Jusqu'à présent, le potentiel de Jonna and the Unpossible Monsters pouvait susciter des doutes et d'ailleurs la série divise les lecteurs. Mais avec ce troisième épisode, Laura et Chris Samnee ont, semble-t-il, voulu donner un coup d'accélérateur à leur histoire. Si tout reste simple, l'apparition de nouveaux personnages et plus de détails sur la situation qu'ils partagent donnent au titre une nouvelle profondeur.
Rainbow a suvi Jonna, qui a une attitude distante avec sa demi-soeur après une longue période sans l'avoir vue, jusqu'à une plaine aride. Jonna repère un cour d'eau où elle et Rainbow s'abreuvent. Jusqu'à ce qu'un monstre passe devant elle à toute allure en asséchant la rivière.
Jonna reprend sa course, Rainbow a du mal à suivre son rythme effrénée mais elle a beau demander à sa soeur de ralentir, rien n'y fait. Elles atteignent une cabane construite dans un arbre et qui semble à l'abandon. Elles y passent la nuit.
Mais au matin, quand Rainbow se réveille, elle voit Jonna en compagnie de la propriétaire, Nomi. Celle-ci entraîne les deux jeunes filles dans une grotte gardée par son mari, Gor, et où se sont réfugiées plusieurs autres persones, contraintes à l'exil après avoir tout perdu à cause des monstres.
Interrogée, Rainbow explique qu'elle vient de retrouver Jonna et compte à présent faire de même pour son père. Mais Gor prévient : les monstres sont partout, redoutables, comme il en a fait l'expérience. C'est alors que le plafond de la grotte s'effondre...
Depuis deux mois, j'ai défendu Jonna and the Unpossible Monsters en expliquant que cette série se destinait à un jeune public (de l'aveur même de ses auteurs, qui l'ont imaginée en s'inspirant de deux de leurs trois filles) mais qu'elle présentait une certaine forme de radicalité par son inspiration directe avec les contes, des récits a priori inoffensifs et divertissants mais dissimulant une grande noirceur.
Par ailleurs, Laura et Chris Samnee ont pris le parti d'une narration très dépouillée, sans voix-off explicatif, en projettant le lecteur comme ses héroïnes dans un monde dont ils ne livrent aucun code. Le genre s'apparente à celui d'un récit initiatique, mais emprunte au fantastique, à la fantasy, voire au post-apocalyptique. Et la naïveté du dessin brouille encore les pistes, laissant croire à un projet conçu pour que Chris Samnee se fasse plaisir.
J'entends les réserves qu'on peut avoir devant un tel objet. C'est un vrai pari. Surtout que je constate souvent, en me baladant sur des forums (mais sans plus y intervenir - je crois désormais fermement que ces endroits sont tout le contraire de ce qu'ils prétendent être, donc non pas des lieux d'échange entre fans, mais plutôt un mélange de bureau des plaintes permanent et de discours peu aimables envers le média qui rassemble leurs participants), que l'époque n'est plus à la patience, à la découverte. On veut tout, tout de suite, et même quand c'est le cas, alors d'aucuns trouvent encore à redire en pointant, avec une mauvaise foi terrible, que le scénariste va trop vite !
Dans ces conditions, et en ayant présenté Jonna and the Unpossible Monsters le plus lucidement possible, il est évident que cette série apparaît comme une curiosité sur laquelle on n'a pas le temps de s'étendre. Et c'est dommage.
Dommage parce que, finalement, il n'aura fallu que patienter deux épisodes pour découvrir que cette histoire révèle une profondeur réelle. Mais qui veut bien attendre deux mois aujourd'hui ? Apparemment, c'est au-delà des forces de beaucoup.
Il est certain en tout cas, pour moi, que Jonna... est une oeuvre plus intéressante que Fire Power pour laquelle Chris Samnee dépense son talent sans compter. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu'à l'inverse de la série écrite par Robert Kirkman, on ne sait absolument pas ce qui va s'y produire. Ici, tout est inattendu, tout est imprévisible, à la fois beau, étrange et inquiétant, mais aussi drôle, farfelu. Comme Rainbow, on court après l'insaisissable Jonna dans un monde peuplée de créatures bizarres, grotesques et dangereuses, sans savoir si on va leur survivre, et de tout cela découle une histoire pleine d'humanité finalement.
Dans le premier tiers de l'épisode, on reste dans ce que la série a proposé jusque-là, une sorte de déambulation amusante et colorée (encore une fois Matt Wilson fait des prodiges), en compagnie des deux soeurs qui viennent de se retrouver. Cette diablesse de Jonna est un vrai Zébulon, sans peur dans cet environnement hostile, et Rainbow, c'est nous, qui évoluons dans ce cadre majestueux et improbable, à la poursuite de cet enfant sauvage.
Puis dans les deux derniers tiers de l'épisode, le scénario de Laura Samnee introduit d'un coup d'un seul plusieurs nouveaux personnages, cassant la routine qui était en train de s'installer. Nous pénétrons dans une grotte où ont trouvé refuge plusieurs personnes, dont la vie a été détruite par les monstres. De ces fameux monstres, on apprend qu'ils sont apparus progressivement, se répandant comme une mauvaise vigne, et détruisant tout sur leur passage. Des villages (des villes ?) entières ont été rayés de la carte, des milliers (millions ?) de victimes en ont fait les frais. Sous terre semble être devenu le seul endroit où s'en prémunir, mais c'est un pis-aller plus qu'une consolation, car les survivants sont impuissants face au fléau et pleurent encore leurs proches.
Dans ces circonstances, deux éléments apparaissent : d'abord le fait que certains résistent, se battent, apprennent à affronter les montres, comme Gor, le mari de Nomi (également visiblement une guerrière), qui porte les stigmates de ces batailles (une impressionnante cicatrice lui barre le visage) ; et ensuite la question de savoir ce que faisaient Rainbow et Jonna dehors et comment elles ont pu subsister. Jonna fanfaronne en affirmant pouvoir tuer des monstres mais personne ne prend au sérieux cette gamine. Pourtant, le lecteur s'interroge toujours sur la scène inaugurale de la série quand elle s'est jetée dans la gueule d'une de ces créatures pour la frapper et qu'une lumière aveuglante et un bruit assourdissant ont fait perdre connaissance à Rainbow. Jonna dirait-elle la vérité ? Serait-elle une sorte de combattante exceptionnelle, capable de terrasser les monstres, et donc de sauver les réfugiés ?
A ce titre, il sera intéressant de découvrir comment la série va rebondir après le cliffhanger de cet épisode, mais il paraît évident que les Samnee ont orienté le lecteur sur une piste concernant Jonna et qui expliquerait le titre. Tout comme il semble clair désormais que cette histoire se déroule dans un futur post-apocalyptique, dans lequel la découverte de nouveaux décors au cours d'un périple va structurer le scénario. Le potentiel dont je parlais plus haut, le voici. Et il est séduisant.
Les planches sont une nouvelle fois époustouflantes, Chris Samnee utilisant à plusieurs reprises des doubles pages à montrer dans les écoles pour la manière dont il déploie l'action à l'intérieur d'une seule image, en décomposant les mouvements, en exploitant la perspective, en nivelant l'image sur la largeur et la hauteur. Ce procédé que j'appelle la "continuité séquentielle" est inspiré par les retables moyenâgeux mais, à part Will Eisner qui en avait adapté le principe à l'art séquentiel, peu d'artistes s'en emparent encore, et c'est regrettable car cela donne une fluidité folle à la narration graphique. Moi qui ne suis pas toujours tendre avec les dessinateurs qui (ab)usent de splash et doubles pages, voilà un moyen de les alimenter qui est très efficace et inventif.
Je me doute bien que Jonna and the Unpossible Monsters aura perdu beaucoup des curieux qui avaient acheté les deux premiers épisodes, mais c'est pourtant une expérience que je recommande car les auteurs ne se moquent pas du monde et la lecture réserve de très jolies surprises.
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