vendredi 27 mai 2022

KARNAK : THE FLAW IN ALL THINGS, de Warren Ellis, Gerado Zaffino, Antonio Fuso et Roland Boschi

 

N'ayant plus de nouveautés à critiquer pour cette semaine, j'ai cherché quelque chose dont je n'avais parlé au moment de sa sortie, une lecture que j'avais pas soumis à votre curiosité. Donc, aujourd'hui, séance de rattrapage pour la mni-série Karnak : The Flaw in all Things, écrite par Warren Ellis, accompagné de Gerardo Zaffino, Antonio Fuso et surtout Roland Boschi pour six épisodes consacrés à l'Inhumain le plus creepy dans une aventure palpitante.


Magister de la Tour de Sagess et conseiller auprès du trône d'Attilan, Karnak accepte d'aider Phil Coulson du S.H.I.E.L.D. dans une affaire concerant l'enlèvement d'Adam Roderick exposé aux brumes terrigènes par un organisation religieuse, l'I.D.I.C. (International Data Integration Control).



Après avoir fait parler un agent double du SHIELD, Karnak se rend à Berlin, dans une cellule de l'IDIC. Il y  tue tous les gardes et affronte un prêtre qui lui parle de l'a Chapelle de l'Ombre Unique où séjourne Adam de son plein gré.


Récupéré par Coulson, Karnak obtient du SHIELD les coordonnées de cette Chapelle située dans les Monts Wundagore. Les disciples de l'IDIC les attendent et les attaquent. Mais Karnak trouve la parade et riposte de manière radicale.
 


Les disciples sont évacués de la Chapelle et Karnak en interroge un qui se présente comme le Peintre. Karnak coprend qu'Adam peut donner à chacun le pouvoir qu'il souhaite, ce qui représente aussi bien un miracle qu'une menace.


Karnak est téléporté dans le refuge où s'est déplacé Adam et le confronte. Soumis au jeune Inhumain, le magister trouve la faille dans son pouvoir et le neutralise définitivement. Le garçon est rendu à ses parents tandis que Karnak rentre à sa Tour, en messurant la radicalité de sa solution.

2014 : Jonathan Hickman a écrit l'event Infinity qui met en scène la bataille entre Avengers et Bâtisseurs d'un côté, et Thanos et les Inhumains de l'autre. Le titan cherche son fils parmi les sujet de Black Bolt qui pour contrarier l'ennemi et ses acolytes déclenche une bombe terrigène révélant au monde des agents dormants Inhumains partout. A la même époque, Marvel veut mettre en avant les Inhumains et lance plusieurs séries (Inhumanity, Uncanny Inhumans, All-New Inhumans) avec une idée derrière la tête : en faire les remplaçants des X-Men auprès des fans puisque l'éditeur et Disney n'ont pas les droits d'exploitation cinématographique des mutants (apaprtenant à la Fox).

Finalement, le projet sera un échec, même si Marvel poussera le bouchon jusqu'à organiser un croosover Inhumans vs X-Men, basé sur le fait que les brumes terrigènes menacent le gène mutant. Aujourd'hui, il n'en reste rien, sinon un grand gâchis pour ces personnages créés par Jack Kirby (et un peu Stan Lee), qu'on peut considérer comme la matrice des New Gods puis des Eternels.

Pourtant, dans tout ces errement éditoriaux, une mini-série surnage et reste encore lisible comme ce qu'aurait pu/dû être cette entreprise, si elle avait été confiée à des auteurs inspirés (on se rappelera que Matt Fraction aurait dû piloter cette franchise avant qu'il ne jette l'éponge pour divergences artistiques, et que c'est Charles Soule qui récupéra le bébé avec l'eau du bain). Il s'agit de Karnak, une mini en six parties écrite par Warren Ellis.

Aujourd'hui, ce n'est plus bien vu d'évoquer Ellis, empêtré dans une affaire sordide :  il aurait profité de son statut et de son influence pour séduire des admiratrices, et même si aucune plainte n'a té déposée ni aucune poursuite judiciaire lancée, plus aucun éditeur ne veut travailler avec lui tant que le groupe de ses victimes n'aura estimé qu'il aura fait pénitence. Je n'excuse pas le comportement toxique du scénariste, mais je n'accepte pas davantage cette justice médiatique où un auteur est mis au ban de la société sans avoir été condamné par les autorités. On n'est pas obligé d'être ami ou de trouver quelqu'un sympathique pour lui fournir du boulot et je ne vois pas ce qui fait si peur aux éditeurs.

Mais, avec le recul, la lecture de Karnak s'avère troublante. Comme le dit le personnage dans l'épisode 4 : "Satan is a story. I am Kranak. And I see the flaw in all things." ("Satan est une légende. Je suis Karnak. Et je vois la faille en toutes choses."). C'est presque la phrase qui illustrerait le mieux ce que fut Ellis, et qu'il reste : un diable qui vit la faille à exploiter chez ses proies. Et qui, comme Karnak, à la fin de sa mission, semble affligé par tout cela.

Régulièrement, Ellis, pour gagner sa vie, acceptait des contrats pour des mini-séries, d'une demi-douzaine d'épisodes, entre deux creator-owned. C'est ainsi notamment qu'il a signé un bref run sur Secret Avengers (à la suite de Ed Brubaker et avant Rick Remender), ou comme ici avec Karnak, dans le grand cirque des Inhumans d'alors. Et son génie d'écrivain s'empare de cette commande pour la transformer en un fascinant exercice de style, entraînant le personnage dans une direction radicale, flippante, une mission qui va l'ébranler.

Ici, donc, Le magister de la Tour de la Sagesse est sollicité par le SHIELD pour retrouver un ado kindappé par une secte. Adam Roderick a fait partie de ceux qui ont été exposés aux brumes terrigènes de la bombe déclénchée par Black Bolt dans Infinity et qui a réveillé ses pouvoirs. La traque devient bizarre quand les suspects approchés par Karnak prétendent que Adam a rejoint leur organisation volontairement et qu'il dote des individus désocialisés de pouvoirs qui leur permettent de trouver un sens à leur existence. Le tout est entrecoupé de combats d'une brutalité ahurissante, un motif récurrent chez Ellis (qui avait formulé cela dans un épisode de Global Frequency intitulé Superviolence).

Mais cela n'est que la surface du script car évidemment ce qui intéresse Ellis, c'est la faille de Karnak. Décrit comme un ascète austère, à l'efficacité redoutable, il voit littéralement la faille dans toutes choses - organique, technologique, philosophique, financière, sociétale, etc. Un tel être a-t-il lui-même une faille ? Il faut, pour le savoir, examiner le passé de Karnak que ses parents ne soumirent pas aux brumes terrigènes : techniquement, il n'est donc pas vraiment Inhumain, mais il a développé son talent par l'exercice depuis son enfance, et sa place à part dans la société Inhumaine en a fait un conseiller mais aussi un professeur, un guide. Ce n'est que lorsqu'il est faceà des adversaires qui interrogent son passé, son parcours, qu'on voit Karnak ébranlé, faillible. pas longtemps ca ril se ressaisit vite et réagit promptement et brutalement. Mais tout de même.

Le choix de l'ennemi qu'incarne Adam Roderick est particulièrement malin de la part de Ellis puisqu'il oppose Karnak à un Inhumain qui peut littéralement lui offrir ce qu'il souhaite pour être heureux. La réplique de Karnak sera terrible, glaçante. Mais la dernière image de la dernière page du dernier épisode montre le magister de la Tour de la Sagesse visiblement atteint. Comme d'habitude, Ellis laisse le héros qu'on lui a prêté différent et on aurait eu envie d'une suite, mais en fin de compte, c'est mieux qu'il n'y en ait pas eu car sans Ellis, cela aurait été moins bon, moins fort, moins singulier.

La production de la mini-série fut chaotique à cause de sa partie graphique. Marvel voulut certainement donner au script un artiste capable de le transcender et son choix se porta sur Gerardo Zaffino, un dessinateur au style rugueux et sombre. Il signe des planches finalement décevantes, avec des jeux de hachures trop nombreux, des décors absents (même si, de ce point de vue, la série est très économe, Ellis situant l'action la plupart du temps dans des endroits dépouillés). Zaffino prendra un retard colossal pour livrer un épisode et demi et il faudra même qu'Antonio Fuso termine le deuxième chapitre.

Marvel confia alors à Roland Boschi la suite et fin. Le français, réputé pour sa ponctualité, présentait en outre l'avantage d'avoir un style également assez ténébreux, qui ne jurerait pas avec ce qu'avaient fait Zaffino et Fuso (à qui l'éditeur n'a même pas pensé à transmettre le flambeau).

Il n'empêche, les efforts de Boschi ont payé car c'est bien lui qui a permis au script d'Ellis d'être servi avec le soin qu'il méritait. L'artiste a mis le paquet pour camper Karnak et en faire un type franchement glaçant. Il faut noter que le personnage avait subi un relooking extrême, sacrifiant son costume designé par Kirby à un tenue beaucoup moins super-héroïque, traînant en jean's, veste à capuche, Doc Martin's, et quelques peintures de guerre sur le visage et les épaules. Mais ça n'a pas du déplaire à Ellis (qui n'aime pas les tenues bariolées) ni à Dan Brown (le coloriste qui tire le maximum de cette sobriété vestimentaire comme de l'épure du côté des décors).

Boschi soigne aussi les scènes de baston qui soulignent la technique imparable de Karnak et sa super violence (le gars arrache des têtes avec deux doigts, arrête une balle en plein vol, démolit un immeuble en appuyant sur une fissure, et handicape lourdement un gamin avec une pression légère sur son front !). Jamais cette violence n'est flatteuse, esthétique. Karnak n'est pas aimable et ce qu'il fait subir à ses adversaires est souvent écoeurant. Mais souvenez-vous : "Satan is a story. I am Karnak.".

Sept ans après sa parution, Karnak n'a rien perdu de sa force, de son originalité, de sa radicalité. Mais cette série révèle certainement et plus généralement pourquoi les Inhumains ne pouvaient pas supplanter les X-Men : eugénistes, antipathiques, trop bizarres, ils n'offraient pas au lecteur un visage assez agréable. Karnak n'a fait que le résumer. Et Ellis le formuler, en seulement six épisodes.

jeudi 26 mai 2022

HELLBOY AND THE B.P.R.D. : NIGHT OF THE CYCLOPS, de Mike Mignola et Olivier Vatine


Et on en arrive au n° de Hellboy and the B.P.R.D. sorti cette semaine. Night of the Cyclops est un mini-événement puisque Mike Mignola, qui a écrit seul le scénarion de ce one-shot, en a confié les dessins au français Olivier Vatine. Artiste trop rare, celui-ci doit être (corrigez-moi si je me trompe) le premier de nos compatriotes à s'illustrer sur le détective du paranormal. Et le résultat est à la hauteur des espérances.



Thessalie, Grèce. 1962. Après avoir arrêté un minotaure, Hellboy laisse l'agent Dryades l'embarquer pour aller visiter les environs. Il fait une chute dans une crevasse en suivant une chèvre et rencontre alors Aelita.
 

Celle-ci le prend pour Egipan, associé au dieu Pan, et le mène à sa mère, Sybil, qui lui explique comment, parce que Eros, envoyé par Aphrodite, jalouse de Aelita, a provoqué la malédiction sur leur peuple.


Victime des ravages d'un cyclope, tous comptent sur Hellboy pour les en débarrasser. Mais le monstre, gigantesque, n'est pas facile à vaincre. Et, même une fois terrassé, les ennuis continuent avec l'apparition d'Aphrodite et Eros.


Toujours furieuse, la déesse exige que Eros renonce à son amour pour Aelita. Il s'exécute en tirant une flêche en or sur Hellboy...

Celui-ci, je l'avais noté sur mes tablettes depuis son annonce : pensez, Olivier Vatine dessine un one-shot de Hellboy and the B.P.R.D.  ! Immanquable ! Et avec Mike Mignola seul au scénario ! C'était certain que ça allait être beau et bon. Et c'est bien le cas.

L'action de cette histoire se situe au début des années 60 en Grèce. Le décor est déjà atypique car, après les histoires de maisons hantées que j'ai critiquées récemment, on est là à Thessalie, en plein soleil, loin de tout. Hellboy vient d'appréhender un minotaure - la routine, quoi - le confie à l'agent Dryades du BPRD. Lui reste sur place pour visiter les environs car on devine qu'il ressent quelque chose de spécial sans savoir le nommer. Il ne se doute pas à quel point, effectivement, ce qui l'attend est renversant.

Mignola, cette fois, abandonne toute ironie et nous embarque dans une aventure dépaysante et poétique, avec de nombreuses allusions mythologiques. Mais ici pas de Grands Anciens à la H.P. Lovecraft, pas d'horreur, plutôt une échappée belle, avec quelques péripéties spectaculaires, de la romance aussi.

En voulant attraper une chêvre dont il est persuadé qu'elle lui a parlé, Hellboy fait une chute impressionnante mais à laquelle il survit sans problèmes (le démon a la peau dure et la carapace forgée). Il découvre que la chèvre est devenue une faune séduisante, qui se balade dans le plus simple appareil et qui s'appelle Aelita. Le paysage a également complètement changé pour faire place à un coin de nature paradisiaque. Sauf que cet éden est menacé...

La colère jalouse d'Aphrodite, la romance entre Eros et Aelita, un cyclope : tout s'enchaîne alors à vive allure. Mignola appuie sur l'accélérateur sans pourtant bâcler : son récit est fascinant, dramatique aussi, mais malgré tout empreint d'une sorte de béatitude grâce à la somptuosité des planches d'Olivier Vatine. Ce dernier fait des merveilles : il n'a pas besoin de grand-chose pour planter un cadre (une magnifique double page) et orne les cases de la largeur de la bande d'une frise pour renvoyer à l'imagerie des illustrations antiques. 

Il faut aussi ajouter que, chose rarissime, Dave Stewart a cédé sa place de coloriste au français qui s'acquitte de la charge avec une maestria folle.

On suspend souvent sa lecture pour le simple plaisir de contempler les vignettes, d'apprécier la composition générale des planches. Vatine n'utilise pas beaucoup de cases, il a une narration très aérée, et aucun cadre n'est chargé en informations graphiques. Le trait est fluide, élégant. C'est un enchantement.

Lorsque paraît le cyclope, Mignola emballe l'histoire dans une suite de scènes spectaculaires où le sens du découpage de Vatine rend tout encore plus dynamique. Le combat, déséquilibré, entre le monstre et Hellboy s'achève avec une châtiment qui renvoie à la manière dont Ulysse s'était débarrassé de Polyphème dans L'Odyssée.

Mais le meilleur reste à venir avec le retour d'Aphrodite que Vatine représente dans toute sa grandeur et sa majesté terribles. Lorsqu'elle va écraser Hellboy et Aelita sous son pied, l'artiste fait sentir tout le poids de la géante en montrant progressivement que le couple s'enfonce dans le sable tandis que Eros tente de la raisonner. Il consent à un cruel sacrifice pour qu'elle épargne les malheureux qu'elle a autrefois maudit.

L'épisode se conclut de manière troublante. Presque une pirouette. Tout est allé très vite mais le lecteur comme Hellboy se demande si c'était un rêve. Mignola ne répond pas à cette interrogation, intelligemment il laisse à chacun le soin de se faire un avis. Mais avec Vatine, il nous a conviés à une des plus belles aventures de Hellboy (le BPRD a été singulièrement absent, comme souvent en fait dans ces nouvelles).

DEVIL'S REIGN : OMEGA, de Chip Zdarsky et Roberto De Latorre, Jim Zub et Luciano Vecchio, Rodney Barnes et Guillermo Sanna


Devil's Reign : Omega vient conclure "officiellement" (selon le terme employé par l'editor) l'event écrit par Chip Zdarsky. A la lecture pourtant, on a davantage le sentiment que ce numéro d'une trentaine et quelques pages sert surtout de rampe de lancement à trois futures séries (dont deux sont déjà "officialisées") : la relance de Daredevil, toujours par Zdarsky et Marco Checchetto, et la mini Thunderbolts, par Jim Zub et Sean Izaakse. Plutôt dispensable donc, sauf pour les complétistes.



- Fall and Rise. (Ecrit par Chip Zdarsky et dessiné par Rafael de Latorre.) - Luke Cage, Jessica Jones et Danny Rand, entre autres, assistent aux obséques de Mike Murdock, alors que tous croient qu'il s'agit de Matt. Le fils du Caïd est également là, sachant la vérité et jurant de venger son ami. Luke et Danny apprennent par Daredevil et Elektra qu'ils quittent New York pour démanteler la Main.


Désormais maire de New York, Luke Cage doit composer avec l'équipe de Thunderbolts mise en place par Wilson Fisk. Les super-héros sont toujours persona non grata en ville. Jessica Jones décide d'héberger le dernier fils de l'Homme Pourpre qui a des pouvoirs. Kristen McDuffie se receuille devant le cercueil de Mike/Matt et glisse à l'intérieur la Pierre d'Infinité qu'il possédait.


- Cleaning House. (Ecrit par Jim Zub et dessiné par Luciano Vecchio.) - Pressé de se débarrasser des Thunderbolts de Fisk, Luke Cage procède à l'arrestation de leur chef, Crossbones. Il propose ensuite à Monica Rambeau, venue en renfort, de former une nouvelle équipe. Mais elle décline et Luke doit trouver un remplaçant.


- Mayor for Hire. (Ecrit par Rodney Barnes et dessiné par Guillermo Sanna.) - Luke Cage doit s'adresser pour la première fois en qualité de maire à la presse et au public. Il se souvient des épreuves qu'il a traversées et jure d'oeuvrer pour la communauté avec toute son énergie.

Ce qui frappe après avoir lu Devil's Reign: Omega, c'est finalement que tout ce qui y est raconté aurait très bien pu sans doute être intégré aux séries qu'il annonce. Car, pendant plus de trente pages, on assiste à la fois à un bilan post-Devil's Reign et à ce qui se prépare. Evidemment, le plus gros morceau est réservé à Daredevil dont la série va être relancée le 13 Juin prochain. Mais reprenons dans l'ordre.

Un peu noyé dans le dernier épisode de l'event, on n'a pas bien mesuré l'impact de la mort de Mike Murdock, le "frère" de Matt, créé de toutes pièces par un Inhumain (durant le run de Charles Soule). Tué par Wilson Fisk qui l'a confondu avec Matt, Mike lui ressemble en tout point, il est impossible de les distinguer. Toutefois, quelques personnages sont au courant de la vérité.

Parmi eux, évidemment, Foggy Nelson, mais aussi Luke Cage et Danny Rand, et aussi Butch Pharris, le fils de Fisk, qui était devenu le meilleur ami et associé de Mike. Tous ceux-là jouent le jeu lors des obsèques pendant que les autres pleurent la mort du célèbre avocat aveugle. Butch Pharris jure à Nelson qu'il vengera Mike quand il retrouvera Matt. Quant à Luke et Danny, ils rejoignent Daredevil et Elektra sur le départ : ils partent de New York pour accomplir une mission à haut risque, démanteler la Main.

Chip Zdarsky est donc très transparent sur ce que racontera le nouveau volume de Daredevil à partir de Juin prochain : loin des intrigues urbaines, avec Elektra, l'Homme sans Peur va engager un combat épique contre une organisation de ninjas criminels. Il sera accompagné de Marco Checchetto au dessin (au moins au début car Guillermo Sanna est déjà crédité au n°3 en Août !). Il n'est pas le premier à délocaliser DD pour tenter de lui donner une nouvelle dimension (on se souviendra du deuxième acte du run d'Ann Nocenti et John Romita Jr, sans croire une minute que ce sera égalé en qualité).

Toutefois, je reste dubitatif, parce que je n'ai pas été conquis par le premier run de 36 épisodes de Zdarsky, et aussi parce que visiblement Elektra va continuer à partager le nom de Daredevil avec Matt, ce qui, je trouve, rend l'affaire inutilement confuse et dénature les deux personnages (Elektra n'a même plus besoin de faire ça).

Par ailleurs, Zdarsky se penche sur le nouveau statut de Luke Cage, élu sans opposant à la mairie de New York (puisque Fisk a filé avec Typhoid Mary - bizarrement, personne ne semble préoccupé par cette fuite alors qu'il est recherché pour le meurtre de Mike/Matt, aucun héros ne se lance à sa poursuite !). Dans cette perspective, il s'agit surtout pour le scénariste de passer le relais à Jim Zub pour le segment suivant de ce numéro. Toutefois, il ajoute l'adoption par Jessica Jones du dernier fils de l'Homme Pourpre à qui il reste les pouvoirs de son père, mais sans qu'on sache qui va exploiter cette situation.

Enfin, on voit Kristen McDuffie, création de Mark Waid (durant son run avec Chris Samnee) complètement sous-exploitée par Soule et Zdarsky ensuite, pleurer sur le cercueil de Mike/Matt et y glisser la Pierre d'Infinité (laquelle, je l'ignore, n'ayant pas lu les épisodes où il l'a acquise, et j'ai eu la flemme de chercher). Manière en tout de prévenir que Mike va sûrement ressuciter un de ces quatre (était-ce bien nécessaire ? Oui, si on considère qu'il faut bien trouver de futures emmerdements pour Daredevil...).

Au dessin on a Rafael de Latorre (et non Roberto - maxima mea culpa) qui ne livre pas une prestation très enthousiasmante. J'ai même cru à un clone de Billy Tan désormais. Ses planches sont laides ou au mieux quelconques, ce n'est pas tout simplement pas à la hauteur.

Passons donc à la deuxième partie avec Cleaning House, une sorte de teaser pataud pour la mini-série Thunderbolts de Jim Zub, qui devait débuter ce Mercredi 25 Mai et qui a été reporté à fin Août (!). Luke Cage n'est pas content car les T-Bolts établis par Fisk sont toujours actifs en vertu de l'application de sa loi contre les super-héros. Il décide donc de couper le mal à la racine en arrêtant le chef de cette milice, Crossbones (dommage qu'on l'ait déjà en vu en prison dans Captain America : Symbol of Truth #1...).

Il propose ensuite à Monica Rambeau de former une nouvelle équipe de T-Bolts, mais elle décline. On lui suggère alors Clint Barton, ce qui est logique puisqu'il a déjà dirigé ce groupe. Tout ça aurait pu tenir en moitié moins de pages que ce qu'on a là, et surtout on s'étonnera que ce soit dessiné par le faiblard Luciano Vecchio et non par Sean Izaakse, qui signera la future série avec Zub.

Je ne sais pas trop quoi penser de cette énième relance de Thunderbolts, titre complètement vidé de son idée initiale au fil des incarnations. Souvenons-nous tout de même que Kurt Busiek avait imaginé cela comme une énorme escroquerie montée par le Baron Zemo suite à l'event Onslaught, avec des criminels remplaçant les héros disparus sous de nouvelles identités et des costumes inédits. Ce ne sera pas le cas du projet de Zub (qui, déjà, avait écrit une précédente série Thunderbolts), dont l'objectif sera beaucoup plus classiquement de faire le ménage après les troubles de Devil's Reign en traquant les criminels recrutés par Fisk pour sa police secrète. Le casting réunit des personnages sans série fixe, ce qui fait douter de la confiance de Marvel dans le projet (scénariste peu connu, dessinateur en devenir, casting improbable, raison d'être sans rapport avec l'histoire du titre, ça ne vend pas du rêve).

Enfin Mayor for Hire est le segment le plus étrange du lot dans la mesure où on devine qu'il annonce là encore une (mini ?) série, mais sur laquelle Marvel n'a rien dit ! Luke Cage fait ses premiers pas comme maire en s'adressant à la presse et à la foule devant l'hôtel de ville, après avoir mesuré le chemin parcouru depuis son enfance.

Attention ! C'est une idée que je trouve pleine de potentiel et j'aimerai bien voir ce que donnerait une série sur le Maire Luke Cage. Brian K. Vaughan a développé Ex Machina sur un postulat similaire (un super-héros édile) et Tom Taylor, actuellement, avec Nightwing, fait presque la même chose. Mais qui peut bien imposer un titre pareil ? Et surtout qui d'autre que moi aurait envie d'acheter ça ? A part Bendis, qui était vraiment sincèrement attaché à Luke Cage (dont il avait fait l'étendard de New Avengers), personne n'a employé dignement le premier Power Man depuis (du moins en solo, puisque David Walker et Sanford Greene avait signé une série Power Man & Iron Fist qui valait le détour mais qui n'a pas excédé les quinze épisodes).

Du coup, ce "to be continued" à la fin de ce Mayor for Hire laisse perplexe. Rodney Barnes n'a pas le temps de briller avec si peu de pages, et les dessins de Guillermo Sanna sont sympas mais sans plus (quand on sait qu'il va donc être le fill-in artist de Checchetto sur Daredevil, c'est pas gagné).

Je n'attendais pas de miracle de ce Devil's Reign : Omega, je l'ai acheté simplement pour compléter l'event. Je ne suis donc pas déçu, mais pas emballé non plus par ce qu'il promet. Mais si vous me demandez si c'est dispensable, alors, la réponse est oui.

mercredi 25 mai 2022

HELLBOY AND THE B.P.R.D. : THE SECRET OF CHESBRO HOUSE, de Mike Mignola, Christopher Golden et Shawn McManus


Hellboy and the B.P.R.D. : The Secret of Chesbro House est une histoire complète en deux parties. Mike Mignola l'a co-écrite avec Christopher Golden et en a confié les dessins à Shawn McManus. Une nouvelle fois, il est question d'une maison hantée et de secrets de famille bien flippants : on est donc en terrain connu. Mais c'est efficacement mené et superbement mis en images.


New Paltz, Etat de de New York. 1983. Hellboy rejoint dans la maison de feu Peter Chesbro Mme Helen Zemprelli, une spirite, et Carter Stroud, l'héritier, avec sa fiancée, Serena Wilkins.


Ils sont rejoints par Nigel, le gardien, qui revient sur la mort de Sarah, tuée par son père, Peter, dont le fantôme hante l'endroit. Il aurait caché le corps de sa fille et son trésor dans une pièce secrète.
 

Nigel parti, Helen commence une séance pour contacter l'esprit de Sarah afin qu'elle connaisse enfin le repos éternel. Mais c'est le fantôle de Peter, son père, qui apparaît. Hellboy intervient.


Le spectre de Sarah apparaît ensuite et semble possédée par une force inconnue... (Fin de la première partie.)


On enchaîne avec la suite et fin de cette histoire à réveiller les morts sans attendre.


Consumée par l'effort requis pour invoquer les morts, Helen a le temps de montrer le passé à Hellboy qui découvre que Peter Chesbro a effectivement tué sa fille en en faisant la mère porteuse d'un démon.


Helen meurt. Carter se carapate en direction du sous-sol, guidé par le crâne de son aïeul comme l'indique Serena à Hellboy, qui part à sa poursuite.


Attiré par le trésor qui se cacherait dans la chambre où Sarah fut sacrifié, Carter suivi par Hellboy découvrent un oeuf qui éclot et dont sort une bestiole monstrueuse et enragée.


Carter s'enfuit mais la maison prend feu et il périt écrasé par un lustre. Hellboy se débarrasse du monstre et quitte la demeure pour retrouver Serena qui a suivi son conseil d'en sortir.

Hier, je vous ai parlé du one-shot The Seven Wives Club, dans lequel Mike Mignola et Adam Hughes s'amusaient déjà avec le cliché de la maison hantée. On retrouve ce motif au coeur de The Secret onf the Chesbro House, un diptyque co-écrit par Mignola et Christopher Golden.

Cela vient confirmer ce que je disais la veille quand j'indiquai que Hellboy and the B.P.R.D. répétait volontiers une formule éprouvée. C'est ce qui rend l'entreprise à la fois un brin facile et en même toujours divertissante, comme autant de variations sur le même thème.

En vérité, comme pour The Seven Wives Club, Mignola s'amuse avec son univers et son héros. Il se le permet car il s'agit ici encore d'un Hellboy en formation et non du héros qui agira sans sa série solo dans des aventures beaucoup plus épiques et dramatiques. 

Hellboy est en effet encore jeune, même s'il est difficile de lui donner un âge précis. Il a déjà son petit caractère, mais ce n'est pas une créature achevée, un détective du paranormal aguerri et quelque peu blasé. A cet égard, la première scène qu'il partage avec la spirite Helen Zemprelli est éloquente puisqu'elle est une femme représentée dans sa maturité et qui cerne déjà le Hellboy à venir, suggérant même la violence qui couve en lui et qui ne demande qu'à s'exprimer. On voit à quel point ces réflexions mettent mal à l'aise le démon.

Tout comme il n'est pas tranquille dans cette grande maison décorée de portraits de Peter Chesbro et sa fille Sarah qu'il aurait tuée, la condamnant à ne jamais connaître le repos. Hellboy distribue les rôles en disant qu'il est "les muscles" et Helen Zemprelli "la médium", autrement dit lui s'occupe de cogner et elle de penser. Niveau psychologiue, c'est élémentaire, mais plus fouillé que dans The Seven Wives Club.

L'histoire se complète avec un casting de seconds rôles aussi fouillés : il y a Carter, l'héritier de la maison dont il jouira seulement s'il réussit à apaiser le fantôme de Sarah et qui recevra un joli pactole avec lequel il a promis à sa fiancée, Serena, un beau voyage exotique. Et puis il y a Nigel, le gardien de la maison, un petit bonhomme aux yeux vairons, à la trogne inquiétante, dont les récits sur les soirées dépravées des enfants de Peter Chesbro contribuent à établir une ambiance défintivement flippante. Tout est en place pour que la nuit soit bien agitée...

Et on n'est pas déçu, entre une séance de spiritisme, un monstre dans le sous-sol,, la révélation sur la triste fin de Sarah Chesbro, et la chute de la maison. La mission est un échec pour Hellboy compte tenu des pertes enregistrées, mais le lecteur a eu son compte d'émotions fortes tout ne souriant franchement devant cette succession de péripéties grand-guignolesques. Mignola et Golden ont enfilé les clichés comme des perles avec l'envie manifeste de se moquer d'eux-mêmes et de la série : c'est en cela que ces petites histoires sont si savoureuses, alors que dans les titres Hellboy et B.P.R.D., le ton est beaucoup plus grave.

Shawn McManus est un artiste méconnu mais que j'apprécie beaucoup et que j'aimerai lire plus souvent. Jusqu'à présent, j'ai surtout pu en profiter dans Fables, où il a signé des chapitres annexes. Il a un style très expressif, que le coloriste Dave Stewart met magnifiquement en valeur, comme d'havitude sans empiéter sur son trait et son encrage mais en le réhaussant de nuances parfaites (voir la scène de la séance de spiritisme notamment).

Ce qui est intéressant avec ces artistes invités à s'exercer sur Hellboy, de Alex Maleev à Adam Hughes en pensant par Paolo Rivera ou Stephen Green et Matt Smith, c'est que chacun peut animer le démon à sa manière. Il y a certes un cahier des charges et Mignola n'hésite pas à suggérer (fortement) certains éléments (en particulier au niveau des décors et du design des monstres), mais sinon, chacun est libre d'investir Hellboy comme il le souhaite.

Mc Manus tire Hellboy vers une sorte de cartoon très soigné. Son goût pour les trognes est évident et le détective du paranormal est une créature fabuleuse à cet égard pour le représenter en soulignant ses mimiques. Ainsi, il est amusant de le voir sursauter quand Mme Zemprelli le surprend alors qu'il rôde dans la maison au tout début, un peu comme si le loup avait peur de la biche. Plus tard, quand les fantômes apparaîtront, Hellboy se montrera encore plus nerveux, frappant dans le vide comme s'il espérait en finir sans se rendre compte que cela ne règlera rien. Par contre, une fois face au monstre du sous-sol, il aura matière à se passer les nerfs sans se retenir.

Mais avec les autrs personnages, McManus a aussi un beau terrain de jeu et il a visiblement pris plaisir à donner à chacun un visage et des attitudes que son dessin ne flatte pas. Carter est une sorte de bellâtre surtout attiré par l'argent et n'hésitant pas, dans la confusion, à planter sa fiancée, tandis que celle-ci se montre à la fois dubitative et impressionnable. Helen Zemprelli se distingue par sa classe complètement décalée (on la croirait sortie d'un film noir des années 50 dans cette intrigue datée de 1983), porte cigarette, fourrure, bibi sur la tête, tailleur super chic. Et ne parlons pas de l'affreux Nigel, avec son regard torve, son sourire glaçant, et sa petite taille qui fait penser davantage à celle d'un gnome qu'à celle d'un humain.

McManus, enfin, dessine des décors incroyablement détaillés : le mobilier de la maison, chaque mur, les escaliers en colimaçon, la chambre secrète, tout témoigne d'une recherche bluffante pour faire de cet endroit l'archétype parfait de la maison hantée, autrefois bourgeoise, aujourd'hui abandonnée mais entretenue. On a presque de la peine de la voir partir en fumée, comme on pourrait regretter d'entamer un beau gâteau.

Hellboy and the BPRD : The Secret of Chesbro House est un délice dans le genre de l'épouvante parodique. A savourer pour tous les fans d'Hellboy, mais pas qu'eux. 

ELEKTRA : BLACK, WHITE & BLOOD #4, de Matthew Rosenberg et Alberto Albuquerque, Peach Momoko, Kevin Eastman et Freddie E. Williams


C'est le dernier numéro de cette mini anthologie consacrée à Elektra. Comme d'habitude, nous avons droit à trois courtes histoires suivant la charte graphqiue annoncée dans le titre : Black, White & Blood. Le résultat est honnête, avec des exercices très divers, même si l'ensemble reste souvent anecdotique.


- Powers You Can't Comprehend. (Ecrit par Matthew Rosenberg, dessiné par Alberto Albuquerque.) - Le Caïd envoie Elektra tuer un homme dont elle refuse de savoir pourquoi il est sa cible mais apprenant qu'il est très dangereux et spécial. C'est ainsi qu'elle va affronter Ghost Rider !


- Assassin. (Ecrit et dessiné par Peach Momoko.) - La route d'Elektra, dans le japon féodal, croise celles de samouraïs errants attaqués apr d'étranges créatures. Elle s'en débarrasse et vend leurs dépouilles mais se fait rouler.


- Rendez-vous. (Ecrit par Kevin Eastman et dessiné par Freddie E. Williams.) - Elektra affronte son double dans un combat à mort. Mais cette mort donnera naissance à la véritable tueuse que l'on connaît...

Au bout du compte, cette anthologie sur Elektra déclinée sur trois couleurs (noir, blanc, rouge) aura cruellement manqué de substance. A chaque numéro, seul un segment sur trois aura vraiment retenu l'attention par le soin apporté au créateur qui se sera emparé de la figure iconique de la célèbre assassin ninja. C'est dommage car le personnage a un tel potentiel : c'est même sûrement, avec le Punisher, l'anti-héroïne la plus emblématique chez Marvel depuis une quarantaine d'années.

Ce dernier numéro de Elektra : Black, White & Blood est cependant le plus régulier. Pas forcément le meilleur cela dit. Plutôt celui propose trois histoires de qualité semblable. Pas de grand gagnant, de récit qui sort du lot. Il était certainement temps que ça s'arrête.

Débutons par le segment écrit par Matthew Rosenberg, qui est, de loin, le plus abouti et le plus divertissant. La formule n'est pas originale (le Caïd envoie Elektra exécuter un contrat) mais la cible est, elle, particulièrement inattendue et percutante puisqu'il s'agit du Ghost Rider. Je n'ai pas souvenir que, dans la continuité, les deux personnages se soient croisés, encore moins affrontés, mais c'est ntéressant car Ghost Rider incarne l'Esprit de la Vengeance et le confronter à Elektra donne à celle-ci un adversaire puissant, redoutable en même temps qu'une sorte de test pour qu'elle mesure le danger de son job et le poids des morts qu'elle inflige sur sa conscience.

Malheureusement, cela aurait mérité un story-arc, une mini-série, et on sent que Rosenberg aurait pu aller encore plus loin. Mais Alberto Albuquerque dessine tout ça avec une vraie énergie, un vrai punch. Presque cartoonesque. Ce n'est peut-être pas ce qui est le plus approprié, mais cela donne une autre dimension imprévue à ce duel.

Ensuite, Peach Momoko propose une nouvelle quasiment entièrement muette (seule une phrase en première page situe l'action). Le résultat est pour le moins déroutant et on peut l'interpréter de bien des manières. Ce qui est plus certain en revanche, c'est que la prodige japonaise, chouchoutée par Marvel, établit son chapitre dans l'univers de sa série Demon Days, c'est-à-dire du temps de la féodalité au Japon, ce qui distingue son travail de tous les autres.

Visuellement, c'est splendide et effrayant à la fois. Momoko joue sur les textures (visqueuses, comme le sang, les fluides) pour créer un malaise subtil et en même temps, elle conclut son histoire sur une arnaque subie par Elektra. Là encore, on aurait aimé que ce soit plus long pour découvrir ce qui se passe ensuite. Mais, les fans seront comblés puisque l'artiste signe aussi la couverture (à tomber) de ce numéro.

Enfin, Kevin Eastman, connu pour être un des créateurs des Tortues Ninjas, nous gratifie de l'exercice narratif le plus abouti du lot. Brodant autour d'un poème de Alan Seeger, datant de 1917 (J'ai rendez-vous avec la Mort), il met en scène un duel à mort entre deux Elektra, symboliquement vêtues pour l'une entièrement de blanc, l'autre de noir. A la fin, s'étant entretuées, elle permettent l'émergence de l'Elektra vêtue de sa célèbre tenue rouge.

Ce dispositif est mis en valeur par un découpage extraordinaire de Freddie E. Williams. Si son trait ne me séduit guère, j'ai été épaté par les efforts qu'il déploie pour animer cette bagarre acrobatique et fatale sous la neige, de toit en toit, en passant par un escalier de secours, pour s'achever dans une ruelle. C'est impressionnant de fluidité et de force. Sa complicité avec Eastman (ils sont d'ailleurs crédités comme storytellers et non comme scénariste/artiste) est évidente et logique (Williams ayant lui aussi oeuvré sur les Tortues Ninja, notamment pour un crossover avec... Batman).

Voilà, Elektra : Black, White & Blood, c'est terminé. Aprés Wolverine et Deadpool, et alors que Moon Knight a droit désormais au même traitement, le bilan est moyen, comme si les auteurs ne savaient la plupart du temps pas trop quoi faire avec ce "concept" et ce personnage. Frustrant donc, malgré quelques fulgurances.

mardi 24 mai 2022

HELLBOY AND THE B.P.R.D. : THE SEVEN WIVES CLUB, de Mike Mignola et Adam Hughes

 

Comme ce sera une semaine très maigre en nouveautés à critiquer, je vais revenir sur des lectures que je n'ai pas commentées quand elles sont parues. Et quelque chose que j'aime bien lire pour, disons, me changer les idées, ce sont les one-shots ou mini-séries Hellboy and the B.P.R.D.. C'est rapide, souvent divertissant, on n'a pas besoin d'être très cultivé sur cet univers. Et The Seven Wives Club par Mike Mignola et Adam Hughes est un régal.



Savannah, Georgie. 1992. Hellboy vient au secours de Jane Howell, une amie passionnée par les maisons hantées, et qui vient d'être arrêtée pour avoir tué accidentellement son fiancé.


L'agent du BPRD Pauline Raskin présente à Hellboy Joey Ford dont la mère fut infirmière durant la première guerre mindiale et qui pratiqua plusieurs autopsies sur le corps de Walter Wakeman.


C'est dans la maison de ce dernier que Jane a tué son fiancé et où la mère de Ford avec six autres infirmières commirent des atrocités avant d'être victimes d'étranges accidents.


Hellboy est assailli par leurs fantômes lorsque Pauline découvre sur le corps de Wakeman des coeurs en tissu par lesquels elles ont uni leurs âmes à la sienne....

Hellboy, c'est toujours un peu la même chose :des histoires de monstres, de Grands Anciens inspirés par la littérature de H.P. Lovecraft, de maisons hantées, de fins du monde, de sorciers, etc. Si lire ces histoires intégrées à des séries au long cours, comme celles de Hellboy (en solo) ou du B.P.R.D. (le Bureau de recherche et de défense sur le paranormal, au sein duquel opérent les amis de Hellboy comme Liz Sherman et Abe Sapien) peut être fastidieux, en revanche il existe des productions plus modestes et sympathiques patronnées par Mike Mignola.

Aujourd'hui, alors qu'il prépare(rerait) son retour à sa table de dessin, Mignola est plus actif comme scénariste, ou en tout cas comme chef d'orchestre de son univers aux côtés d'autres auteurs (John Arcudi, Chris Roberson, Chrsitopher Golden...). Mais de temps à autre, le maestro s'offre une escapade en compagnie d'un prestigieux collègue artiste pour un one-shot sur les années de formation de Hellboy au sein du BPRD (avant qu'il y soit rejoint par Sapien et Sherman et compagnie).

C'est ainsi qu'il a écrit The Seven Wives Club pour Adam Hughes, avec lequel il avait déjà collaboré sur Hellboy : Krampusnacht (par ailleurs assez décevant). C'est donc un mini-événement parce que, comme Mignola, Hughes ne dessine plus guère de pages intérieures, ayant acquis gloire et fortune comme cover-artist. Ajoutez-y le coloriste Dave Stewart et vous avez l'équipe complète et prestigieuse de ce numéro.

Comme je l'écrivais en préambule, Hellboy fonctionne sur des recettes éprouvées par son créateur et donc il ne faut pas chercher une quelconque originalité, plutôt le confort qu'assure une histoire complète de vingt pages. 

Ici, on a donc droit à une affaire de maison hantée qui a causé le meurtre accidentel d'un jeune homme par sa fiancée, qui se trouve être une amie de Hellboy. L'action se situe en 1992 dans l'Etat de Georgie dans le Sud-Est de l'Amérique. Flanqué de l'agent Pauline Raskin du BPRD, Hellboy promet de sortir la malheureuse de prison. Pour cela il va devoir suivre Joey Ford dans la demeure précitée où il s'en est passé de belles.

Mignola convoque des motifs familiers avec une sombre histoire qui évoque Barbe-Bleue, dans une ambiance de série Z, avec des infirmières déjantées qui pratiquent des autopsies peu orthodoxes sur un cadavre et unissent leurs âmes à celle de leur cobaye, avant de toutes succomber à d'étranges accidents comme autant de punitions pour leurs péchés. On ne peut réprimer un sourire en lisant ces scènes, voir même un rire franc tellement c'est croquignolet. Mignola s'autoparodie (ou alors se prend vraiment trop au sérieux en croyant nous faire peur) et c'est effectivement très efficace.

La contribution d'Adam Hughes est ici plus concluante que sur Krampusnacht. L'artiste produit des planches somptueuses, dans un style plus expressionniste qu'à l'accoutumée. En effet, il n'a pas ici le loisir de s'adonner à la représentation de jolies filles girondes comme il sait si bien le faire (même si c'est loin d'être son unique talent, mais enfin après toutes ces couvertures de Wonder Woman ou Catwoman, difficile d'occulter cette spécialité).

Son trait réaliste donne une dimension moins effrayante à Hellboy dont, par ailleurs, la caractérisation est plus bonhomme, moins bougonne. La beauté de Pauline Raskin ne parasite pas son tempérament téméraire et résolu. Et Joey Ford s'avère un vrai trouillard dès qu'il entend la voix de sa défunte maman lui conseiller de ne pas rester dans le sous-sol de la maison Wakeman. L'apparition des spectres est d'une élégance funeste imparable tandis que celle du cadavre de Wakeman fait son petit effet (le seul véritable horrifique du récit).

Les couleurs de Dave Stewart sont merveilleuses. Bien que Hughes ait employé un encrage très marqué avec des effets de clair-obscur prononcés, la palette employée créé des contrastes intéressants et habille le dessin sans jamais chercher à le concurrencer. C'est de la très belle ouvrage.

San surprise donc, Mignola et Hughes donnent le meilleur d'eux-même dans cet exercice où affleure une bonne dose d'auto-dérision. Mais avec quelle classe !

ETERNALS #12, de Kieron Gillen et Esad Ribic


Sorti Mercredi dernier, le douzième épisode de Eternals est aussi le dernier. Même si Marvel communique en affirmant qu'il était prévu dès le départ qu'il ne s'agirait que d'une mini-série, on a du mal à le croire. Mais c'est un mal pour un bien car ce second arc aura déçu. Ni Kieron Gillen ni Esad Ribic n'auront été à la hauteur du retour des créations de Jack Kirby.


Montagne des Avengers. Pendant que Kingo occupe Captain America et Black Panther, Ajak extrait avec Makkari les informations du Céleste mort et découvre la sinistre vérité sur les Déviants et Thanos.


Thanos, justement, a extrait de l'esprit de son père A'lars le secret de sa condition : il est à la fois un Eternel et un Déviant, ce qui l'empêche de fusionner avec la Machine - il décide donc de la détruire.
 


La Machine ne faisant qu'un avec la Terre, les Eternels sont rappelés pour contrarier le plan de Thanos. Le titan fou est vaincu grâce à une ruse de Druig. Sersi se charge de justifier tout cela aux Avengers.


Druig est intronisé nouveau Prime Eternel. Fort des connaissances extraites au Céleste mort par Ajak, il cherche de nouvelles déviations excessives et en trouve une, sur une île désormais bien connue...

Les Eternels sont-ils maudits ? On peut sérieusement se poser la question. Jack Kirby les avait imaginés lors de son retour chez Marvel en prolongeant les idées non développées qu'il avait pour les New Gods de DC, mais sans être couronné de succès. Neil Gaiman leur redonnera leur heure de gloire mais ne souhaitera pas animer une série régulière, laissant cette tâche à Charles et Daniel Knauf, qui ne convertiront pas leurs efforts en triomphe. 

Kieron Gillen de retour lui aussi chez Marvel semblait bien parti pour réussir un gros coup après un premier arc de haute facture. A tel point qu'il obtint de Marvel quelques mois de pause pour que son dessinateur puisse souffle en échange de la parution de one-shots pour compléter son projet, avec d'autres artistes. Mais le scénariste s'est ensuite complètement perdu pour aboutir à un second acte navrant.

Eternals témoignent de l'incapacité chronique de Marvel et de ses auteurs à non seulement revitaliseer sur la durée les concepts les plus radicaux de Kirby mais aussi à animer des personnages très puissants (Thor excepté). Dotés de pouvoirs multiples, les Eternels semblent trop forts pour exister dans le schéma établi par Stan Lee des "héros à problèmes" avec lesquels le lecteur peut s'identifier. Et même l'astuce de Gillen, assurant l'éternité de ces héros à la mort d'humains, n'a pas suffi à créer une empathie suffisante. Parce que, simplement, le scénariste n'a pas exploité cette idée ensuite.

L'autre erreur de Gillen, à mon avis, c'est d'avoir introduit Thanos dans son projet. Légitimement, les fans de Marvel, et du MCU par ricochet, ont dû en avoir marre de revoir le titan fou, même s'il incarnait une menace crédible pour les Eternels. L'échec artistique du film de Chloé Zhao n'a pas dû aider non plus, avec des Eternels trop réécrits pour s'y retrouver (et dont on peut dès lors douter qu'ils auront un impact sur de futurs films, à supposer qu'ils aient droit à une suite).

Avec le recul, il y a des bouts d'idées intéressants dans cet arc, comme le fait que Thanos soit défini comme mi-Eternel, mi-Déviant, ce qui l'empêche de communier avec la Machine, d'où sa décision de la détruire, ce qui entraînerait la fin de notre monde. Mais c'est bien peu et surtout c'est trop laborieusement développé pour captiver. Gillen s'est moqué de lui-même sur Twitter en relevant qu'il avait beaucoup décompressé sa narration dans ces six derniers épisodes, prenant pour exemple le fait que Sersi passait trois épisodes dans un bain avec Namor. Mais derrière l'autodérision, il y a un malaise, provenant du sentiment que Gillen a écrit tout ça sans se relire, sans se rendre compte de ses errements.

Et puis, enfin, l'annonce de l'event Judgment Day dans lequel les Eternels occupent le rôle des méchants a plombé l'intérêt qu'on pouvait avoir pour eux. Cela sent l'enterrement en grandes pompes pour des personnages, que Jason Aaron avait déjà montrés morts dans Avengers, et qui ne reviendront certainement pas de sitôt ensuite. Cela rappelle évidemment le forcing de Marvel à une époque pour subsituer aux mutants les Inhumains (dont l'éditeur n'avait plus les droits d'exploitation cinématographiue) et qui s'était soldé par un échec aussi retentissant. Les fans n'aiment pas qu'on tente de remplacer des héros qu'ils adorent depuis des décennies par des seconds couteaux. Il faut désormais espérer que Judgment Day sera plus réussi que le sinistre Inhumans vs X-Men, et que Gillen écrita un event sans intention de se payer sur le dos des mutants...

Esad Ribic aura beau eu avoir du temps pour dessiner ce second arc, il n'aura pas fait illusion, devant même être supplée en partie pour un épisode et complètement remplacé pour un autre. Restent donc quatre numéros réalisés par lui seul et pour un résultat qui n'a rien de fameux.

Pour un dessinateur de son calibre, avec sa technique, c'est même limite indigne. Cet ultime chapitre est un concentré de tout ce que Ribic peut rater. Des finitions paresseuses, des décors à peine tracés, des personnages aux expressions figées, souvent désastreuses. Des compositions hasardeuses surtout, avec des scènes d'action maladroites (et je reste gentil). Mal chronique chez Marvel (un petit peu moins chez DC), l'attribution de séries exposées à des artistes en difficulté avec les délais aboutit à des résultats aussi affligeants et frustrants pour le lecteur.

Matthew Wilson a joué les pompiers de service dans cette catastrophe, mais un coloriste aussi doué soit-il ne peut parfois que souligner l'échec de l'entreprise dans laquelle il est engagé. Lorsqu'il se met au service d'un artiste compétent et appliqué (comme son partenaire favori, Chris Samnee), Wilson l'accompagne avec tout le sérieux et le talent qu'on lui reconnaît. Quand il est livré à lui-même parce que Ribic semble ne plus vouloir/pouvoir faire plus, les carences du dessinateur sont encore plus criantes en constatant tout ce que le coloriste doit combler.

J'ai tenu jusqu'au bout, mais il est certain que désormais quand je verrais un comic-book écrit par Gillen, j'y réfléchirai à deux fois avant de l'acheter. Cela me préoccupe pour Judgment Day car je vais surtout le lire pour Valerio Schiti et en souhaitant que les X-Men ne soient pas saccagés par cet event. On verra bien.

lundi 23 mai 2022

DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS, de Sam Raimi (2022) (Critique avec Spoilers !)


Le retour de Doctor Strange était attendu avec impatience par les fans : d'une part parce que le premier volet avait séduit, et d'autre part parce que cette suite est réalisée par Sam Raimi. Le nom du cinéaste suffit à animer la fan-sphère puisqu'il a contribué à l'essor des fims super-héroïques avec la première trilogie Spider-Man. Mais Doctor Strange in the Multiverse of Madness marque aussi un tournant dans la Phase 4 du MCU : celui où, pour apprécier un film, il faut avoir vu une des séries Marvel sur Disney+.


L'espace inter-universel. America Chavez et Defender Strange sont poursuivis par un démon alors qu'ils cherchent à atteindre le Livre des Vishanti, grâce auquel le Sorcier Suprême peut tout accomplir. Strange est tuié et, effrayée, Chavez ouvre un portail dimensionnel qui les aspire, elle et lui, jusqu'à notre Terre. Alors qu'il assiste au mariage de Christine Palmer, Stephen Strange aperçoit America aux prises avec un autre monstre et vole à son secours, rejoint par Wong. Chavez leur explique qu'elle est chassée pour son pouvoir qu'elle ne maîtrise pas. Wong l'emmène au sanctuaire de Kamar-Taj.


A la recherche d'informations sur le Multivers, Strange rend visite à Wanda Maximoff pour s'apercevoir qu'elle possède le Darkhorld, un grimoire maudit, qui l'a corrompu, et découvrir que c'est elle qui envoie des créatures maléfiques pour capturer Chavez. Grâce au pouvoir de cette dernière, elle compte atteindre une Terre parallèle où elle pourra vivre à nouveau avec ses fils, Tommy et Billy, créés lors de son séjour à Westview. La Sorcière Rouge attaque Kamar-Taj et pour lui échapper, Chavez ouvre un nouveau portail dans lequel elle entraîne Strange.


Ils atterrissent sur la Terre-838 où, en cherchant la résidence de Strange, ils tombent sur le baron Karl Mordo. Celui-ci, hospitalier, les piège en les droguant et remet Chavez à la Christine Palmer de ce monde, spécialisée dans les incursions multiverselles, puis livre Strange au conseil des Illuminati. Ceux-ci expliquent que leur Dr. Strange a vaincu Thanos grâce au Darkhold en sacrifiant un univers parallèle entier, ce qui a conduit à son exécution. Depuis Kamar-Taj, Maximoff localise Strange et Chavez et pour les atteindre, prend possession de son double, qui élève ses fils. Mais une jeune apprentie sorcière détruit le Darkhold en profitant que Wanda est concentrée sur sa tâche. Furieuse, elle oblige Wong à la mener au Mont Wundagore, où a été rédigé le grimoire maudit.


Pendant ce temps, alors que les Illuminati jugent Strange, le double possédé de Wanda attaque leur QG et les tue les uns après les autres. Christine mène Chavez et Strange jusqu'à un portail s'ouvrant sur l'espace inter-universel par lequel il accède tous trois au Livre des Vishanti. Le double de Wanda détruit l'ouvrage, capture Chavez et expulse Strange et Christine sur une autre Terre. Ils tombent sur un monde désolé dans lequel le Dr. Strange garde un exemplaire du Darkhold sous l'emprise duquel il se trouve.


De retour au Mont Wundagore, Maximoff commence le rituel magique pour absorber le pouvoir de Chavez. Les deux Dr. Strange s'affrontent pour le gain du Darkhold et Stephen réussit à s'en emparer en tuant son double maléfique. Il localise Chavez et, en possédant le cadavre du Defender Strange, part affronter Wanda. Chavez lui vient en aide en ouvrant le portail sur la Terre-838 pour montrer à la Sorcière Rouge qu'elle effraie ses fils. Elle renonce à eux et détruit le temple du Mont Wundagore, se laissant ensevelir sous les gravats. Chavez ramène Christine sur sa Terre et Strange dans notre monde avant que Wong ne la reconduise à Kamar-Taj pour qu'elle s'y forme.


Deux scènes supplémentaires surviennent après la fin : 

- dans la première, Strange est interpelé par Clea dans une rue de New York pour réparer une Incursion qu'il a causée en se servant du Darkhold. 

- Dans la seconde, un vendeur de pizzas sur la Terre-838, que Strange avait voulu corriger après avoir traité Chavez de voleuse, voit le sort dont il était victime prendre fin.

La Phase 4 du MCU désoriente beaucoup certains fans des productions Marvel Studis car, contrairement à ce qui se faisait précédemment, il n'y a pas vraiment de fil rouge entre les films, comme Thanos et les Pierres d'Infinité auparavant. On avait cru que Kang serait le grand méchant de cette nouvelle période, mais à part dans la série Loki, l'an dernier, le conquérant temporel n'a plus fait d'apparition.

Qu'il s'agisse donc de Black Widow, des Eternels, de Spider-Man ou de Doctor Strange, les films existent désormais sans quelque chose qui les relie. Etait-ce une intention programmée dès le lancement de cette nouvelle Phase ? Ou une conséquence de la pandémie mondiale qui a obligé Marvel/Disney comme toutes les majors à réviser leurs plans pour leurs franchises à succès ? Sans doute un peu des deux puisque Kevin Feige, le big boss du MCU, a souvent expliqué qu'il souhaitait tenter de nouvelles choses, ne plus dépendre des Avengers (allant même jusqu'à affirmer que Endgame était bien le dernier long métrage avec l'équipe, il est vrai amputé de membres emblématiques comme Iron Man et Captain America).

Ces expériences n'ont pas été très heureuses, il faut bien le constater. Black Widow n'a rien apporté. Les Eternels a été un ratage sidéral. Spider-Man : No Way Home, très bien par ailleurs, a surtout confirmé que le MCU dépendait de ses héros iconiques restants. Pendant ce temps, en revanche, sur Disney+, on a tenté davantage, avec certes plus ou moins de bonheur, mais de manière très intéressante quand ça fonctionnait - particulièrement avec Loki et WandaVision.

Ce qui frappe avec Doctor Strange in the Multiverse of Madness en fait, c'est que pour la première fois on doit, pour comprendre le film, avoir vu les séries Marvel sur Disney+ et plus spécialement Loki et WandaVision. Loki car cela a introduit la notion du Multivers de Marvel. Et WandaVision pour saisir l'état dans lequel on retrouve Wanda Maximoff ici, avec une mention aux "événements de Westview", aux fils de la Sorcière Rouge, et à la motivation de sa quête qui s'oppose à celle de Stephen Strange dans l'intrigue.

Le scénario de Michael Waldron intrègre donc des éléments qui n'ont pas été développés dans des longs métrages de cinéma mais dans des productions pour le streaming. C'est en quelque sorte une boucle puisque le MCU dans les salles s'est cosntruit comme une série de films aboutissant aux réunions régulières et paroxystiques des Avengers (Avengers, Avengers : l'ère d'Ultron, Avengers : Infinity War, Avengers : Endgame). Et aujourd'hui que le MCU s'étend au streaming via des séries, ce sont les films qui viennent puiser leurs idées motrices chez elles.

Il est donc question sur le fond et sur la forme de passage entre deux médias, deux univers. C'est le concept même du Multivers, une idée scientifique sérieuse au départ et exploitée de manière fantaisiste pour le divertissement cinématographique et télévisuel. Waldron transpose cela de façon encore plus directe que c'était le cas dans Spider-Man : No Way Home où il s'agissait "seulement" d'attirer dans notre monde des Spider-Man d'autres Terres. Là, les héros explorent ce Multivers plus activement en visitant d'autres Terres, mais pas gratuitement, pour faire une sorte de tourisme, mais pour sauver cette construction dimensionnelle et contrecarrer le plan fou de la Sorcière Rouge.

Le seul bémol concernant le scénario concerne, pour moi, la présence des Illuminati. Je trouve cette idée sous-exploitée et ses membres trop vite (et trop facilement) sacrifiés (peut-être aussi parce que leurs interprètes n'ont pas vocation à revenir dans le MCU). Certes, ça fait plaisir de revoir par exemple Patrick Stewart en Pr. X, Hayley Atwell en Captain Carter, ou même Anson Mount en Black Bolt, mais c'est léger. La déception est accentuée par le fait que la rumeur Tom Cruise en Superior Iron Man n'ait été qu'une rumeur. Et je ne suis vraiment pas fan (ni convaincu) par John Krasinski en Mr. Fantastic.

D'aucuns jugeront qu'en fait de Multivers et de Terres parallèles, on n'en voit pas beaucoup. Sam Raimi aurait d'abord monté une version plus longue de son film (aux alentours de 2h 40, ai-je lu) avant de couper une demi-heure (non pas sur ordre de la production mais de son propre gré). Etonnant revirement, surtout dans le MCU où les longs métrages excèdent souvent les 120'. Mais ce choix artistique s'avère payant car le résultat est incroyablement rythmé, et surtout ne donne pas l'impression qu'il manque des scènes (peut-être montrant d'autres Terres, sans réelle justification autre que de les montrer justement). Et la rumeur court que le prochain volet de Thor, Love and Thunder, aboutit elle aussi à une durée plus ramassée encore !

Cela, je le répéte, ne me semble à aucun moment préjudiciable pour l'histoire. Sam Raimi met toute sa science de la mise en scène, avec des gimmicks esthétiques qu'il affectionne (zooms, décadrages vertigineux, narration parallèle), au service du script et des personnages, et donne au film une griffe plus stylisée que la moyenne de ce qu'on voit dans le MCU (où ce sont surtout des trublions comme Taïka Waititi et James Gunn qui se font remarquer). La caractérisation en ressort plus saillante et dramatique, avec un accent prononcé pour celle de Wanda qui, certes, devient la méchante de l'affaire, mais avec un final qui, sans l'absoudre, rend sa trajectoire vraiment poignante. Strange reste ce Doctor arrogant mais bien remué par ces péripéties au contact de America Chavez, qui est le pivot de l'intrigue.

L'interprétation rend justice à cette double écriture, narrative et visuelle. Sam Raimi dispose d'acteurs parmi les plus doués pour la composition du MCU. Benedict Cumberbatch subit beaucoup (trop selon certains commentateurs) mais compense par son charisme naturel et insuffle à son personnage de subtil dosage entre suffisance et débrouille, soulignant que Strange n'est pas un super-héros commun mais bien un docteur qui doit réparer (y compris ses propres erreurs). Elizabeth Olsen, déjà remarquable dans WandaVision, profite ici d'un retour en fanfare et délivre une prestation magistrale, inquiétante et fragile à la fois. La jeune Xochitl Gomez n'a pas l'envergure de la Miss America Chavez des comics (représentée dans la vingtaine, et non comme une ado, athlétique et avec un caractère bien trempé, non comme une héroïne ne maîtrisant pas ses pouvoirs et impressionnable), mais elle convainc de plus en plus à mesure que le film progresse, par sa fraîcheur (il est aussi indéniable que le choix d'une actrice aussi jeune fait partie d'un plan plus vaste de Kevin Feige, qui pense peut-être à un futur film Young Avengers avec Hailee Steinfeld/Hawkeye/Kate Bishop, Iman Vellani/Kamala Khan/Ms Marvel, Dominique Thorne/Riri Williams/Iron Heart...).

Et, cadeau bonus, dans la première scène post-générique, on découvre Charlize Theron dans le rôle de Clea (même si son nom n'est pas dit). Le recrutement d'une actrice de ce rang pour un personnage aussi lié dans les comics à Strange indique qu'on la reverra.

Doctor Strange in the Multiverse of Madness est un excellent cru. Après Spider-Man : No Way Home, cela prouve qu'il est plus attractif et convaincant de prolonger la filmographie du MCU avec ses têtes d'affiche (et à utiliser d'autres héros, moins vendeurs ou jamais adaptés dans des séries sur Disney+). Au-delà, c'est un divertissement souvent virtuose dans sa réalisation et fantastique dans son interprétation, le tout avec un scénario vif et mouvementé.