mercredi 1 septembre 2021

BATMAN : FEAR STATE ALPHA #1, de James Tynion IV et Riccardo Federici


C'est parti pour le grand crossover Batman de cette rentrée : ce n° Alpha, écrit par James Tynion IV et dessiné par Riccardo Federici, fonctionne à la fois comme un rappel des faits des six derniers mois de publication des différentes séries rattachées à Batman et comme le vrai début des hostilités, avec divers clans qui se forment. Le format est plus long (une trentaine de pages) mais la lecture est captivante et donne une bonne impression de l'ampleur de cette saga, qui est le chant du cygne de son auteur sur Batman.


Il y a quelques mois. Simon Saint soudoie le directeur de l'asile d'Arkham pour une entrevue privée avec Jonathan Crane. Ils scellent leur association en acceptant de partager leurs ressources afin de précipiter Gotham dans un état de peur qui leur permettra d'en prendre le contrôle.


Aujourd'hui. La situation a échappé à la maîtrise de Saint car l'Epouvantail l'a trahi pour capturer Batman et poursuivre son propre agenda. Saint coupe les communications pour mieux reprendre la main, mais Sean Mahoney, son Gardien de la Paix 01, est injoignable.


La Bat-famille s'organise autour de Oracle qui bat le rappel des troupes tandis que Renee Montoya essaie en vain de raisonner le maire Nakano. Mais Barbara Gordon est elle-même dépassée quand un pirate informatique détruit son réseau en ligne.


Cependant, Harley Quinn et la Jardinière pénètre dans les sous-sols de Gotham pour demander à Pamela Isley d'héberger le Collectif Insense, accusé d'être le complice de l'Epouvantail. Queen Ivy accepte de les protéger tant que les forces de l'ordre n'investiront pas son territoire.


De son côté, Jace Fox décide de passer à l'action car la nouvelle de la mort de Batman circule. Catwoman, qui veille sur Poison Ivy, refuse d'y croire mais doit se préparer à contrer la milice en arme dans Alleytown. Batman échappe à l'Epouvantail qui lui a administré une surdose de sa toxine...

C'est donc Fear State qui conclura le run de James Tynion IV sur Batman. Il a jusqu'à présent écrit 26 épisodes du titre, ce qui représente peu par rapport aux 85 précédemment signés par Tom King, et on peut légitimement être frustré quand on se rappelle qu'il avait annoncé avoir un plan sur trois ans. Mais le scénariste a décidé de prioriser ses créations chez des éditeurs indépendants et sur la plateforme Substack plutôt que d'accepter la proposition de DC Comics de produire exclusivement des scripts pour la série Batman jusqu'en 2024.

Toutefois, cette frustration ne doit pas occulter ce qu'a construit en finalement peu de temps Tynion IV. Placé sur la série en catastrophe (puisque Tom King fut débarqué par l'ex-rédacteur en chef Bob Harras qui jugeait ses histoires trop déprimantes), le scénariste a relevé le gant avec panache avec une première salve de 15 épisodes, et un n°100 d'anthologie. Les cinq chapitres suivants furent moins convaincants, mais la pause Future State (à laquelle il n'a pas participé) lui a permis de trouver un second souffle en même temps que sa confirmation au poste de scénariste.

Ces six derniers mois, Tynion a patiemment mais énergiquement construit une intrigue qui se nourrissait du futur probable montré dans Future State, avec la contribution essentielle du dessinateur Jorge Jimenez. Il a fallu une vraie adresse aux deux hommes pour à la fois puiser dans la dystopie parue en Janvier-Février 2021 tout en n'y collant pas de trop près, afin que le lecteur n'ait pas l'impression de lire ce qu'il avait déjà découvert.

De cette situation bizarre (raconter quelque chose d'inattendu à partir d'une source établie par l'éditeur), Tynion a tiré une substance tonique et efficace, en manageant un casting riche, avec des éléments originaux (une de ses marques de fabrique). Aujourd'hui, il est le chef d'orchestre d'une saga qui va impacter tous les Bat-titles jusqu'en Novembre.

Batman : Fear State Alpha récapitule les événements de ces derniers mois : la collaboration entre Jonathan Crane/ l'Epouvantail et Simon Saint, la mise en place du programme Magistrat (pour faire la chasse aux masques de Gotham et établir un régime autoritaire para-militaire), la trahison de l'Epouvantail, la naissance du Gardien de la Paix 01, l'action du Collectif Insensé. On retrouve tout cela dans ce numéro spécial.

Mais résumer aurait été fastidieux, alors Tynion ajoute quelques ultimes développements comme l'apparition d'un Anti-Oracle, un pirate informatique qui coupe le lien entre Barbara Gordon et le reste de la Bat-famille. On découvre aussi que Poison Ivy, qui a été libérée apr Catwoman dans un état second, s'est dédoublée : d'un côté il y a la Pamela Isley que tout le monde connaît et de l'autre une entité puissante et en colère, Queen Ivy, refugiée dans les sous-sols de Gotham, et que la Jardinière espère raisonner grâce à Harley Quinn (toutes deux ignorent que Pamela Isley est avec Catwoman dans Alleytown).On peut encore citer le cas de Renee Montoya, à qui le maire Nakano avait accordée sa confiance au sein du GCPD, mais elle mesure déjà depuis un moment qu'il a fait une terrible erreur en s'associant à Simon Saint pour le programme Magistrat (va-t-on assister au retour effectif de Montoya sous le masque de la Question ?).

Ce tour d'horizon n'omet qu'un personnage : Nightwing. J'avais espéré qu'il ne soit pas mêlé au crossover dans la mesure où il opère désormais à Blüdhaven à plein temps, mais DC en a décidé autrement. Pas sûr que Tom Taylor ait été ravi de se plier à l'exercice (d'ailleurs les épisodes tie-in de Nightwing ne seront pas dessinés par Bruno Redondo), même s'il va s'en servir pour mettre en scène le retour de Barbara Gordon dans le rôle de Batgirl.

Au dessin, pour marquer le coup, DC a fait appel à l'italien Riccardo Federici, remarqué (et remarquable) pour la mini-série le Dernier des Dieux et qui signe régulièrement des variant covers pour l'éditeur. Son style est impressionnant : il n'utilise pas d'encrage et laisse donc de l'espace au coloriste Chris Sotomayor.

Mais Federici est, un peu comme Esad Ribic chez Marvel, un artiste classique, académique, avec une technique magistral. Il use de traits croisés, de hachures pour texturer ses images, et son registre est hyper-réaliste et descriptif. La précision qu'il met dans les expressions des visages, dans la gestuelle, les plis des vêtements, le soin apporté aux décors (en particulier les intérieurs) prouvent qu'il s'investit intensément dans chaque planche.

Pour un dessinateur de ce niveau, avec ce bagage technique, ce style si spécial, le plus impressionnant réside souvent dans les scènes les plus simples où on peut admirer la méticulosité de son trait, sa justesse. L'échange inaugural entre Jonathan Crane et Simon Saint est tout à fait bluffant par la tension qu'io génère grâce à la minutie de la représentation des personnages mais aussi la variété des angles de vue, la qualité des compositions.

Ce qui est dommage, c'est que DC a gâché un peu la fête en spoilant ce qui allait se passer durant Fear State et on sait déjà que Joshua Williamson (qui succédera à James Tynion IV à l'écriture de la série en Décembre) a d'ores et déjà décidé de ne pas en respecter les conséquences (Batman devait quitter Gotham). Du coup, l'impact en est déjà amoindri avant même le début. Mais on peut quand même compter sur Tynion IV, Jorge Jimenez, pour sortir leur épingle du jeu et nous régaler comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Cette saga a un énorme potentiel que son concepteur ne sabotera sûrement pas. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire