jeudi 23 septembre 2021

SUPERGIRL : WOMAN OF TOMORROW #4, de Tom King et Bilquis Evely


On arrive à la moitié de cette mini-série avec ce quatrième épisode de Supergirl : Woman of Tomorrow. Familier du format du récit complet, Tom King sait que s'opère à ce stade un mouvement de bascule où ce qu'il nous raconte entraîne héros et lecteur dans une autre dimension. C'est effectivement ce qui se passe, et c'est à la fois cauchemardesque et féérique, grâce au dessin de Bilquis Evely. Au bout du compte, surtout, on se demande par quoi est vraiment passé l'auteur pour délivrer des histoires aussi hantées ?
 

Après avoir découvert le génocide des Pourpres sur Maypole, Supergirl et Ruthye reprennent leur traque et suivent la piste sanglante laissée par Krem des collines jaunes depuis qu'il s'est joint aux Brigands de Barbond.


Ainsi visitent-elles un rescapé d'un massacre, sauvagement mutilé, et depuis hospitalisé. Elles rencontrent aussi un individu qui, depuis le passage des malfrats, enterre tous les siens dans un immense cimetière. Puis Supergirl pousse une mère géante à exprimer un chagrin terrible.


Alors que Ruthye et Supergirl effectuent une nouvelle escale, elles se disputent sur la suite car la jeune fille veut toujours venger son père tandis que sa partenaire veut soutirer à Krem l'antidote pour sauver Krypto. 


Après avoir eu accès à des films sur un énième carnage des Brigands, Supergirl, sidérée, programme le retour de Ruthye chez elle pour lui épargner de nouvelles atrocités. Mais Ruthye lui fait comprendre qu'elle n'a pas à être ménagée car, comme la kryptonienne, elle a tout perdu.

Quand il se retirera du monde des comics, Tom King aura facilité la vie de ses biographes car il a écrit sa légende de son vivant. En effet, sa carrière au sein de la division du contre-terrorisme de la C.I.A. lui donne un vécu que peu de ses confrères possèdent. Après cela, il est toujours temps de discuter de son style littéraire, de ses tics, de leurs qualités et de leurs défauts : Tom King n'est pas un scénariste intouchable, même ceux qui apprécient son oeuvre lui trouvent des faiblesses, et ses récits ne font pas l'unanimité (ce qui le rend intéressant car cela alimente les conversations).

Mais, quand sera venue l'heure de se plonger dans ce qu'il a écrit, ce qu'il aura laissé aux comics, quand il faudra commenter ce qui, dans sa vie, a fourni de la matière à son oeuvre, ses détracteurs comme ses fans n'auront pas à creuser bien profond pour aligner leurs thèses. Il suffira de juger à l'aune de sa première carrière d'agent de la CIA sa seconde vie d'auteur de BD.

Toutefois, ce travail de recherches sur sa vie, son oeuvre ne permettra sûrement pas de répondre à toutes les questions. C'est ce qui ressort avec une évidence terrible de ce quatrième épisode de Supergirl : Woman of Tomorrow, avec la clarté brute d'un chapitre qui synthétise tout ce qui l'a précédé. Qu'a donc vécu Tom King qui lui a inspiré des histoires aussi hantées ?

Dans cet épisode, sur la forme, on renoue avec ce qui plait/déplait tant chez King : la voix-off très/trop présente, ce goût prononcé pour souligner ce qui est déjà sibyllin, le sursaut d'un personnage avant de s'engager dans une voie sans retour, la dynamique relationnelle des protagonistes qui va par paire, etc. Tout cela dans des cadres souvent incongrus, aussi beaux que le théâtre des événements qu'ils sont est horrible.

Supergirl et Ruthye suivent la piste de Krem des collines jaunes et vont de macabres découvertes en atroces confirmations. De ce strict point de vue, Krem est une engeance de la pire espèce, un méchant absolu qui n'a pas besoin d'apparaître à l'image pour être détesté et effrayant. C'est casse-gueule comme procédé, mais ici très convaincant. Des criminels génocidaires comme lui, l'Histoire en a vu défiler et que la fiction les réinterprète n'ôte rien à leur malfaisance. King n'exagère même pas.

Mais ce qui frappe peut-être encore plus fort que les actes infâmes de Krem, c'est la manière dont ils sont perçus et digérés par les deux héroïnes et en particulier par Supergirl. La dexcription que fait Ruthye de la kryptonienne correspond à ce qu'on imagine : une personne aimable, calme, qui prend sur elle, à la force tranquille. Mais King ajoute à ce portrait des scènes régulières, dans chaque épisode, où Kara Zor-El n'est plus maîtresse d'elle-même et se lâche, ne peut plus se retenir, souvent à l'écart des autres, à l'abri des regards (et de celui de Ruthye donc). 

En vérité, alors, Supergirl est l'incarnation du feu sous la glace. Une scène dans cet épisode révèle une fracture : hors-champ, elle découvre un énième crime de celui qu'elle traque et quand elle rejoint Ruthye, elle est tellement sidérée qu'elle n'a plus de mots. Elle s'envole alors, seule, et plonge dans une étoile où elle se recroqueville. De retour auprès de sa protégée, elle renonce à débattre avec elle lorsqu'elle doit affronter le refus de la jeune fille de rentrer chez elle pour laisser Supergirl terminer sa chasse seule. L'argument de Ruthye est, il est vrai, imparable : toutes deux ont perdu, enfant, ce qu'elle avait de plus précieux, la gamine affirme donc être capable d'encaisser ce qui va suivre.

Qu'a donc vu, vécu King durant ses années au sein de l'Agence pour en tirer aujourd'hui des moments pareils ? Des scènes au goût de vécu, comme celui qui a vu des charniers, des ruines encore fumantes, des exactions barbares. King s'est engagé après les attentats du 11-Septembre, dont on vient de commémorer le vingtième anniversaire et c'est troublant que cet épisode de Supergirl sorte juste après - il n'aurait pas pu tomber pour traduire ce que King pense certainement, ce mélange de colère et de tristesse, coloré par des souvenirs du front.

Bilquis Evely transforme ce qui pourrait n'être qu'une rumination aigre et désespérée en une succession de tableaux à la beauté à la fois enchanteresse et désolée. L'artiste n'a pas son pareil pour créér des environnements époustouflants mais qui cache des horreurs, comme les premières pages où, avec les couleurs presque sucrées de Matheus Lopes, on voit Supergirl prendre dans ses bras un nourrisson abandonné sur un terrain parsemé de morts. Plus loin, Evely représente une chambre d'hôpital avec une crudité tragique, un autre rescapé mutilé qui prie encore pour que Krem ait de la pitié.

Les moments forts se succèdent, parfois avec un décalage absurde comme quand Supergirl force la géante à la frapper pour expulser le chagrin qu'elle ne parvient même pas à formuler. Finalement, la victime fond en larmes, et c'est déchirant. Mais ce sont sans doute les dernières pages qui secouent le plus, quand Supergirl revient vers Ruthye, sans trouver les mots pour ce qu'elle vient de voir, puis, qu'ensuite au sommet d'un étrange monticule, à l'influence très Moebius, elle renonce à convaincre la jeune fille de rentrer elle. Là encore, l'apport des couleurs est déterminant car elles apaisent comme un beaume ce qui est un dialogue de souffrance, de chagrin, de frustration et de colère.

Supergirl : Woman of Tomorrow explore des figures semblables à celles de Strange Adventures (dont la fin est imminente) mais il me semble que cette mini-série les dit avec une force plus vive, plus acérée et avec un graphisme plus exceptionnel encore. King et Evely ont d'ores et déjà embarqué Supergirl très, très haut. 

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