Ce troisième épisode de Black Hammer Reborn est une nouvelle preuve du talent de conteur de Jeff Lemire. Non seulement il a ravivé la branche principale de son univers de poche (enfin... ça commence à faire une grande poche) mais il l'anime avec une énergie nouvelle, malicieuse et dramatique à la fois. Avec la dessinatrice Caitlin Yarsky, il a trouvé une partenaire à la hauteur de ce défi, qui sait donner à cette histoire beaucoup d'expressivité.
Il y a vingt ans. Après avoir échoué à arrêter Skulldigger sur le point de tuer un vilain, Black Hammer (Lucy Weber) et Amanda Ryan s'interrogent sur la complicité du Dr. Andromeda avec le vigilant. Puis Black Hammer rattrape Lightning Rod mais le laisse libre après qu'il lui ait promis d'arrêter ses vols.
Aujourd'hui, Lucy et son mari Elliot consultent une thérapeute suite à l'infidélité de Elliot. Lucy n'est pas disposée à lui pardonner et abrège la séance. Son mari la rattrape sur le parking en l'implorant mais leur échange est interrompu par une explosion provenant du centre-ville de Spiral City.
Il y a vingt ans. Black Hammer rejoint le toit de l'asile de Spiral City où l'attend Wing, un ex-super-héros qui est devenu le gardien de l'établissement. Il n'est pas au courant de l'association entre le Dr. Andromeda et Skulldigger mais révèle à Lucy que le premier avait disparu après la mort de son fils.
Aujourd'hui. Le soir venu, Lucy Weber rentre chez elle où Elliot l'attend avec leurs enfants. Elle accepte qu'il reste pour la nuit. A la télé, on prédit la fin du monde et c'est alors que le Colonel Weird apparaît dans le salon des Weber pour confirmer cela...
Autant prévenir tout de suite : si vous n'êtes pas familier du Black Hammer-verse, alors la lecture de cet épisode sera une expérience terriblement frustrante car il multiplie les références aux séries de l'univers créé par Jeff Lemire. Donc, soit vous vous mettez à jour, soit passez votre chemin. C'est la seule limite de cette nouvelle série qui s'adresse donc à un public d'initiés.
Mais pouvait-il en être autrement ? Actuellement, le Black Hammer-verse se divise en deux catégories : il y a les mini-séries dérivées, comme Skulldigger + Skeleton Boy ou The Unbelievable Unteens ou Doctor Star and the Kingdom of Last Tomorrows qui peuvent se lire sans connaissance préalable, et puis il y a les différents volumes de Black Hammer, qui forme une suite dont il faut mieux avoir tout lu au risque de ne rien saisir.
Quand le titre annonce Black Hammer Reborn, l'avertissement est donc clair : il s'est passé des choses avant (beaucoup de choses et complètement folles), vous ne pouvez pas commencer par cette série. Déjà parce que, tout simplement, vous ne saurez pas qui est vraiment Lucy Weber, son héroïne, fille d'un héros, Joseph Weber, premier à avoir endossé l'identité de Black Hammer (mélange entre les Néo-Dieux de Jack Kirby et Thor de chez Marvel), sauveur de l'univers.
Lemire prend le parti donc d'écrire une histoire pour lecteurs avertis et tout cet épisode repose sur cette culture du Black Hammer-verse, en étant construit sur des scènes qui se répondent, en miroir. Il y a ce qui s'est déroulé il y a vingt ans, en 1996, et ce qui se passe aujourd'hui, en 2016 : autrefois, Lucy a succédé à son père en tant que Black Hammer, ramenant dans notre monde des héros qui l'avaient sauvé de l'Anti-Dieu au terme d'un périple mouvementé ; et aujourd'hui, Lucy a raccroché à cause d'un drame (encore inexpliqué), s'est marié, a deux enfants, mais une nouvelle menace apparaît.
Il y a vingt ans, Lucy a accepté de laisser libre un malfrat masqué sans envergure. Aujourd'hui, on découvre que ce malfrat repenti est son mari, mais qu'il vient de la tromper avec une autre femme et donc leur couple est au bord de l'implosion. A cette crise conjugale vient se greffet un subplot plus super-héroïque où il est question de l'association entre Skulldigger (de la mini-série Skulldigger + Skeleton Boy), une sorte de Punisher revisité, et du Dr. Andromeda (le héros rebaptisé de la mini-série Dr. Star and the Kingdom of Lost Tomorrows), l'équivalent du Starman originel (Ted Knight). Et sur ces entrefaîtes resurgit le Colonel Weird (une espèce de Adam Strange bien détraqué), qui faisait partie des protagonistes des deux premiers volumes de la série Black Hammer.
Entre passé et présent (et même un zeste de futur), âges héroïque et post-héroïque, petite crise existentielle et menace cosmique, Black Hammer Reborn est un régal pour qui en possède les clés. Car Jeff Lemire sait à point nommé ménager quelques savoureuses surprises (le fait que Elliot ait été un ancien vilain raté, le retour du Colonel Weird) et citer ses autres séries pour rappeler qu'elles font partie d'un ensemble (le Dr. Andromeda et la mention de la mort de son fils, Skulldigger après son duo avec Skeleton Boy). Tout cela dessine, magistralement, des affaires de famille puisqu'il n'est au fond question que de ça (Lucy Weber et l'héritage de son père, Andromeda, Skulldigger), de legs (la récurrence des fins du monde, qui est une adresse aux Crisis de DC).
Pour mettre cela en images, Caitlin Yarsky s'appuie sur ses points forts qui sont l'expressivité des personnages et la simplicité de son découpage. Le récit ne ménage pas les protagonistes, qui passent par toute une palette d'émotions fortes, et il faut donc que le lecteur puisse ressentir leurs sentiments, où la confusion domine. C'est gagné car le trait de Yarsky est fluide et réaliste sans déborder de détails qui surchargeraient la lecture. Si, dans les scènes super-héroïques, cela manque un peu de dynamisme, en revanche, le reste du temps, elle se montre très à l'aise quand il s'agit de représenter la vie morne de Lucy Weber, écrasée par ses secrets, la culpabilité, et tiraillée entre le désir d'en rester là et celui de reprendre du service.
Ensuite, donc, le découpage est très simple. Caitlin Yarsky sait qu'elle dispose d'un script parfaitement huilé auquel il est inutile de donner des illustrations tape-à-l'oeil. Cette modestie est payante car les éléments qu'elle doit dessiner sont assez loufoques ou dramatiques pour se suffire à eux-mêmes. De plus elle peut compter sur le lecteur pour identifier Spiral City, Lucy Weber, Skulldigger, Andromeda, le Col. Weird, des figures bien établies qu'elle n'a pas besoin de redéfinir graphiquement. Son attention peut se concentrer sur les nouveaux personnages que sont Elliot, les enfants Weber, ou Wing, le gardien de l'asile. En tout et pour tout, elle n'a recours qu'une seule fois à une double page, par ailleurs parfaitement exécutée et bien placée : tout l'aspect spectaculaire est souvent hors-champ, comme si Lemire s'amusait avec le lecteur et lui indiquait que ce ne sont là que des conventions, du folklore, que lorsque le moment sera venu, il aura droit à de l'action sans détour.
Cette dimension ludique est au centre de Black Hammer Reborn, série truffée de clins d'oeil, mais non dénuée de tension, et dont le brio est subtilement partagé en sollicitant aussi bien la culture comics des lecteurs qu'en démontrant le savoir-faire de son scénariste et le talent de sa dessinatrice.
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