jeudi 12 août 2021

THE UNBELIEVABLE UNTEENS #1, de Jeff Lemire et Tyler Crook


Un bon baromètre pour savoir si la semaine va être bonne au rayon lecture, même quand il n'y a pas beaucoup de sortie sur votre liste d'achats, c'est si elle compte un comic-book écrit par Jeff Lemire. Si c'est le cas, alors vous aurez au moins un bon mensuel à lire. Et Si en plus il s'agit d'un nouveau spin-off du Black Hammer-verse, alors, là, c'est parfait. The Unbelievable Unteens coche toutes ces cases et le scénariste canadien est accompagné par Tyler Crook au dessin pour une variation jubilatoire des X-Men.


Spiral City, 1997. Jane Ito achève de dessiner des commissions arts, épuisée, lorsque trois adolescents fans de ses comics lui demande une dédicace d'un exemplaire de sa série, The Unbelievable Unteens. Elle peut enfin rentrer chez elle ensuite.


Après une halte à l'épicerie, où elle se sent étrangément suivie, la revoilà à sa table à dessin pour boucler uun nouvele épisode. C'est alors qu'apparaît dans la pièce un individu qui dit s'appeler Jack Sabbath et qui lui explique qu'elle a été sa partenaire sous le pseudo de Strobe dans une équipe de super-héros.


Les Unbelievable Unteens ont réellement existé mais elle l'a oublié. Pour la convaincre, Jack Sabbath convainc Jane de le suivre jusqu''à un manoir décrépit à l'extérieur de la ville. C'était la propriété de leur mentor, le Dr. Miles Moniker, et de leurs amis, Snapdragon, Straka et Kid Boom.


Leur dernière aventure correspond à l'arc narratif avec lequel Jane compte conclure sa série. Pour sauver Snapdragon du Spectre Blanc, elle doit aider Jack à rassembler l'équipe. Ce qui s'annonce compliqué puisque ni lui ni elle ne savent où sont les autres...

Le procédé est bien connu des fans de l'univers de Black Hammer : Jeff Lemire y produit des versions des héros des Big Two et les anime au sein d'histoires imprévisibles et référencées, parfois meilleures que les originales. Ceux qui n'apprécient pas l'auteur canadien n'y voient qu'une forme de copie répétitive. Les autres, ses fans, un détournement habile et inspiré, fruit d'une imagination intarissable et d'une culture pop inouïe, qui se sert des comics comme les comics se sont servis des contes et légendes.

Black Hammer revisitait ainsi les super-équipes telles que la Justice League ou les Avengers, Doctor Star... Starman, Skulldigger + Skeleton Kid le Punisher... The Unbelievable Unteens sont les X-Men de Lemire, un groupe de freaks rassemblés par un mentor dans un manoir-école. Mais en vérité, c'est bien plus et mieux que cela.

En 2016-2017, Jeff Lemire écrit pour Marvel, il a repris notamment Hawkeye après le run de Matt Fraction (ce qui est déjà assez savoureux puisqu'il avait signé un run de Green Arrow chez DC Comics), quand on lui propose Extraordinary X-Men. Des personnages parfaits pour cet auteur qui apprécie les outsiders, les personnages borderline, et un pari sans risque pour l'éditeur à une époque où la franchise ne propose rien d'excitant depuis belle lurette.

Mais si Lemire accepte le job, il va le regretter. En effet, il va vérifier rapidement la réputation interventionniste des editors de la franchise, qui, passé un premier arc prometteur, regardent par-dessus son épaule pour voir ce qu'il concocte et lui impose des corrections, des révisions permantentes. Le deuxième arc, centré sur Apocalypse, sera décevant. lemire tient bon pourtant, mais perd son dessinateur (Humberto Ramos) dans l'affaire. L'aventure s'achèvera à peine un an plus tard. Une occasion manquée, un gâchis.

Curieusement, Lemire n'avait pas encore osé imaginer l'équivalent des mutants dans l'univers de Black Hammer, mais The Unbelievable Unteens a un goût de revanche. Désormais le scénariste a développé son propre univers, sa propre franchise, devenant un des piliers de Dark Horse Comics (bien heureux de couver ce talent après avoir perdu les licences Star Wars, Alien, Predator, et se reposant sur Hellboy et ses dérivés). Lemire a surtout gagné un lectorat fidèle, captivé par son jeu qui consiste à réécrire des personnages familiers dans des histoires qui peuplent toute une mythologie, avec pour cadre la ville de Spiral City.

La série a lieu en 1997, soit une époque où les comics allaient mal : Marvel était alors au bord de la banqueroute, Image cherchait un second souffle après des débuts tonitruants (nés de l'exode de jeunes artistes ayant percé chez Marvel), DC vivotait. Un air d'extinction soufflait, la fin d'un ère, celle des super-héros. Ce n'est donc pas un hasard si Jane Ito, l'héroïne de The Unbelievable Unteens, est une auteur de comics qui, dans une convention à Spiral City, attend, maussade que des fans s'arrêtent à son stand pour une dédicace ou lui acheter des dessins originaux et qui vit seule dans un appartement modeste où elle n'a pas le loisir ni le confort de se reposer car il lui faut boucler un nouvel épisode avant Vendredi.

La suite est exquise : que se passerait-il si un auteur de BD rencontrait un personnage d'un de ses albums et que celui-ci lui expliquait, le plus sérieusement du monde, que si elle produit ce livre, c'est parce qu'il raconte leurs aventures passées ? Comment cela se peut-il ? Et pourquoi n'en a-t-elle aucun souvenir ? Effrayée mais curieuse, Jane suit ce personnage dans un manoir en ruines, le QG de leur équipe, et écoute la suite : leurs partenaires sont introuvables, en particulier l'une d'elles, captive d'un grand méchant, et Jane peut l'aider à la retrouver.

C'est parce qu'il raconte des histoires abracadabrantesques très simplement que Lemire embarque le lecteur de manière aussi efficace. Le psotulat de ses séries est toujours rapide et engageant, excitant et inattendu. Comme Jane, on est surpris, apeuré, apr ce Jack Sabbath, un fantôme, mais on ne résiste pas à l'appel de l'aventure en le suivant en pleine nuit dans une maison décrépite pour une quête improbable. Le twist de la dernière page achève de nous convaincre d'en vouloir plus. Imparable.

Tyler Crook est un artiste qui a l'habitude de travailler avec Cullen Bunn (The Sixth Gun, Venom), ensemble ils ont produit la série Harrow County chez Dark Horse, un récit horrifique particulièrement brillant. Il y a comme une sorte d'évidence à le voir illustrer du Jeff Lemire parce que son style graphique n'est finalement pas si éloigné de celui du scénariste sur des livres comme Plutonia, Essex Country, Sweet Tooth.

En effet, Crook dessine au crayon sur du papier puis passe à la couleur directe en employant des aquarelles, ce qui donne un résultat à la fois brut et fluide, unique. Sa manière de croquer les personnages rappelle celle de Will Eisner, avec un goût prononcé pour les gueules, même s'il représente les filles avec une forme d'innocence plus naïve (bien que Jane Ito soit pourvu d'une coiffure bien particulière et de piercings).

Les couleurs un peu délavées conviennent merveilleusement bien à l'ambiance du récit, avec Spiral City sous la pluie, le petit appartement sombre de Jane, le manoir en ruines du Dr. Moniker. Mais Crook va plus loin : en effet, quand Jack Sabbath, dont le design évoque irrépressiblement celui de Deadman, évoque les aventures des Unbelievable Unteens, l'image ressemble à celle d'une page de comic-book sur du mauvais papier avec des couleurs criardes, des effets de trames. Tyler Crook encre alors nettement les personnages, d'une manière plus classique, et le rendu devient proche de celui des comics mainstream. Cette petite astuce souligne le caractère méta-textuel de la série, où réalité et fiction se mélangent et interrogent le lecteur sur ce qui est vrai ou pas dans ce qu'affirme Jack Sabbath.

J'ai hâte de découvrir où tout cela va me mener mais c'est terriblement addictif, comme les meilleures oeuvres de Lemire, servies par un artiste passionnant. L'univers de Black Hammer n'a pas fini de nous enchanter. 

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