jeudi 13 août 2020

GIANT-SIZE X-MEN : FANTOMEX, de Jonathan Hickman et Rod Reis


Hormis le premier numéro de la collection Giant-Size X-Men, la déception domine en ce qui concerne cette initiative de Jonathan Hickman. L'épisode avec Nightcrawler était insignifiant (et présentait même une contradiction en montrant le retour de Lady Mastermind, qui avait déjà acté dans House of X !), celui avec Magneto insipide. Mais tout est pardonné avec le retour de Fantomex. Hickman refait équipe avec Rod Reis et rend une copie sous influence mais très maline et bien barrée.


Durant cinq décennies, depuis sa naissance et celle de son frère, Fantomex n'a de cesse de pénétrer dans le Monde, l'endroit où il a vu le jour, pour le détruire. Il s'allie successivement avec les Howling Commandos de Nick Fury...


... Puis le Cercle Intérieur du Hellfire Club, puis les Humongonautes, et enfin avec Wolverine et Cyclope pour tenter d'y parvenir. A chaque fois, il tombe sur son double, qui veille sur le Monde qu'il veut, lui, protéger.


Mais à la fin, le frère de Fantomex a accédé à un niveau de conscience si élevé que sa propre mission lui apparaît futile. De nos jours, Tornade sollicite Fantomex pour qu'il l'aide...


Depuis House of X-Powers of X, Jonathan Hickman joue avec l'héritage de Grant Morrison sur les mutants. Tour à tour, il défait ce qu'avait institué le scénariste écossais (l'extinction est remplacée par une renaissance massive, par exemple) ou, au contraire, en reprend les motifs et les figures (comme ici Fantomex, création de son prédécesseur).


Quant Grant Morrison prend en main les destinées des X-Men au début des années 2000, il invente deux personnages charismatiques qui lui survivront : d'un côté l'enigmatique Xorn (dont on découvrira qu'il s'agit d'un déguisement de Magneto pour provoquer l'implosion de l'institut Xavier), de l'autre le bandit Fantomex.

Ce dernier est issu du programme Arme X, dont provient aussi Wolverine (c'est ainsi qu'il a acquis, au gré d'expériences traumatisantes, son squelette et ses griffes d'adamantium). L'Arme X est un concept fabuleusement riche, puisqu'il est lié à la création de Captain America, Luke Cage et d'autres surhommes de Marvel au point qu'on peut s'étonner qu'aucun véritable event n'ait été élaboré à partir de cela (d'autant que le père de Tony Stark y a été mêlé et on peut aussi glisser dedans Spider-Man, Spider-Woman, Sentry). Le plus ironique, c'est que les super-soldats de l'Arme X ont été conçus, pour certains, afin d'éliminer... Les mutants.

C'est le cas de Fantomex, comme le rappelle la scène d'ouverture de cet épisode où une jeune recrue de l'A.I.M. tamponne sur le front deux clones "progressifs", qui deviendront Fantomex et Ultimaton, son "frère". Sauf que Fantomex, une fois hors du Monde (le site où il a vu le jour), entreprend de le détruire.

Le parallèle entre le Monde et Krakoa, la Nation X par extension, devient rapidement sybillin. Dans les deux cas, il s'agit de vases clos, aux philosophies finalement semblables, isolationnistes. La science folle de l'AIM et la religion de Krakoa sont toutes deux des extrémismes, des îlots fascistes, qui pratiquent une forme de sectarisme fondé l'une sur l'eugénisme, l'autre sur une forme de tribalisme. Dans les deux cas, la haine de l'autre prévaut : les savants fous veulent exterminer les mutants, les X-Men sont engagés dans une réponse pro-active contre les humains.

Fantomex, dans les deux cas, est un électron libre. Il a échappé au déterminisme scientiste et ne fait pas vraiment partie de la communauté mutante (il ne réside pas sur Krakoa et s'allie indifférémment avec des humains et des mutants dans sa quête). Il y a une dimension répétitive et absurde dans son entreprise où il semble moins s'agir de détruire le Monde (dit comme ça, on mesure bien la qualité symbolique de la terminologie de Morrison pour baptiser le lieu de naissance du personnage) que d'approcher son frère. La véritable mission de Fantomex est d'extraire Ultimaton de là mais sans le forcer.

D'ailleurs, les deux frères s'observent à la fois comme des doubles (ce qu'ils sont littéralement) mais aussi comme des étrangers, fascinés l'un par l'autre. Ultimaton est la quinzième version de l'Arme X, probablement la plus sophistiquée, la plus poussée. Il n'a jamais quitté le Monde et finit par devenir une sorte de cyborg doté d'une conscience divine qui lui fait voir humains et mutants comme deux espèces déjà dépassées - on pense au Dr. Manhattan dans Watchmen.

Fantomex, lui, est une curiosité typique des créations de Grant Morrison et Jonathan Hickman a bien compris que modifier sa caractérisation dégraderait le personnage. C'est une sorte d'aventurier sorti des pulp fictions, avec son long manteau, ses flingues, sa cagoule, entièrement vêtu de blanc, qui fonce dans le tas, en tentant à chaque fois d'être plus rusé mais toujours explosif. Une scène le montre même se coiffant, ridiculement, d'un bérêt comme si cet accessoire pouvait le rapprocher davantage des membres des Howling Commandos de Nick Fury.

Pour arriver à ses fins, Fantomex s'adapte : il se fait négociateur avec le Hellfire Club (Sebastian Shaw, une fois sous le feu ennemi, lui promet de se venger), leader avec les Humongonautes, fraternel avec Wolverine (qui exige de lui du respect pour Cyclope, ivre mort). A la fin de l'épisode, il est flanqué d'un membre de l'AIM, dont la présence d'ailleurs ne dérange pas les X-Men qui viennent à sa rencontre - là encore, tout est dit...

Justement, à la fin, le récit retombe superbement sur ses pattes et on regrette que Hickman n'ait pas relié ainsi tous ses Giant-Size X-Men (cela aurait justifié leur existence en tant que collection parallèle à la série X-Men). Car Tornade (accompagnée de Cypher et Trinary) sollicite Fantomex pour la sauver : cela renvoie au premier numéro, avec Emma Frost et Jean Grey, quand elles ont sondé télépathiquement l'esprit d'Oror Munroe pour découvrir que les Enfants de la Voûte lui avaient inoculé un virus mortel. Le remède se trouverait dans le Monde. Il n'est plus question de le laisser détruire et Fantomex s'y est résigné après son ultime rencontre avec Ultimaton. La boucle sera bouclée au prochain numéro entièrement consacré à Tornade.

Pour l'occasion, Hickman renoue avec le dessinateur Rod Reis, avec qui il a signé le premier arc, marrant, de New Mutants. L'artiste est idéal pour animer Fantomex, grâce à son style volontiers déjanté, empruntant des techniques au grand Bill Sienkiewicz.

Grâce aux effets composées, il réussit l'exploit de rendre imprévisibles des scènes répétitives lorsque Fantomex et ses différents renforts s'infiltrent dans le Monde. C'est le moment de savourer des doubles pages démentes, avec des créatures insensées. Le Monde est fou et Reis comme Hickman filent littéralement la métaphore.

Le découpage illustre parfaitement ces incursions délirantes qui se terminent invariablement par le face-à-face des deux Armes X, avec des cadres déstructurés puis des vignettes étrangement apaisées car, malgré leurs dissemblances croissantes, jamais il n'y a d'animosité entre Fantomex et Ultimaton. Ce sont des intimes étrangers - et cela définit à la fois l'homo sapiens et l'homo superior, Fantomex et le reste des mutants, le Monde et Krakoa.

Ce numéro, renversant et jouissif, entretient bien des regrets contre ceux consacrés à Nightcrawler et Magneto. Mais il prouve aussi que Hickman a bien un plan. Avant le méga-crossover X of Swords, qui démarrera en Septembre, ces Giant-Size X-Men (pour au moins le premier, ce quatrième et le futur cinquième - qui verra Russell Dauterman revenir au dessin) forme un corpus passionnant.  

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