Inhumains partout. A la même époque, Marvel veut mettre en avant les Inhumains et lance plusieurs séries (Inhumanity, Uncanny Inhumans, All-New Inhumans) avec une idée derrière la tête : en faire les remplaçants des X-Men auprès des fans puisque l'éditeur et Disney n'ont pas les droits d'exploitation cinématographique des mutants (apaprtenant à la Fox).

Finalement, le projet sera un échec, même si Marvel poussera le bouchon jusqu'à organiser un croosover Inhumans vs X-Men, basé sur le fait que les brumes terrigènes menacent le gène mutant. Aujourd'hui, il n'en reste rien, sinon un grand gâchis pour ces personnages créés par Jack Kirby (et un peu Stan Lee), qu'on peut considérer comme la matrice des New Gods puis des Eternels.

Pourtant, dans tout ces errement éditoriaux, une mini-série surnage et reste encore lisible comme ce qu'aurait pu/dû être cette entreprise, si elle avait été confiée à des auteurs inspirés (on se rappelera que Matt Fraction aurait dû piloter cette franchise avant qu'il ne jette l'éponge pour divergences artistiques, et que c'est Charles Soule qui récupéra le bébé avec l'eau du bain). Il s'agit de Karnak, une mini en six parties écrite par Warren Ellis.

Aujourd'hui, ce n'est plus bien vu d'évoquer Ellis, empêtré dans une affaire sordide :  il aurait profité de son statut et de son influence pour séduire des admiratrices, et même si aucune plainte n'a té déposée ni aucune poursuite judiciaire lancée, plus aucun éditeur ne veut travailler avec lui tant que le groupe de ses victimes n'aura estimé qu'il aura fait pénitence. Je n'excuse pas le comportement toxique du scénariste, mais je n'accepte pas davantage cette justice médiatique où un auteur est mis au ban de la société sans avoir été condamné par les autorités. On n'est pas obligé d'être ami ou de trouver quelqu'un sympathique pour lui fournir du boulot et je ne vois pas ce qui fait si peur aux éditeurs.

Mais, avec le recul, la lecture de Karnak s'avère troublante. Comme le dit le personnage dans l'épisode 4 : "Satan is a story. I am Kranak. And I see the flaw in all things." ("Satan est une légende. Je suis Karnak. Et je vois la faille en toutes choses."). C'est presque la phrase qui illustrerait le mieux ce que fut Ellis, et qu'il reste : un diable qui vit la faille à exploiter chez ses proies. Et qui, comme Karnak, à la fin de sa mission, semble affligé par tout cela.

Régulièrement, Ellis, pour gagner sa vie, acceptait des contrats pour des mini-séries, d'une demi-douzaine d'épisodes, entre deux creator-owned. C'est ainsi notamment qu'il a signé un bref run sur Secret Avengers (à la suite de Ed Brubaker et avant Rick Remender), ou comme ici avec Karnak, dans le grand cirque des Inhumans d'alors. Et son génie d'écrivain s'empare de cette commande pour la transformer en un fascinant exercice de style, entraînant le personnage dans une direction radicale, flippante, une mission qui va l'ébranler.

Ici, donc, Le magister de la Tour de la Sagesse est sollicité par le SHIELD pour retrouver un ado kindappé par une secte. Adam Roderick a fait partie de ceux qui ont été exposés aux brumes terrigènes de la bombe déclénchée par Black Bolt dans Infinity et qui a réveillé ses pouvoirs. La traque devient bizarre quand les suspects approchés par Karnak prétendent que Adam a rejoint leur organisation volontairement et qu'il dote des individus désocialisés de pouvoirs qui leur permettent de trouver un sens à leur existence. Le tout est entrecoupé de combats d'une brutalité ahurissante, un motif récurrent chez Ellis (qui avait formulé cela dans un épisode de Global Frequency intitulé Superviolence).

Mais cela n'est que la surface du script car évidemment ce qui intéresse Ellis, c'est la faille de Karnak. Décrit comme un ascète austère, à l'efficacité redoutable, il voit littéralement la faille dans toutes choses - organique, technologique, philosophique, financière, sociétale, etc. Un tel être a-t-il lui-même une faille ? Il faut, pour le savoir, examiner le passé de Karnak que ses parents ne soumirent pas aux brumes terrigènes : techniquement, il n'est donc pas vraiment Inhumain, mais il a développé son talent par l'exercice depuis son enfance, et sa place à part dans la société Inhumaine en a fait un conseiller mais aussi un professeur, un guide. Ce n'est que lorsqu'il est faceà des adversaires qui interrogent son passé, son parcours, qu'on voit Karnak ébranlé, faillible. pas longtemps ca ril se ressaisit vite et réagit promptement et brutalement. Mais tout de même.

Le choix de l'ennemi qu'incarne Adam Roderick est particulièrement malin de la part de Ellis puisqu'il oppose Karnak à un Inhumain qui peut littéralement lui offrir ce qu'il souhaite pour être heureux. La réplique de Karnak sera terrible, glaçante. Mais la dernière image de la dernière page du dernier épisode montre le magister de la Tour de la Sagesse visiblement atteint. Comme d'habitude, Ellis laisse le héros qu'on lui a prêté différent et on aurait eu envie d'une suite, mais en fin de compte, c'est mieux qu'il n'y en ait pas eu car sans Ellis, cela aurait été moins bon, moins fort, moins singulier.

La production de la mini-série fut chaotique à cause de sa partie graphique. Marvel voulut certainement donner au script un artiste capable de le transcender et son choix se porta sur Gerardo Zaffino, un dessinateur au style rugueux et sombre. Il signe des planches finalement décevantes, avec des jeux de hachures trop nombreux, des décors absents (même si, de ce point de vue, la série est très économe, Ellis situant l'action la plupart du temps dans des endroits dépouillés). Zaffino prendra un retard colossal pour livrer un épisode et demi et il faudra même qu'Antonio Fuso termine le deuxième chapitre.

Marvel confia alors à Roland Boschi la suite et fin. Le français, réputé pour sa ponctualité, présentait en outre l'avantage d'avoir un style également assez ténébreux, qui ne jurerait pas avec ce qu'avaient fait Zaffino et Fuso (à qui l'éditeur n'a même pas pensé à transmettre le flambeau).

Il n'empêche, les efforts de Boschi ont payé car c'est bien lui qui a permis au script d'Ellis d'être servi avec le soin qu'il méritait. L'artiste a mis le paquet pour camper Karnak et en faire un type franchement glaçant. Il faut noter que le personnage avait subi un relooking extrême, sacrifiant son costume designé par Kirby à un tenue beaucoup moins super-héroïque, traînant en jean's, veste à capuche, Doc Martin's, et quelques peintures de guerre sur le visage et les épaules. Mais ça n'a pas du déplaire à Ellis (qui n'aime pas les tenues bariolées) ni à Dan Brown (le coloriste qui tire le maximum de cette sobriété vestimentaire comme de l'épure du côté des décors).

Boschi soigne aussi les scènes de baston qui soulignent la technique imparable de Karnak et sa super violence (le gars arrache des têtes avec deux doigts, arrête une balle en plein vol, démolit un immeuble en appuyant sur une fissure, et handicape lourdement un gamin avec une pression légère sur son front !). Jamais cette violence n'est flatteuse, esthétique. Karnak n'est pas aimable et ce qu'il fait subir à ses adversaires est souvent écoeurant. Mais souvenez-vous : "Satan is a story. I am Karnak.".

Sept ans après sa parution, Karnak n'a rien perdu de sa force, de son originalité, de sa radicalité. Mais cette série révèle certainement et plus généralement pourquoi les Inhumains ne pouvaient pas supplanter les X-Men : eugénistes, antipathiques, trop bizarres, ils n'offraient pas au lecteur un visage assez agréable. Karnak n'a fait que le résumer. Et Ellis le formuler, en seulement six épisodes.

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