vendredi 30 octobre 2020

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #5, de Jeff Lemire et Tonci Zonjic

 

Le précédent numéro de Skulldigger + Skeleton Boy s'achevait sur un coup de théâtre tel qu'on pouvait légitimement se demander comment Jeff Lemire allait poursuivre sa mini-série sur deux épisodes supplémentaires. Le scénariste étonne encore, même s'il ne convainc qu'à moitié pour son pénultième chapitre. En revanche, Tonci Zonjic rend une copie virtuose grâce à laquelle l'histoire demeure aussi efficace et troublante.

 



Après que Skulldigger ait été abattu par GimJIm lui-même abattu par la détective Reyes, cette dernière a forcé, en le menottant, Skeleton Boy à la suivre. Mais elle ne le conduit ni au poste ni à l'orphelinat et le garçon proteste car son mentor est mort par la faute de a policière.


Sortie de Spiral City, Reyes téléphone à sa compagne pour l'informer de la situation. Elle refuse de rendre l'enfant aux services sociaux et compte s'isoler avec lui quelque temps. Avant de pouvoir être convaincue de la folie de son projet, Reyes raccroche et reprend le volant.


Cependant, grâce à la protection de son gilet pare-balles, Skulldigger a survécu à ses blessures. Il constate que GrimJim a disparu avant de descendre dans son garage où il trouve sa moto. Il prend la détective Reyes en chasse pour récupérer Skeleton Boy grâce à un traceur posé sur le costume de l'enfant.


En route, Reyes tente de raisonner l'enfant en lui expliquant que Skulldigger n'a rien d'un héros. Elle-même a vécu un drame dans sa jeunesse en étant victime d'un père violent. Le gmin finit par craquer, hanté par la vision de Tex Reed décapité par GrimJim dans la maison de Skulldigger.


C'est alors que GrimJIm resurgit et enlève Skeleton Boy. Skulldigger arrive sur les lieux mais trop tard : son ennemi s'enfuit à bord d'un dirigeable avec l'enfant comme otage...

Jeff Lemire est un narrateur fabuleux et Skulldigger + Skeleton Boy en a apporté une preuve supplémentaire. Inscrit dans le monde de Black Hammer, cette mini-série est fidèle à ce que l'auteur a déjà fait dans d'autres spin-off, sous la forme d'un hommage sibyllin à des comics mythiques tout en sachant leur donner une identité, une personnalité propres.

Toutefois, en concluant le quatrième et précédent épisode, Lemire a pris tout le monde de court en mettant scène la mort de Skulldigger, ce vigilante hyper-violent, et GrimJim, le méchant de l'histoire qui est aussi le père de ce justicier, lors d'une fusillade provoquée par la détective Reyes. Comment enchaîner, poursuivre après ça ?

En se concentrant sur les survivants de ce carnage, c'est-à-dire Skeleton Boy, cet orphelin dont les parents ont été assassinés et que Skulldigger a pris sous son aîle (à contrecoeur), et Reyes, cet flic à la fois obsédée par le projet d'appréhender le justicier et de sauver le gamin. Et Lemire réussit une première partie d'épisode étincelante.

On assiste à une fuite en avant poignante entre Reyes, complètement dépassée par les événements, et l'orphelin, qui vient d'assister au décès brutal de son père de substitution. Le dialogue est impossible entre l'enfant qui considérait Skulldigger comme un héros et la policière qui en avait fait son ennemi. Une halte pour téléphoner à sa compagne et l'avertir de son projet de protéger l'enfant elle-même, c'est-à-dire en ne le rendant pas aux autorités, permet de mesurer l'improvisation insensée qui préside à sa manoeuvre. 

Plus loin, on comprend que Reyes a été victime de la violence de son père, ce qui explique, de manière un peu (trop) appuyée, sa réaction envers l'orphelin et sa lubie de le sauver à tout prix. Plus convaincant : on assiste au moment où ce gamin déboussolé (on le serait à moins) craque nerveusement parce qu'il a vu Tex Reed décapité par GrimJim, une vision si traumatisante qu'il ne peut l'intègrer et qui, ainsi, lui prouve que le monde de Skulldigger est trop violent pour lui. Reyes le réconforte, mais en vérité on comprend à cet instant que ce sont deux êtres brisés par les circonstances qui se rencontrent véritablement, qui partagent une souffrance commune. Une scène magnifique.

On pense alors que la mini-série va emprunter une sortie inattendue et audacieuse. Mais Lemire déçoit en ne l'osant pas. Car Skulldigger n'est pas mort (il portait un gilet pare-balles) et GrimJim non plus. C'est à propos de ce dernier que j'ai tiqué car rien n'explique comment il a pu survivre à des tirs de pistolet automatique à bout portant. Evidemment, on se doute que GrimJim est une sorte d'humain modifié vu la couleur pourpre de sa peau, son physique très endurant (il n'a pas changé en plusieurs décennies comme on l'a vu dans les flashbacks où the Crimson Fist l'affrontait et les scènes au temps présent contre Skulldigger). Mais je pense qu'un peu plus de clarté sur la condition réelle de GrimJim n'aurait pas été un luxe pour justifier qu'il sorte indemne d'une fusillade.

L'autre élément problématique dans la belle mécanique de Lemire, c'est que si Skulldigger retrouve Skeleton Boy grâce à un traceur, ce qui suppose que le costume du garçon était équipé (à son insu) d'un mouchard permettant ce traçage, rien n'explique comment GrimJim soit capable lui aussi de resurgir pile là où s'est arrêtée la détective Reyes avec l'enfant. Cette incohérence est trop dérangeante pour qu'on ne la relève pas et qu'elle ne gâche le plaisir de la lecture. Je présume qu'il faudra faire sans puisque, à l'issue de cet épisode, le récit s'engage dans sa dernière ligne droite, loin de ces considérations "techniques". Cette négligence fait tâche et surprend de la part d'un auteur aussi rigoureux que Lemire.

Malgré tout, il reste indéniable que Skulldigger + Skeleton Boy demeure une lecture très efficace et agréable (même si le qualificatif est un peu impropre car le ton et les événements n'ont rien de confortables). Cela, on le doit à la prestation impeccable de Tonci Zonjic qui produit une fois encore des planches formidables.

Comme il assume tous les postes (dessin, encrage, colorisation), Zonjic est maître du résultat visuel et ainsi il est aussi responsable de ce qui peut marcher ou pas dans ce domaine. Mais c'est un aertiste complet et il ne commet aucune erreur. Ses effets sont dosés à la perfection et sa conduite du récit sur le plan graphique est éblouissante. 

Ce qui épate le plus dans cet épisode, c'est sa gestion du rythme de lecture. Il sait donner une intensité fièvreuse aux scènes les plus mouvementées à travers des compositions très dynamiques, comme en attestent la fuite de Reyes et l'enfant quand ils quittent Spiral City. Zonjic anime ces moments en virtuose en alternant les cases dans et hors du véhicule de la détective. Il suggère aussi habilement les heures qui filent puisqu'on commence avec une scène de nuit (qui prolonge directement la fin de l'épisode 4) et ensuite de jour (quand Reyes téléphone à sa compagne).

Aux dilaogues vifs entre Reyes et l'enfant, succèdent deux pages silencieuses où on découvre que Skulldigger a survécu, puis peut suivre le déplacement de Skeleton Boy et enfin où il découvre sa moto pour partir le récupérer. Zonjic alterne une double page avec des cases verticales qui grandissent et rapetissent en fonction des mouvements de Sulldigger, puis une pleine page quand il ôte de sa moto le drap qui la recouvrait. Là encore, l'effet est simple mais percutant. Avec son masque-casque au dessin symboliste de tête de mort, c'est comme si on voyait le justicier ressuciter littéralement pour accomplir sa dernière mission.

Le dernier tiers de l'épisode réserve encore de belles trouvailles visuelles, notamment quand GrimJim resurgit et fracasse le pare-brise de la voiture de Reyes. Zonjic prolonge cet effet de casse en disloquant ses vignettes, signifiant le retour du chaos dans la vie de la détective et de l'enfant, un chaos terrifiant puisque incarné par la figure maléfique du vilain qui enlève un gamin venant de craquer nerveusement et que GrimJim ravit au nom d'une vieille vengeance (the Crimson Fist/Tex Reed lui avait enlevé son fils - le futur Skulldigger).

Le dénouement promet d'être explosif et sûrement tragique, car Lemire n'est pas tendre avec ses héros (comme il l'a prouvé avec un autre spin-off de Black Hammer, le bouleversant Doctor Star, une autre histoire de paternité contrariée). Cela compensera sûrement les quelques facilités incongrues de cet épisode. 

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