mercredi 20 janvier 2021

BATMAN/CATWOMAN #2, de Tom King et Clay Mann


Pour son deuxième épisode, Batman/Catwoman ne change pas une équipe qui gagne. Tom King mélange les lignes temporelles, de manière à ce que chacune fasse écho aux autres. Visuellement, Clay Mann signe ses plus belles planches. C'est un comic-book somptueux, mais qui ne se donne pas rapidement. Toutefois, cela mérite de s'y accrocher car on sent l'investissement et l'ambition des auteurs dans ce projet qui vise l'excellence, rien de moins.


Le passé. Parce que Batman enquête sur le vol du collier qu'elle a dérobé chez les Bertinelli, Catwoman se débarrasse du bijou en le remettant au Joker. Elle compte ainsi apaiser son amant tout en éliminant celui qui peut la confondre. Mais Batman reste soupçonneux car il ignore pourquoi le Joker aurait volé ce collier.


Le présent. La mort de son fils, causé par le Joker, motive Andrea Beaumont à revêtir son costume et le masque de Phantasm. Elle traque les hommes du main du clow du crime afin de le localiser. Batman et Catwoman suivent sa piste tout en constatant que Phantasm conserve son avance.
  

Le Joker est aux abois. Il détourne le Bat-signal et Batman le remarque. Il retrouve avec Catwoman le clown du crime sur le toit du commissariat central du GCPD. Le Joker implore Batman de le protéger de Phantasm.


Le futur. Selina Kyle a repoussé le Joker qui s'était jeté sur elle. Il va leur servir un verre d'eau mais en profite pour chercher un revolver dans son freezer; Il tire sur Selina mais elle a anticipé cette nouvelle féonie et le lui fait payer...

Attention ! ce résumé replace les événements dans un ordre chronologique. C'est une méthode que je vais tenter de conserver à la fois pour faciliter le déroulement de l'intrigue et donc l'exercice critique, mais aussi pour vous laisser de quoi savourer le récit quand vous le lirez à votre tour et ménager les spoilers.

Car Batman/Catwoman, c'est d'abord une narration éclatée, qui joue avec les lignes temporelles. Comme le premier épisode le présentait, le récit explore le passé (quand Batman et Catwoman était en couple mais poursuivaient des activités distinctes - Catwoman continue la cambriole), le présent (qui fait suite au run de Tom King sur Batman - Batman et Catwoman sont en couple et partagent une activité de justiciers, Phantasm traque le Joker responsable de la mort de son fils) et le futur (Selina Kyle et veuve, Bruce Wayne vient de mourir et leur fille, Helena, est en couple avec une femme, le Joker a pris sa retraite).

Il faut parfois s'accrocher pour suivre cette histoire méandreuse car King n'hésite pas à bondir dans le futur et plonger dans le passé dans la même planche tout en faisant une halte dans le présent. Mais le procédé n'est pas gratuit : narrativement, on peut dire que King travaille le concept d'écho narratif. Ainsi les scènes, quel que soit leur situation temporelle, se répondent, s'éclairent.

Mais cela n'empêche pas le scénario de ménager du suspense. Le fait, par exemple, que le Joker soit vivant dans son grand âge et qu'il se soit retiré au soleil signifie qu'il a survécu à Phantasm qui le traquait des années auparavant. Mais pourquoi Selina Kyle est-elle déterminée à le tueur malgré tout (malgré surtout la promesse qu'elle a faite à Bruce Wayne de ne pas le faire) ? Qu'est-ce que le Joker a fait dans le passé pour mériter que Catwoman veuille le supprimer ?

Dans le deuxième Annual de son run sur Batman, Tom King précisait que Batman était mort des suites de son exposition aux radiations du Dr. Phosphorus. Il n'a donc pas été tué par le Joker, ce qui exclut que Catwoman veuille venger Batman en tuant le Joker. Mais la responsabilité du Joker semble acquise dans la mort du fils d'Andrea Beaumont/Phantasm (et d'ailleurs les deux personnages ont toujours été liés de manière tragique).

King revient aussi sur la notion de confiance. Il interroge la relation de Batman et Catwoman, qui était au centre de son run sur Batman. Dans le passé, Catwoman dérobe un collier chez les Bertinelli et le Joker en est témoiin car il vient de tuer un des hommes de main des Bertinelli. Batman traque le Joker et pense que le meurtre qu'il a commis est lié au vol du collier. Mais pourquoi le Joker aurait volé ce collier ? Il n'est pas un cambrioleur. Donc Batman soupçonne Catwoman qui lui jure ne pas avoir volé le collier (elle ment donc). Pour déjouer les soupçons de Batman tout en se débarrassant du Joker, qui pourrait l'accabler, elle s'efforce d'orienter l'enquête de Batman, en commençant par donner le collier au Joker. C'est diabolique mais surtout très pervers car cela implique que la relation de couple entre Batman et Catwoman s'est construit (au moins en partie) sur un mensonge de Catwoman.

Le diable est donc dans les détails, c'est pour ça que le scénario est exigeant mais passionnant. En parallèle, on voit finalement peu Phantasm mais la manière dont elle est mise en scène est habile, tel un ange de la mort, dont le nom suffit à effrayer des criminels endurcis parce que ses méthides sont expéditives (elle tue tout ceux qui se dressent sur son chemin, qu'il lui parle ou non de ce qu'elle veut savoir).

Dès l'annonce de ce projet, King a été clair : son ambition était de produire un récit complet digne de figurer à côté des classiques DC comme The Dark Knight returns. Pour cela, la publication a connu un délai (et non pas un retard) d'un an afin que Clay Mann ait le temps de produire assez d'épisodes à l'avance.

Beaucoup plus discret que son scénariste sur les réseaux sociaux, Mann peut compter sur King pour lui dresser des lauriers. Mais ils sont mérités car l'artiste réalise vraiment un travail exceptionnel, le meilleur de sa carrière. Sur ce point, il faut féliciter DC qui a laissé Mann travailler tranquillement, sans lui mettre de pression. Si l'éditeur avait été aussi patient pour Heroes in Crisis (ça n'aurait pas changé la fin complètement foiré de cet event, mais ça aurait eu plus de gueule)...

Ce qui est marquant, c'est que Clay Mann n'a jamais disposé de tant de liberté quand il était chez Marvel et il faut voir là une distinction essentielle entre les deux éditeurs. On voit, dans chaque planche, de Batma/Catwoman à quel point Mann est devenu un dessinateur de première classe. La représentation des personnages est magnifique, ce sont des figures quasi-mythologiques, taillées commes des statues, d'une beauté terrassante. On peut ne pas aimer cette manière d'incarner des héros, mais il est difficile de ne pas apprécier la force magnétique qu'ils dégagent.

Qui plus est, cette mini-série est formidablement colorisée par Tomeu Morey, qui est vraiment le partenaire idéal pour Mann. Sa palette souligne le trait, les effets d'ombres et lumières, sans rogner l'encrage. Le résultat est somptueux et participe à cet aspect bigger than life du récit. On est dans une sorte de réalisme augmenté, qui convient parfaitement à l'ambition esthétique et narrative du projet.

On peut trouver des défauts à cette BD (un rythme un peu décompressé, qui demande de la patience, mais bon, c'est le jeu quand on part pour douze épisodes). Mais si vous êtes client de beau dessin, d'intrigue intense, d'écriture au cordeau, alors c'est irrésistible. Moi, en tout cas, je n'y résiste pas.

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