vendredi 25 mars 2022

THE HUMAN TARGET #6, de Tom King et Greg Smallwood


Avec ce sixième épisode de The Human Target, on arrive à la moitié de la mini-série écrite par Tom King et dessinée par Greg Smallwood. Et il faudra être patient avant de découvrir la suite (et fin) de l'histoire puisque le titre ne reviendra qu'en Septembre prochain. King avait toutefois promis qu'il laisserait le lecteur sur une note qui le laisserait pantois et l'obligerait à revenir. Il n'a pas pas menti...


Ice et Chance se disputent car ce dernier tente de lui expliquer que la principale suspecte sans l'enquête qu'il mène sur l'empoisonnement dont il est victime n'est autre que Fire, sa meilleure amie. Ice refuse d'adhérer à cette thèse et claque la porte. Chance est pris d'une violente quinte de toux.


Quelques heures plus tard, il se rend chez les Dr. Midnight qui a procédé à de nouvelles analyses sur le poison que tue à petit feu Chance. Il l'interroge sur les progrès de son enquête et l'invite à aller avec lui à l'église. Chance ricane et se retire.


Chance organise sa journée pour surveiller Fire avant de l'aborder pour l'interroger. Son temps est compté et il ne doit pas éveiller ses soupçons trop vite. Mais avant cela il retourne chez Ice pour s'excuser. Ils s'embrassent et font l'amour sans évoquer Fire.


Le sujet est tabou et Chance l'évite. Mais c'est sans compter sur Guy Gardner qui resurgit pour corriger son rival, qui l'a humilié trois jours plus tôt. Ice s'en mêle. La situation dégénère. Dramatiquement...

Ce résumé couvre les événements de cet épisode jusqu'à la page 15. Il en reste encore 13 ensuite. Mais j'ai décidé de ne pas révéler ce qu'elles racontent car je considère que ce serait un tros gros spoiler. La série va s'interrompre pendant six mois et elle reprendra donc en Septembre avec le septième épisode, qui paraîtra en même temps que le premier recueil (collectant les six premiers numéros). A ce moment-là, tous ceux qui n'auront pas lu The Human Target pourront donc profiter d'une séance de rattrapage en v.o. et découvrir ce que Tom King et Greg Smallwood ont réalisé dans ces treize dernières pages.

Le scénariste avait prévenu : compte tenu du break de la série, il comptait bien laisser le lecteur choqué par une action qui modifierait tout, y compris les attentes pour le second acte. C'était aussi un moyen de s'assurer du retour des fans en Septembre qui ainsi voudraient savoir à tout prix comment Christopher Chance allait conclure son enquête.

Tom King n'a pas menti, ce n'est pas un effet de manche ou une promesse en l'air : passée cette page 15, on reste ahuri, choqué, la série change de dimension et on se demande comment tout ça va finir. Dans un monde de comics où les éditeurs et les auteurs, complices, garantissent régulièrement que "plus rien ne sera comme avant" après un arc narratif ou un event, et où ça finit par sonner creux parce que des morts finissent par ressuciter, des héros deviennent des vilains ou l'inverse, des couples explosent, Méphisto réécrit l'histoire, etc., on apprécie qu'un scénariste ose vraiment nous laisser comme deux ronds de flanc, tellement surpris par une scène qu'on ne sait plus quoi dire. Oui, c'est de ce niveau-là.

Et on en revient encore et toujours à la spécificité du Black Label où les histoires se déroulent hors continuité, cet espace précieux de liberté où les auteurs peuvent se permettre ce qui leur est interdit dans une série ordinaire. J'ai lu des commentaires sur la fin de cet épisode où certains ne comprenaient toujours pas que The Human Target n'appartenait pas à la continuité et qui étaient en définitive plus choqués par le comportement réécrit de certains protagonistes que par ce qui se venait de se passer. A croire que ces lecteurs-là lisent tout au premier degré et n'ont toujours pas saisi que le Black Label est à part...

Mais revenons à l'épisode. Il débute par une prise de bec. Après avoir interrogé Ice, Booster Gold, Blue Beetle, le Limier Martien, Christopher Chance a compris que tout accuse Beatriz da Costa alias Fire. Elle est celle qui est la plus susceptible d'avoir tenté d'éliminer par le poison Lex Luthor sans avoir sur que Chance avait pris sa place au mauvais moment. Elle avait accès à l'argent, au poison, elle avait une liaison avec le Limier Martien, était l'amie de Booster Gold, de Blue Beetle et surtout de Ice, que Luthor avec Overmaster avait tuée.

Malheureusement pour Chance, Fire est la meilleure amie de Ice, presque comme une soeur pour elle. Et Ice ne peut envisager que Fire soit ne serait-ce que suspecte. Chance a beau raisonner en pointant la convergence des indices dans la direction de Fire, il ne fait que provoquer la colère de Ice. Celle-ci claque la porte de la chambre d'hôtel de Chance er refuse même de lui porter secours quand il est alors pris d'une de ses quintes de toux terribles, signalant la progression de sa déchéance physique.

King va se servir de cette rupture apparemment définitive pour lancer cet épisode qui esquive ce que sa couverture promet, c'est-à-dire Guy Gardner, l'ex-petit ami très jaloux et très stupide de Ice, qui ne supporte pas sa romance avec Chance. On s'attendait à un interrogatoire, musclé, entre Chance et Gardner. Il n'aura pas lieu. Et toute la série déraille, sort de son programme, comme si un bug déréglait sa belle mécanique. Ce grain de sable, c'est l'élément-clé de l'épisode, et King va l'utiliser pour déstabiliser ses personnages et le lecteur, qui ne sait plus à quoi s'attendre. Et donc qui sera encore plus ébranlé par ce qui se passera au-délà de la page 15...

S'ensuit une visite de Chance chez le Dr. Midnight. Celui-ci a fait de nouvelles analyses, mais sans réussir à concocter un antidote. Là aussi, la scène dévie de son axe de manière subtile. Puisqu'il n'est plus question de sauver Chance, que le diagnostic fatal est confirmé, peut-être est-il encore temps pour Chance de penser à ses derniers  jours autrement, d'autant plus que son couple avec Ice semble s'être désintégré. Midnight lui suggère, délicatement, d'autres voies que la quête de vérité et surtout de vengeance. Pour cela, un lieu s'impose : l'église. King a développé en interview ce qu'il a voulu intégrer à son récit.

Le scénariste a un frère qui est entré dans les ordres. Il s'entend bien avec lui, même si King est athée et agnostique. Il a expliqué n'avoir jamais cru en Dieu, mais que ceci s'est confirmé après son expérience militaire et son passage au sein de la CIA où il a été confronté aux horreurs de la guerre. Pourtant il demeure fsciné par la foi, la croyance, et la vocation de son frère. Dans Strange Adventures, il a ainsi opposé à Adam Strange, considéré comme un néo-Messie sur Rann, Mr. Terrific, l'homme de sciences par excellence, chargé d'enquêter sur les soupçons de crimes de guerre à l'encontre du héros. King a admis s'être beaucoup identifié dans Mr. Terrific, qui représente la meilleure version de lui-même.

Cette fois, avec The Human Target, il a voulu écrire Christopher Chance comme le parangon du cool. Pas un cool man désinvolte, mais plutôt un homme détaché de tout car il a perdu l'essentiel - son père, et désormais sa vie, ses derniers jours. Un cool fataliste, à la limite du cynisme, mais qui surtout, n'ayant plus rien à perdre, va employer ses dernières forces pour découvrir la vérité sur celui/celle qui l'a tué involontairement. Et, donc, pour contrebalancer ce personnage, cette attitude, King a jeté son dévolu sur, cette fois, un pur homme de foi, comme son frère.

Dans les aventures de la JSA, Dr. Midnight et Mr. Terrific sont très amis mais incarnent deux versions de l'homme. Terrific est la science, la raison. Midnight est le croyant, l'idéaliste. En mettant Midnight face à Chance, King orchestre un duo de voix qui ne peuvent s'accorder mais qui donne du relief à chacune de leurs convictions. Midnight considère avec tristesse et dépit la réaction hilare et désespérée de Chance quand il l'invite à l'accompagner dans une église pour faire la paix avec lui-même et le monde, ses injustices (et en premier celle qui le frappe). En voix off, Chance se remémore un dialogue avec son père quand, après avoir lu pour la première fois des écrits religieux, il lui demanda s'il était catholique, musulman, juif et que son père lui répondit que c'était un choix personnel de croire ou non. Lorsque, ensuite, Chance a assisté au meurtre de son père, ce qui lui restait de foi - en Dieu ou en l'homme - a disparu. Alors, aller dans un église, prier un Dieu, quel qu'il soit, se réconcilier avec lui et l'humanité, non, ce n'est plus possible depuis longtemps. Il ne peut qu'en ricaner.

Une page est ensuite consacré à la planification de sa journée par Chance. Il veut espionner Fire, identifier ses faiblesses, étudier son comportement, avant de l'aborder, la questionner - la faire avouer peut-être. Son temps est compté et la journée déjà bien entamée après la dispute de ce matin avec Ice, les whiskys avalés en trop, les heures de sommeil qui ont suivi, la discussion avec Midnight. Chance, au fond, sans se l'avouer, sent que c'est une journée perdue déjà. Alors, avant, de passer à l'action avec Fire, il va revoir Ice, tenter de recoller les morceaux. Détour dramatique.

Pourtant, ils coucheront ensemble, éviteront de parler de Fire, des soupçons de Chance, du programme qu'a planifié ce dernier pour la suite. Jusqu'à ce que Guy Gardner se resurgisse et ne fasse tout capoter... Quelques heures plus tard, cette journée prendra fin et Chance comprendra son idiotie à l'avoir vraiment perdu, à s'être dispersé, tout en échouant visiblement à mesurer les conséquences de ce qui vient de se produire et qui risque d'altérer les événements bien au-delà de cette journée. Il va bien retrouver Fire et dans le prochain épisode, en Septembre, cela promet beaucoup étant donné les mots qu'elle prononce en le voyant entrer dans son bureau où elle l'attend...

Cette partition virtuose, il faut la faire jouer par un interprète lui-même exceptionnel. Greg Smallwood a ébloui tout le monde depuis le début de la série. Quand vous suivez les comptes Twitter de plusieurs scénaristes et artistes comme moi, qui suivent l'histoire, c'est une unanimité exceptionnelle. Tout le monde est bluffé. Les lecteurs sont aussi comblés, pas un pour ne pas être ébloui par la prestation de Smallwood, beaucoup découvrent sans doute le dessinateur grâce à The Human Target et vont, dans le prochains mois, acheter ses précédents comics pour vérifier si il était déjà aussi bon avant.

Smallwood ne fait pas que bien dessiner chaque épisode, le mettre en couleurs, affiner sa complicité avec le lettreur, lui-même fantastique, qu'est Clayton Cowles. Non, il va au-delà. Chaque nouvel épisode est aussi bon que le précédent, et même encore meilleur, plus jubilatoire, plus étincelant. Sa technique est impressionnante, c'est comme assister à un cours magistral sur l'art séquentiel, mais avec des exemples réalisés par le professeur lui-même.

Ce qui me frappe le plus, c'est la justesse de Smallwood. Ce n'est pas un artiste qui cherche à dépasser le script - il le fait certes, mais l'air de rien. Il ajoute un niveau de lecture supplementaire au texte et prouve que l'image dans l'art séquentiel est une écriture à part entière. Son dessin prolonge le script, le transcende. Par l'expressivité, le cadrage, la valeur des plans, la composition, le rythme. Il peut se payer le luxe d'une splash page sans qu'on ait le sentiment qu'il gagne une page facilement ou pou épater la galerie, mais plutôt parce qu'à ce moment-là, la pleine page est le plan le plus juste, le plus fort pour traduire l'intention du texte. Il peut aussi produire une page sans personnage (!) sans qu'on ait l'impression qu'il se repose sur le texte, parce qu'il remplace les acteurs du récit par un effet minimaliste mais percutant. Et il peut enfin offrir au lettreur un terrain de jeu savoureux pour placer les crédits de l'épisode dans des éléments de l'image, de telle sorte que c'est à la fois amusant et épatant.

Alors, oui, bien sûr, six mois, ça va être long pour découvrir la suite. Mais c'est le prix à payer pour que Smallwood ne soit pas remplacé par un fill-in artist de moindre qualité  juste pour que la série sorte mensuellement. Moi, en tout cas, je préfère attendre et avoir au final douze épisodes dessinés par Smallwood. Parce que sans lui, The Human Target ne serait pas la même série. Quant à King, son script a été bouclé avant même la première planche, il a tout écrit d'un jet (!). Ses fans, comme moi, ne seont pas orphelins puisque, avant Septembre, il proposera, entre autres, Danger Street (avec Jorge Fornes).

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