samedi 1 janvier 2022

BLACK HAMMER : REBORN #7, de Jeff Lemire, Malachi Ward et Matthew Sheean


Dernier comic-book lu en 2021 et premier critiqué en 2022, le septième épisode de Black Hammer : Reborn m'a enchanté. Je me répéte à chaque fois mais Jeff Lemire m'impressionne par son brio narratif, et quand on est fan de Black Hammer, son univers, le plaisir est total. Au dessin, le tandem Malachi Ward-Matthew Sheean est aussi bluffant. Bref, une réussite totale.
 

Le colonel Weird flotte en apesanteur dans son vaisseau. Il observe son reflet dans un hiblot et le voit s'éloigner et disparaître. Puis il gagne la salle de pilotage où le robot Talky-Walky cartographie la Para-Zone et signale une anomalie. Weird décide de faire une sortie extra-véhiculaire.


La Para-Zone dévoile à Weird le passé, le présent et le futur. Mais son attention esst attirée par une conversation. Il trouve le Dr. Andromeda et son double maléfique qui lui révèle que la Para-Zone n'est qu'une partie d'un ensemble plus vaste, le Para-Vers.


Andromeda est blessé par son double quand il refuse de réveiller l'Anti-Dieu, qui sommeille au coeur du Para-Vers. Weird aperçoit le géant endormi et comprend que s'il est réveillé, un nouveau cataclysme cosmique se produira.


Weird se téléporte dans le salon des Weber et pour forcer Lucy à l'aider, il n'hésite pas à tuer son mari et ses deux enfants. Le colonel se réveille en apesanteur dans son vaisseau. Il comprend confusément que lui aussi a un double maléfique, comme Andromeda, qui l'a poussé à tuer la famille de Lucy Weber...

Plus l'intrigue de Black Hammer : Reborn se déploie, plus elle devient vertigineuse. Jeff Lemire brasse des concepts déjà vus chez Marvel (les "incursions" préfigurant Secret Wars de Jonathan Hickman) et DC (les "crisis" qui réécrivent l'histoire avec leur lot de sacrifices de héros), mais il les synthétise si magistralement que cela aboutit à des épisodes denses et insensés.

Ce septième épisode dévoile ainsi ce qui a amené le colonel Weird à tuer le mari et les enfants de Lucy Weber/Black Hammer II. Et ce qu'on découvre est saisissant. On sait qu'actuellement deux Spiral City sont sur le point d'entrer en collision (écho aux "incursions" de Hickman). L'une d'elles est la Spiral City que l'on connaît depuis le début de l'univers Black Hammer (la ville des héros de la série Black Hammer et ses suites, des Unbelievable Unteens, de Skulldigger, du Dr. Andromeda), l'autre est son double maléfique (avec des doubles des héros qui oeuvrent pour que subsiste leur cité).

Lucy Weber a ainsi découvert que le Dr. Andromeda est prisonnier dans la sombre Spiral City et, capturée par Sherlock Frankenstein et sa Ligue du Mal, avec Skulldigger, elle doit le retouver car il semble le seul en mesure de corriger cette catastrophe. Parallèlement à cela, l'Anti-Dieu, ce géant destructeur qu'avaient affronté les héros de la série Black Hammer (et dont ils avaient appris que son existence étaient liés à la leur), est endormi au coeur du Para-Vers, un espace-temps au sein duquel cohaibitent des terres parallèles et d'où vient la sombre Spiral City. Le double maléfique d'Andromeda souhaite réveiller l'Anti-Dieu pour s'assurer de la destruction de la "bonne" Spiral City. Vous suivez ? Je vous avais prévenus : c'est dense.

Mais le talent - le génie - de Jeff Lemire, c'est de rendre tout ça intelligible, raconté de manière fluide. Il est en vérité plus difficile de résumer Black Hammer : Reborn que de le lire car la lecture coule de source, chaque partie du récit étant clairement exposé, chaque événement s'imbriquant naturellement.

Cet épisode est une sorte d'intermède dans la série, et ce n'est pas hasard s'il intervient à mi-parcours (Black Hammer : Reborn comptera 12 épisodes). C'est le bon moment pour à la fois expliquer un moment majeur, crucial, "pivotal", et en même temps en rajouter une couche pour que le lecteur comprenne que rien n'est gagné. Donc : le colonel Weird (ersatz d'Adam Strange, Captain Comet et des héros de la science et de l'espace) devine que quelque chose ne tourne pas rond. Il est lui-même depuis longtemps franchement largué, devenu fou à force de naviguer dans la Para-Zone, un endroit où passé, présent et futur sont visibles et où donc tous les repères sont brouillés.

Pourtant, cet explorateur reste un découvreur et ce qu'il va apprendre remet tout en question puisque, alors qu'avec son robot Talky-Walky, il cartographie la Para-Zone, il va se rendre compte qu'elle n'est qu'une partie d'un ensemble beaucoup, beaucoup plus vaste. Et cela a des conséquences concrètes, comme l'existence d'un double maléfique qui soit l'a poussé à commettre un meurtre atroce, soit a tué en usurpant son identité. Le choc est tel que Weird va peut-être recouvrer ses esprits à cause de ça et être une carte maîtresse pour la suite de l'histoire.

Pour mettre en images un épisode pareil, il faut disposer d'artistes exceptionnels, à même de traduire visuellement la folie et l'angoisse générées par le scénario. Malachi Ward et Matthew Sheean livrent leur meilleure prestation depuis qu'ils ont pris le relais de Caitlyn Yarsky en enchaînant des doubles pages exceptionnelles.

Ce qui sidère dans leur travail, c'est d'abord la finesse du trait et la maîtrise des compositions. C'est essentiel quand on travaille sur des images aussi grandes et des découpages aussi sophistiqués, non seulement pour restituer au mieux les détails de ce qu'on veut montrer mais aussi pour que cela reste constamment lisible.

Mais surtout Ward et Sheean sont bluffants par la manière dont ils comprennent et restituent le script. C'est un vrai prolongement des délires si ciselés de Lemire et la beauté de leurs plans le disputent à la justesse de leur interprétation du scénario. On a cette impression que les trois hommes parlent d'une même voix dans deux langues différentes (l'écrit, le dessin). La rareté de cette complicité fait tout le prix, toute la valeur du résultat, couplée aux nuances des couleurs, qui donnent une texture, une matière à cet effort graphique.

C'est grand, c'est fort ce que font Lemire et ses dessinateurs. Ils donnent une vraie leçon de narration en concentrant de façon si intense et vibrante ce que des éditeurs plus gros mettent parfois des années à mettre en place. 

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