mercredi 31 mars 2021

BATMAN/CATWOMAN #4, de Tom King et Clay Mann


Batman/Catwoman est au premier tiers de sa publication et enfin sa narration semble devenir plus captivante. Tom King a voulu avec ses nouveaux projets actuels se détacher de ses précédentes oeuvres, mais sans convaincre vraiment (hormis pour le magistral Rorschach). Intention qui se convertit dans ce quatrième épisode où une des trois époques explorées prend le dessus. Visuellement, en revanche, Clay Mann est toujours au top, enchaînant les pages plus sublimes les unes que les autres.


Le Passé. Alors qu'ils se préparent pour une soirée chic, Selina révèle à Bruce que le Joker a posé une bombe sous la patinoire de Gotham. Le dispositif doit se déclencher dans vingt minutes. Bruce part la désamorcer en laissant à Alfred Pennyworth le soin de trouver une excuse auprès de leurs hôtes.


Batman trouve la bombe à l'emplacement indiqué et la désamorce. Il lui reste à apprendre comment Catwoman disposait de cette information, et donc où se cache le Joker. Mais Catwoman refuse de livrer sa source - sachant que si elle avoue, le Joker dénocera à Batman ses précédents cambriolages.


Le Présent. Après leur combat dans le manoir Wayne, Selina se réveille dans le repaire de Phantasm (Andrea Beaumont). Celle-ci se trouve devant un mur d'écran sur lequel apparaîssent les visages de son fils et du Joker. Elle relâchera Selina si elle lui dit où Batman cache le clown.


Le Futur. Batwoman (Helena Wayne) est convaincue que la mort du Joker est liée à sa mère, Selina Kyle. Elle interroge, violemment au besoin, des anciens complices du Joker, comme le Pinguoin, pour connaître les liens qui existaient encore entre le clown et Selina.

L'avantage des mini-séries en douze épisodes est qu'elle oblige leur auteur à structurer leur intrigue en quartiers. On s'attend à ce que, passé un certain nombre d'épisodes, le scénariste nous fournisse des informations qui font progresser le récit et nous captive suffisamment pour avoir envie de continuer notre lecture. Tom King, qui n'aime rien tant que ce format, le sait et ne déroge pas à la règle.

Toutefois avec Batman/Catwoman, sa narration est plus complexe et surtout plus fragmentée puisqu'elle déroule en parallèle trois époques. Il ne s'agit pas comme dans Strange Adventures de suivre les actes de Adam Strange dans son passé sur Rann et dans le présent sur Terre, ou comme dans Rorschach de noter les échos entre le passé de Wil Myerson et Laura Cummings avec l'enquête du Détective. Il y a une "couche" supplémentaire à prendre en compte et qui morcelle le récit un peu plus.

C'est ce qui m'a beaucoup gêné jusqu'à présent car cela décomposait chaque épisode en une succession de scènes très brêves où on passait du passé au présent et au futur, parfois dans une même page. J'étais dérangé par cela car je trouvais que cela empêchait de s'attacher aux personnages et aux faits décrits, comme si on ne faisait que les survoler. A mon humble avis, avec ce dispositif, King fonçait dans un mur, écrivant une histoire audacieuse sur le plan narratif mais à incapable de produire une émotion.

Sans crier trop vite victoire, il me semble qu'avec ce nouvel épisode, la série devient plus équilibrée. Et cela parce que, pour la première fois depuis le début, King a donné un peu plus de place à une des temporalités du récit, ce qui permet de mieux l'apprécier et avec, d'en savourer les conséquences.

Batman/Catwoman est une BD curieuse dans la mesure où King semble défaire ce qu'il a si patiemment construit durant son run sur Batman, à savoir la relation de couple des deux héros. Ici, il est entendu que Catwoman a menti à Batman au sujet de sa relation avec le Joker, que le Joker en profite pour la faire chanter, mais que Batman en fin limier devine que quelque chose cloche et va finir inévitablement par demander des comptes à Catwoman. En même temps, on voit que Selina Kyle et Bruce Wayne sont restés ensemble jusqu'à la mort de Bruce, qui a libéré Selina de sa promesse de ne plus tuer. Mais en éliminant le Joker, c'est sa fille qui se met à douter de sa mère, enclenchant un nouveau cycle sur le thème du mensonge et de la confiance.

Quel que soit le point où King veut en venir (et il reste encore huit numéros pour le découvrir), cet épisode est indéniablement plus agréable à lire parce qu'il fait des scènes du passé les plus mémorables (sinon les plus longues), bref il remet les fondations de l'intrigue au centre de la série. Selina a appris, dans le précédent épisode, par et que le Joker allait commettre un attentat à la bombe. Si elle le révèle à Batman, elle sauve des vies mais sait aussi que Batman lui demandera ensuite comment elle a eu cette info, et in fine si elle sait où se cache le Joker. Si elle ne dit rien, elle est la complice du Joker, mais elle s'assure aussi que le Joker ne révèlera jamais à Batman que Catwoman continue de commettre des cambriolages (alors qu'elle a juré y avoir renoncé).

Bien entendu, Selina informe Batman. Bien entendu, une fois le danger écarté, Batman va interroger Catwoman. Bien entendu, Catwoman refuse de lui répondre. L'épisode se clôt sur une séparation des deux héros. Ce segment est passionnant, il souligne fortement le dilemme de Catwoman, à laquelle, plus que jamais, la série est vraiment consacrée. Cela se confirme dans les deux autres époques du récit puisqu'au présent, Selina est désormais captive de Phantasm, qui veut lui arracher l'adresse où Batman garde à l'abri le Joker ; et au futur, Selina comprend que sa fille interroge ses anciens acolytes pour savoir quels liens l'ont unie au Joker jusqu'à la mort de celui-ci.

En remettant Catwoman au coeur de son ouvrage et le passé au centre de l'intrigue, tout fait clairement plus sens et acquiert une intensité plus nette. King serait bien inspiré de continuer à procéder de la sorte, non pas en négligeant les autres époques, mais en écrivant ses épisodes en favorisant une ère à chaque fois de manière à ce que le lecteur ait moins l'impression d'assister à un zapping frustrant, une espèce d'exercice de style froid.

Catwoman en première ligne, c'est aussi pour le lecteur le plaisir de voir Clay Mann la dessiner davantage. Il ne s'agit pas de rincer l'oeil, même si l'artiste la représente magnifiquement, jeune femme dans toute l'éclat de sa séduction, la subtilité de ses émotions, l'autorité de sa maturité. Mais surtout parce que Mann sert formidablement ce portrait passionnant d'une anti-héroïne tiraillée entre son passé et son avenir, l'homme qu'elle aime et celui qui se sert d'elle, ses fautes de vilaine et son désir de se racheter, son rôle d'amante, de femme et de mère.

Rarement, en effet, on a pu lire une série sur un personnage comme Catwoman avec cette finesse d'exécution dans le dessin. Mann a investi Selina Kyle dans toutes ses dimensions, iconique, mais aussi profondément humaine. En comparaison, Batman devient presque banal, une silhouette plus vague ou figée, marmoréenne. Le Joker n'apparaît pas dans cet épisode et du coup le contraste se fait encore plus fort : Catwoman est la vraie conductrice du récit, celle qui subit et (ré)agit. Phantasm souffre aussi de la comparaison parce que sa mission est plus simple et radicale (la mère qui veut venger son enfant). Quant à Helena/Batwoman, tout reste à dire sur elle : le design de sa tenue super-héroïque reste calamiteux, une faute de goût étonnante, et son parcours est assujetti à celui de sa mère (c'est, franchement, le personnage sur lequel King va devoir le plus prouver).

Il y a du mieux, incontestable, dans cet épisode. Batman/Catwoman sera évidemment plus appréciable comme lecture en recueil, et j'avoue avoir hésité à poursuivre la série entre le mois dernier et ce numéro, pour justement attendre d'avoir la totalité du récit en main. Mais j'espère que ce rebond se confirmera.

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