jeudi 30 décembre 2021

DEVIL'S REIGN #2, de Chip Zdarsky et Marco Checchetto

 

Après une excellente entame, Devil's Reign poursuit sur sa lancée avec un deuxième épisode aussi réussi. C'est vraiment la bonne nouvelle en provenance de Marvel et de Chip Zdarsky : un event maîtrisé, palpitant, au propos efficace. Marco Checchetto affiche aussi un brio retrouvé. 


La chasse aux justiciers lancée par Wilson Fisk ne ralentit pas et même Elektra ne réussit pas à effrayer le Caïd. Danny Rand est arrêté par Crossbones. Luke Cage, Jessica Jones et Tony Stark ont donné rendez-vous à Captain America et Miles Morales au manoir des Avengers pour un débrief secret.


Cependant, Spider-Man (Ben Reilly) est attiré dans un traquenard au "Daily Bugle" par le Maître de Corvée et Whiplash. Après avoir neutralisé ce dernier, il est pourtant dominé et appréhendé. Dans la prison sous-marine du Myrmidon, Reed et Sue Richards doivent se défendre contre d'autres détenus.


Au Baxter Building, Doctor Octopus explique à Fisk comment exploiter les pouvoirs de l'Homme Pourpre pour manipuler l'opinion en vue de sa réélection. Elektra, en cavale, est prise en chasse par Kraven.


Dans les sous-sol du manoir des Avengers, Luke Cage explique à Tony Stark qu'il est un meilleur candidat pour battre Fisk aux élections. Otto Octavius découvre un portail dimensionnel dans le labo de Reed Richards qui contient de quoi servir son propre agenda...

Ces dernières années, j'ai eu ce qu'on pourrait appeler une "event fatigue" (formule employée par l'ex-editor-in-chief de Marvel, Axel Alonso, quand il avait voulu faire croire aux lecteurs qu'il allait publier moins de sagas événementielles). J'en avais marre de ces grands raouts prétextes à des combats dévastateurs, souvent entre super-héros et j'ai définitivement raccroché après Fear Itself.

L'event est un exercice éditorial autant que scénaristique, mais il me semblait que les editors dictaient de plus en plus leurs histoires aux auteurs (Fear Itself, tel qu'imaginé par Matt Fraction, était d'abord une aventure entre Captain America et Thor, avant de devenir un blockbuster obése). C'était peut-être déjà le cas avant, mais il me semblait que House of M de Bendis ou Civil War de Millar étaient plus personnels. Seul Secret Wars de Hickman a renoué avec la direction d'un scénariste (qui avait réussi à convaincre Marvel de mettre au pas toutes ses séries).

Je ne suis pas convaincu que le prochain event me séduira, mais Devil's Reign, dont je n'attendais pas grand-chose, puisque je n'ai pas apprécié le run de Chip Zdarsky sur Daredevil, déjoue plaisamment mes craintes. Voilà une saga qui, même si elle a vu un nombre grostesque de tie-in se greffer sur son intrigue, est auto-contenue et très efficace.

Wilson Fisk (qui est le véritable centre du projet : le Règne du Diable, c'est le sien, et le diable ne renvoie pas à Daredevil comme on pouvait initialement le penser)  a décidé de déclarer hors-la-loi tous les justiciers de New York en arguant qu'ils attirent plus de catastrophes que de bienfaits à la ville. Déjà, ça, c'est un point intéressant car, même si la motivation de Fisk n'est pas noble (il se sert de cela pour mieux s'en prendre à Daredevil), il pose une vraie question de fond sur la dangerosité des surhommes et les menaces qu'ils créent par leur seul présence. Envoyés par le maire de New York, des Thunderbolts, en renfort des forces de police, arrêtent vite plusieurs super-héros pour mise en danger de la vie d'autrui et réquisitionnent leurs Q.G., places fortes susceptibles d'abriter des armes.

Chip Zdarsky mène son affaire sur un rythme très soutenu et il ne mollit pas avec ce nouvel épisode qui s'ouvre avec l'arrestation musclée de Danny Rand (ex-Iron Fist). Ce sera bientôt le tour de Spider-Man (actuellement Ben Reilly). Le Baxter Building des Fantastic Four devient le théâtre des expériences du Dr. Octopus. Face à cette situation de crise dont l'intensité est très bien traduite, les héros en cavale prennent le maquis. Tony Stark a proposé de se présenter comme candidat à la mairie contre Fisk mais Luke Cage, soutenu par ses amis (Daredevil, Captain America, Miles Morales), le convainc qu'il sera un meilleur adversaire (car il n'a jamais porté de masque, reste populaire auprès du peuple). Elektra est en fuite après que le Caïd lui a révélé être au courant d'un de ses secrets (qui pourrait tout lui coûter). Reed et Sue Richards doivent survivre en prison.

Vous connaissez la fameuse loi de Hitchcock : "meilleur est le méchant, meilleur est le film". Zdarsky s'en est souvenu visiblement car il écrit Fisk comme un formidable antagoniste, qui a patiemment préparé son coup, payant (cher) pour collecter des secrets concernant les héros, s'entourant de vilains revanchards et minutieux, avec des compétences précises (à même de vaincre toutes sortes de justiciers). L'ambiance oppressante au possible est électrisante, on sent vraiment que personne n'est à l'abri, et on devine même les germes d'une possible division chez les fugitifs (il est évident que Stark prend mal le fait que ses amis lui préférent Cage).

Marco Checchetto renoue avec son meilleur niveau après des années à courir après. Le dessinateur italien a beaucoup donné depuis qu'il est chez Marvel mais, comme d'autres, son ascension lui a coûté des plumes et, depuis qu'il illustre Daredevil, il a eu des difficultés croissantes pour enchaîner les épisodes. 

Dans ces conditions, le savoir aux commandes (graphiques) d'un event s'avérait casse-gueule car plus d'un artiste s'y est grillé. Dessiner un casting très fourni, des décors variés, des scènes de combat spectaculaires exige beaucoup d'efforts dans des délais serrés. Il faut du talent mais aussi une sacrée discipline.

Même si son encrage paraît parfois un peu léger, Checchetto livre une prestation épatante. Son poids fort reste la gestuelle des personnages, avec lui pas besoin de beaucoup de temps et d'espace pour qu'un héros ou un vilain en impose. Qu'il s'agisse de Spider-Man surgissant dans la rédaction du "Daily Bugle" pour défier Whiplash et le Maître de Corvée, ou dans un registre plus calme, d'un dialogue entre Tony Stark et Luke Cage, Checchetto donne une spécifit" corporelle unique à ses "acteurs", le lecteur identifie immédiatement les rapports de force entre deux individus.

L'autre atout de l'artiste, c'est qu'il n'a aucun mal à s'approprier ces personnages puisqu'il les a à peu prés tous déjà dessinés. C'est l'avantage d'avoir oeuvré à la fois sur des team-books (comme Avengers World) et des titres solos (comme Punisher). Il tient bien son casting. Tout comme le cadre urbain lui convient parfaitement (là encore grâce à ses runs sur Punisher ou Daredevil). C'est en tout cas très agréable à lire, avec un découpage nerveux.

Il n'ya aucune raison de douter que Devil's Reign confirme son rang de bonne surprise. Mais surtout, il prouve, pour l'instant, qu'un bon event doit reposer sur une idée forte bien développée plutôt que sur un concept étiré jusqu'à le vider de sa substance par des interférences éditoriales.

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