samedi 4 décembre 2021

KING OF SPIES #1, de Mark Millar et Matteo Scalera


Une dernière friandise pour terminer cette semaine de sortie ? Alors King of Spies sera parfait. Il s'agit d'une nouvelle mini-série signée Mark Millar qui retrouve Matteo Scalera avec qui il avait produit Space Bandits. Cette fois, c'est beucoup mieux grâce à un pitch simple et accrocheur, qui renvoie d'ailleurs à de précédents comics du scénariste, et des dessins survitaminés. 



1990. Panama. Roland King, le meilleur espion de la couronne britannique, accomplit une mission avec son zèle coutumier. Sa cible : un narco-trafiquant sur le point de se réfugier à Cuba et qui a employé deux mercenaires très dangereux pour s'assurer que l'agent secret ne l'attrapera pas. Peine perdue.


De nos jours. A 65 ans, Roland King est décoré par la Reine pour ses états de service. Elle lui signifie que les récompenses honorent les sacrifices plus que la bravoure. Mais King a la tête ailleurs : il est malade et envisage la retraite avec difficulté.


Il se confie à son meilleur ami, tout en reconnaissant que son métier l'a conduit à des actes peu glorieux. Il a négligé sa famille au point que son fils, Atticus, ne veut plus le voir. Pris d'un malaise, il est hospitalisé et apprend qu'il a une tumeur au cerveau. Le pronostic : six mois à vivre.


Rongé par les regrets et désabusé, après avoir tué un oligarque russe qui malmenait une serveuse, King décide de partir en beauté. Comprenez en débarrassant l'humanité de tous les puissants qui ont la corompent, l'asservissent et la détruisent.

Mark Millar est un scénariste qui ne prend pas de pincettes mais sait faire parler de son travail. Ce côté bateleur agace ou réjouit, d'autant qu'il est désormais considéré par les puristes comme une sorte de traître à la cause depuis qu'il a vendu son label Millarworld à Netflix. Déjà qu'avant cela on lui reprochait en permanence de ne développer que des comics pour en tirer des films ou des séries télé, alors maintenant...

Pourtant Millar reste viscéralement un amoureux des comics. La preuve : lorsqu'il a justement vendu son Millarworld à Netflix, les dirigeants de la plateforme se sont étonnées qu'il veuille continuer à écrire de la BD. Par ailleurs, c'est un des derniers ténors du milieu à ne pas avoir cédé aux sirènes des comics numériques. Il aime les floppies, les trade paperpacks, et ses références sont internationales (il cite aussi bien Iznogoud que Superman).

Enfin, bien qu'i soit aujourd'hui plus riche que tous ses collègues et pourrait donc se tourner les pouces, Millar n'a pas oublié ses origines modestes et promeut le Neuvième Art avec plus de fougue et de passion que la plupart des gens qui bossent dans le milieu. Alors oui, il parle beaucoup, parfois à tort et à travers, c'est un camelot, roublard, un businessman, avec une oeuvre où le pire côtoie le meilleur. Mais il aime son job et ne l'échangerait pour rien au monde.

Parmi ses sujets favoris, on remarquera que Millar a un goût affiché pour les vieux. D'ailleurs un de ses plus fameux hits, chez Marvel, fut Old Man Logan, une dystopie avec le mutant griffu. Dans ses creator-owned, une de ses mini-séries les plus abouties est Starlight, sur un simili Flash Gordon en bout de course. Et aujourd'hui, le turbulent écossais revient à cette figure fétiche avec King of Spies, une sorte de mix improbable entre James Bond et Impitoyable. Old Man Bond en somme.

Quentin Tarantino avait, il y a quelques années, exprimé son souhait de se frotter au mythe bondien en imaginant un long métrage sur l'espion préféré de sa majesté dans ses vieux jours, qu'il aurait donné à jouer à Pierce Brosnan. Mais comme souvent avec Tarantino, ça restera un rêve de film. Alors, comme les bonnes idées ne meurent jamais, Mark Millar a dû se dire, avec à-propos, qu'il en ferait une BD.

King of Spies, c'est donc la dernière aventure de Roland King, condamné par une tumeur au cerveau et qui décide de partir en beauté en éliminant tous ceux qu'il juge responsable du déclin du monde qu'il a pensé sauver dans sa carrière. Personne n'est à l'abri car il n'a donc plus rien à perdre et qu'il a encore de beaux restes. Un russe grossier en fait les frais dès la fin de ce premier épisode...

La simplicité de l'argument fait tout son sel. Mais ça va sûrement défriser certains qui crieront au sacrilège bondien, ou qui déploreront la minceur du propos, ou sa violence, ou... Mais vous savez quoi ? Tous ceux qui râleront seront des gens dont c'est la manie et qui sont surtout trop sérieux. Pour les autres, ceux qui veulent se payer un trip brutal et marrant, car énorme, alors pour ceux-là, dont je fais partie, King of Spies sera un chouette divertissement popcorn, pendant quatre mois et autant d'épisodes.

Ce sera un plaisir d'autant plus grand qu'il est dessiné par l'excellent Matteo Scalera. Le dessinateur renoue avec Millar après Space Bandits, qui ressemblait à une occasion manquée. Ses planches débordent de vitalité, tout va à 100 à l'heure, et le résultat ne s'embarrasse pas de chichis.

Scalera s'amuse visiblement, ce qui ne signifie pas qu'il bâcle son affaire. Comme Rafael Albuquerque ou Sean Murphy (deux autres partenaires de Millar), ce qui le caractérise, c'est la santé de son graphisme, cette énergie débridée, ce plaisir contagieux à raconter une histoire, à en assumer toute la fantaisie, sans complexes, sans se sentir obligé de s'excuser. Surtout pas celui de faire ressembler Roland King à Pierce Brosnan actuellement (tapez dans Google Images : Pierce Brosnan beard et vous verrez).

Dès la scène d'ouverture (une mission explosive au Panama où ca défouraille à tout-va en prenant quand même le temps de souffler l'idée à une femme qui vient d'accoucher un prénom pour son bébé), on embarque dans une essoreuse avec des angles de vue invraisemblables, des valeurs de plans défiant tous les usages, des compositions survoltées. Puis ça se calme pour poser le bilan d'un vieil homme rongé par les regrets et l'amertume, à qui on apprend qu'il n'a plus que quelques mois à vivre, et qui décide, comme la série elle-même, de lâcher les chevaux, de se moquer des convenances, de fracasser des crânes et de buter des enflures.

King of Spies est à la fois crépusculaire et extraordinairement vivant. En ces temps troublés, où comme le relève Millar, des pays se laissent tenter par les extrêmes, où une pandémie rend l'avenir incertain, on a au fond envie de suivre Roland King pour profiter à fond. Comme c'est une BD, c'est un excellent exutoire : on peut suivre ce vieil homme et la mort comme un puissant elixir contre tout ce qui nous oppresse et nous inquiéte.

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