mardi 14 septembre 2021

KATE, de Cédric Nicolas-Troyan


Comme tout fan de Mary Elizabeth Winstead, j'attendais avec impatience la diffusion sur Netflix de Kate, son nouveau film, mis en scène par Cédric Nicolas-Troyan. Non pas que ce soit un chef d'oeuvre programmé, mais parce que cette actrice n'a pas la reconnauissance qu'elle mérite. Et je n'ai pas été déçu par cette histoire d'une tueuse condamnée qui se lance dans une vengeance pleine de sang et de fureur, qui assume ses références en sachant les dépasser.


Osaka, Japon. Kate, une tueuse professionnelle, est accompagnée par son mentor, Varrick, pour y éliminer Kentaro, un cadre de la pègre locale. Elle remplit son contrat mais la présence sur les lieux de la fille de sa victime l'a perturbée suffisamment pour qu'elle annonce son intention de raccrocher, une fois sa mission achevée.


Après avoir passé la nuit avec un inconnu Stephen, Kate rejoint Varrick à Tokyo pour tuer Kijima, le grand chef des yakusas. Mais elle rate son tir, prise d'un malaise, et doit quitter les lieux avant d'être localisée par les gangsters et la police. Elle échoue à l'hôpital où un médecin de garde lui révèle qu'elle a été empoisonnée par une substance radiocative : il ne lui reste plus que 24 heures à vivre.


Kate pense tout de suite à Stephen et, se souvenant d'une adresse qu'il a mentionnée en discutant avec elle, le trouve en compagnie de sa femme. Il avoue l'avoir intoxiquée sur ordre de Sato, un lieutenant de Kijima. Pour débusquer Sato, Kate s'en remet à Varrick qui accepte de l'aider en sachant que sa protégée est condamnée.


Kate se rend dans un club, le Black Lizzard, et y commet un vrai massacre. Devant le refus de Sato de livrer l'adresse de Renji, son supérieur, elle affronte plusieurs hommes de main avant que l'un d'eux n'évoque Ani, la fille de Kentaro et protégée de Renji. Kate trouve la gamine dans une salle de jeux et l'enlève puis téléphone à Renji pour organiser un échange. Renji envoie ses hommes liquider Kate et récupérer Ani.


Mais Kate, enragée, ne fait plus de quartier et élimine ses adversaires. Elle gagne l'amitié de Ani quand celle-ci découvre que Renji a voulu la tuer par la même occasion, car elle est l'unique héritière de Kentaro, petit frère de Kijima. Pour remonter jusqu'à Renji, Ani a l'idée de s'adresser à Jojima, son amant dans le portable duquel Kate trouve l'adresse du yakusa. Renji, acculé, livre l'emplacement du repaire de Kijima.


Kate appelle Varrick pour l'informer de ses progrès mais elle ignore que son mentor est complice de Renji pour détrôner Kijima en se servant d'elle. Le chef des yakusas le lui apprend et elle l'épargne quand elle lui fait face. Cependant, Varrick enlève Ani, qui est restée à l'extérieur. Kate et Kijima opèrent alors une descente dans le building de Renji et Varrick pour en finir avec eux...

John Wick a été aux films d'action ce que Jason Bourne a été aux films d'espionnage : un salutaire coup de balai, un dépoussiérage en règle. Nul besoin pour cela d'une intrigue trop sophistiquée, mais d'une esthétique nouvelle, plus nerveuse, et aussi plus ironique, qui sait prendre ses distances avec le (sous) genre, en mettant en scène un (anti) héros qui n'a plus rien à perdre mais qui survit à tout, comme dopé par sa mission. John Wick voulait se venger des voyous qui avaient tué son chien et volé sa voiture, ils ignoraient s'en être pris à "Baba Yaga", le plus terrible des assassins, retiré après le décès de sa femme.

Chad Stahelski, comme Paul Greengrass pour Jason Bourne, avait appliqué à sa réalisation des codes simples mais redoutablement efficaces en utilisant une caméra très mobile, au plus proche de son héros, pour retranscrire toute la furie des combats, des poursuites. Cela a engendré bien des copies, plus ou moins inspirées, sur la base de cette grammaire visuelle.

Il était logique qu'une plateforme de streaming comme Netflix s'empare du phénomène en voulant le reproduire, quitte l'essorer. Au risque aussi de l'affadir car désormais, suivis par des millions et soumis au fait de devoir plaire à ce plus grand nombre, il n'est plus question pour Netflix (comme pour les autres services de streaming) de produire des films trop dérangeants : il faut que ce soit visible aussi bien dans des contrées qui n'ont aucun problème de censure que dans des secteurs où le problème est plus sensible.

Aussi quand Netflix décide de financer Kate, on n'en attend pas grand-chose a priori, un action movie de plus, réalisé par un technicien des effets visuels et promu metteur en scène sur Le Chasseur et la Reine des Glaces, Cédric Nicolas-Troyan. Et puis, on apprend, surpris, que le film sera déconseillé au moins de 16 ans, bigre. Qu'est-ce que ça cache ?

Le scénario de Umair Aleen est très classique : on suit une tueuse redoutable, dont on ne connaît que le prénom - Kate (mais est-ce seulement son vrai prénom ?) - dans une série d'exécutions au Japon contre des pontes yakusas. Elle est accompagnée par son mentor, Varrick, qui l'a découverte et formée, avec lequel elle entretient une relation père-fille complice. Après un premier contrat à Osaka qui l'a dérangée, Kate annonce son intention de raccrocher. Puis elle est empoisonnée avant une seconde exécution et apprend qu'elle n'a plus que 24 heures à vivre. Elle va les employer à terminer le boulot en se vengeant, car elle comprend qu'elle a été manipulée...

Sans cette condamnation à mort, que le film n'évite pas, car il n'a pas de happy end, pas d'antidote miracle, Kate ne sortirait pas du lot. Mais le fait que l'héroïne va mourir, qu'elle le sache, qu'on assiste à son déclin inéluctable, ses souffrances progressives, ajoute un sentiment d'urgence et de tragédie grisant. Soudain, la super-killeuse devient à la fois encore plus implacable et plus fragile : elle est mortelle. Ce n'est plus le personnage d'une potentielle franchise (comme Tyler Rake, autre gros carton dans le même genre sur Netflix).

Cédric Nicolas-Troyan filme tout cela, cette marche vers la fin, comme une sorte de jeu vidéo mortifère, désespéré. On accède à différents niveaux à mesure que Kate atteint les hommes qui la sépare de Kijima, le responsable présumé de son empoisonnement. Au début, les scènes d'action relèvent de la mécanique : on ne s'en fait guère pour Kate, même si elle dérouille, elle n'a à faire qu'à des sous-fifres, à la portée d'une tueuse de son niveau. Puis en même temps que son état de santé se détériore sous l'effet du poison, on se met à craindre pour elle car le temps lui est compté, ses forces l'abandonnent, elle n'est plus agie que par sa volonté et des injections d'adrénaline, quand elle ne compte pas sur cette horripilante gamine qu'elle traîne comme un boulet mais dont l'énergie rieuse lui permet d'avoir moins mal. A la fin de son calvaire, la peau brûlée, balafrée, pleine d'hématomes, un oeil injecté de sang, tenant uniquement sur ses réserves, Kate ressemble plus à une morte-vivante en décomposition qu'à une femme. La mort sera une délivrance - aussi bien celle de son ennemi que la sienne.

On saisit alors mieux pourquoi cette recommandation aux moins de 16 ans, non pas que le film dépasse les limites du supportable, mais il joue avec notre tolérance à la souffrance éprouvée par l'héroïne. Et ça, c'est quand même inhabituel pour une production Netflix. L'équipe des effets visuels (maquillage, cascades, effets spéciaux) a rendu une copie très efficace.

Mais que serait Kate sans son actrice principale ? Car Mary Elizabeth Winstead s'est donnée à fond pour ce rôle. Après sa prestation épatante dans Birds of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn (où elle incarnait Huntress), elle persiste dans le registre de l'action avec brio. Fidèle à ses habitudes, la comédienne a refusé d'être doublée pour les scènes d'action et sa longue silhouette affûtée produit en elle-même un effet spécial car Kate n'est pas une tueuse au physique exceptionnelle. Elle est dure au mal, dure à cuire, mais suivant le scénario, de plus en plus ravagée. Winstead assume ce côté anti-glamour, on a mal pour elle. Comparez ce qu'elle fait avec ce que joue Jessica Chastain dans Ava (sur un mode comparable) et vous verrez qui convainc le plus. Winstead campe son personnage avec une forme de résignation à son sort qui rend son parcours poignant et ironique : la nettoyeuse va être nettoyée, elle devient la protectrice de la fille de l'homme qu'elle a tué (une relation qui n'est pas sans rappeler celle du récent Bloody Milkshake), s'allie avec le caïd qu'elle devait exécuter. Alors qu'elle est présentée comme une tueuse sûre d'elle, contrôlant tout, Kate est dépassée, dupée. Elle se trouve à davantage se venger qu'à remplit un dernier contrat.

Woody Harrelson cachetonne : ce rôle de mentor manipulateur, on a l'impression qu'il l'a déjà joué mille fois. Il le fait bien, mais sans se forcer, juste pour le chèque. Les acteurs japonais comme Tadanobu Asano ou Jun Kunimura sont impeccables. La petite Miku Martineau est agaçante comme il faut (mais c'est son personnage qui le veut).

Il faut réserver Kate aux fans de Mary Elizabeth Winstead : ils ne seront pas déçus. La radicalité du récit a son charme. Il ne manque qu'à l'ensemble un peu plus de personnalité, d'originalité. Mais c'est divertissant et efficace. 

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