Fear State encore, mais cette fois-ci au coeur de la série Batman, où tout se passe, en tout cas l'essentiel. James Tynion IV est maître de son affaire dans ce titre et gère un casting foisonnant au gré de nombreuses péripéties; Peu de choses lui échappent, même si on déplorera quelques bizarreries et des facilités providentielles. Jorge Jimenez donne tout ce qu'il a au dessin, en sacrifiant parfois les décors mais au rythme où il produit actuellement, on le lui pardonnera.
Le chaos règne à Gotham et la Bat-family étendue ne sait plus où donner de la tête entre les machinations de Simon Saint, celles de l'Epouvantail, celles de l'Anti-Oracle et Sean Mahoney qui erre dans les rues, l'arme au poing et la tête en vrac.
Batman, que tout le monde croit mort, s'introduit dans le bureau de la détective Renee Montoya pour obtenir son aide. Elle la lui accordera si un membre du Collectif Insensé accepte de témoigner contre Simon Saint et s'il neutralise Sean Mahoney.
Batman retrouve Ghost-Maker et grâce à des casques de réalité virtuelle, ils se connectent pour savoir si l'Epouvantail n'a pas corrompu le cerveau de Bruce Wayne. Il apparaît que Jonathan Crane s'est toujours servi de Simon Saint pour procéder à un test à grande échelle sur Gotham.
Mais surtout, Ghost-Maker révèle à Batman qu'il avait croisé Crane bien des années avant et déjà il avait théorisé son "Etat de la Peur", avec pour objectif de trouver des financements et un bouc émissaire. Cependant, le Gardien de la Paix X appréhende Sean Mahoney...
Le rythme soutenu auquel paraît Batman (soit un épisode tous les quinze jours) durant Fear State permet à James Tynion IV de maintenir la pression autant sur ses personnages que sur le lecteur : on a à peine le temps d'intégrer ce qui s'est passé dans un épisode qu'on plonge dans le suivant. C'est efficace mais périlleux car le scénariste n'a pas le droit à l'erreur.
Or, dans ce numéro 113, Tynion IV commet quelques bévues et abuse de quelque facilités. Commençons par une bizarrerie : au début de l'épisode, Batman a un échange avec le détective du GCPD Renee Montoya. Celle-ci, jusque récemment, suivait les ordres du Maire Nakano avant de manifester ses réserves et son désaccord quand il a autorisé le programme Magistrat mis au point par Simon Saint (dans lequel elle voyait davantage un escalade de la répression policière qu'un moyen de règler le problème du vigilantisme).
Maintenant que le chaos règne, il est naturel que Batman et Montoya se retrouvent pour tenter de ramener le calme et la détective ne se pose plus en adversaire du justicier. Chacun a fait la paix avec l'autre par la force des choses.
Mais James Tynion IV n'est pas Greg Rucka. Il n'a pas la même affection pour Montoya que son confrère (qui, c'est vrai, adorait la détective, dont il animait les aventures dans Gotham Central, la maxi-série 52, plusieurs minis La Question, Batwoman, etc). Montoya, c'est une créature Rucka-ienne par excellence : brune, forte tête, dure-à-cuire. Il a même trouvé le moyen d'en faire l'héroïne de la mini-série Lois Lane. Mais surtout Tynion semble complètement occulter le fait que Renee Montoya est elle aussi une justicière masquée puisqu'elle agit sous l'alias de la Question (on l'a encore vue dans Event Leviathan de Bendis et Maleev).
Comment se fait-il alors que : 1/ Montoya soit devenue une contemptrice des masques et 2/ que cette femme, volontiers parano, n'ait pas deviné plus tôt que Nakano s'embarquait dans une alliance dangereuse avec Saint ? Tout cela est totalement évacué dans le Batman de Tynion et c'est vraiment maladroit (pour ne pas dire pire).
Ensuite, le scénariste utilise de chapitre pour revenir sur le fait que l'Epouvantail semble avoir trouvé un nouveau moyen (c'est-à-dire autre que ses fameuses toxines de la peur) pour contrôler ses adversaires. Batman a-t-il été compromis, corrompu par ce nouvel atout ? Il va chercher à le savoir avec l'aide de Ghost-Maker grâce à une espèce de casque de réalité virtuelle (mis au point par Wayne Tech), permettant de sonder l'esprit.
Bon, c'est très pratique, mais un peu grossier, surtout quand on voit à quoi ça aboutit. Soit : Ghost-Maker a rencontré Jonathan Crane des années plus tôt et celui-ci lui a fait assez confiance pour lui déballer par le menu sa fameuse théorie de l'Etat de Peur et comment il s'y prendrait pour le provoquer, en trouvant un mécéne assez naïf et un bouc émissaire. C'est un sacré coup de bol, ça ! Et pour un génie du mal, l'Epouvantail n'est finalement pas beaucoup plus malin qu'un méchant ordinaire qui ne trouve rien de mieux que de détailler la machination qui entraînera toute une ville dans les ténèbres. Le véritable énnemi des vilains, ce ne sont pas les justiciers, mais le fait qu'il ne tienne pas leur langue.
Heureusement, Jorge Jimenez est là et l'énergie phénoménale qu'il insuffle à ses dessins suffit prrsque à oublier ces boulettes. Toutefois, l'artiste tire un peu la langue lui aussi : alors qu'il se distingue par sa capacité à illustrer avec le même soin scènes d'action et scènes d'exposition dans des décors fouillés, on note bien cette fois que les décors sont plus esquissés, moins précis.
La séquence en réalité virtuelle permet à Jimenez de s'économiser sur les arrière-plans, et de manière plus générale, le dessinateur joue avec l'environnement dans lequel se trouvent les personnages pour ne pas avoir à trop en dessiner. Le dialogue entre Batman et Montoya se déroule opportunément dans un pièce mal éclairée. A la fin, quand le Gardien de la Paix X est sur le point d'arrêter Sean Mahoney, la pluie qui tombe permet aussi de ne pas représenter trop minutieusement l'endroit où tout cela se joue.
Jimenez se rattrape sur l'expressivité des personnages, même si la valeur des plans qu'il leur accorde a tendance à hystériser leurs réactions, comme quand on voit Jonathan Crane jeune homme s'emporter sur une quasi-pleine page avant de se ressaisir pour expliquer son grand plan. Néanmoins, je serai indulgent avec Jimenez car dessiner comme il le fait à une telle cadence nécessite une sacrée forme et ses planches gardent une belle tenue. Il ira jusqu'au bout de ce run sans fill-in artist, ça mérite le respect.
Quelque part il vaut mieux que ce coup de moins bien se produise maintenant en souhaitant que Tynion soit plus inspiré pour la suite et fin. Cette saga a encore du potentiel et on peut accorder sa confiance à l'auteur, bien soutenu par son dessinateur, pour vite se reprendre.
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