dimanche 9 août 2020

FIRE POWER #2, de Robert Kirkman et Chris Samnee


Je me suis posé la question : fallait-il tout de suite rédiger une critique de Fire Power #2, juste après celle du #1 ? Ou bien laisser un peu reposer et écrire plus tard ? Mais comme les deux premiers épisodes sont sortis le même jour, ça n'avait pas de sens de différer l'article. Et puis ainsi, j'espère définitivement vous convaincre d'acheter cette série.


Un ninja s'est glissé dans la chambre d'Owen et Kellie Johnson. Owen l'a senti et l'affronte dans cet espace exigü sans faire de bruit. Il réussit à expluser son adversaire de la pièce mais une mauvaise surprise l'attend dans la couloir.


Le ninja n'est pas venu seul, deux compères l'accompagnent. Owen engage le combat, toujours en veillant à ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller sa femme mais aussi ses enfants. Ses ennemis tiennent aussi visiblement à rester discrets pour le capturer.


Owen finit pas recourir à son pouvoir et les trois ninjas tombent dans le salon au rez-de-chaussée de sa maison. Il éteint les flammes et convainc le dernier à être enore conscient de se taire. Mais Kellie surgit, fusil à la main.


Owen vérifie qu'il ne s'agit pas de membres du clan de la Terre Ecorchée pus appelle Ma Guang qui sort de l'ombre et se révèle être à l'origine de cette attaque. Il demande à nouveau à Owen de rentrer au temple du Poing Enflammée et essuie un nouveau refus...


Ce deuxième épisode est l'antithèse du premier : prime à l'action ! Voilà qui devrait soulager ceux qui craignaient une mise en place un peu laborieuse. Mais surtout le numéro entier est un morceau de bravoure, Robert Kirkman ayant laissé les clés à Chris Samnee, dans une forme olympique.

Sur les vingt-deux pages que compte ce chapitre, pas moins de seize sont muettes (ou presque : Owen ponctuant son combat d'un laconique "Damn it" après avoir expulsé le premier ninja de la chambre conjugale). 

L'art de mettre en scène une bagarre est une sorte de test pour tout artiste de comics puisque l'exercice est une forme de figure imposée par le genre. Chris Samnee le sait bien, lui qui a animé des séries à forte teneur en mandales et coups de latte divers et variés, de Daredevil à Captain America en passant par Black Widow. On remarquera ainsi que le dessinateur s'est fait une réputation avec des super-héros sans pouvoirs et cela me rappelle ce passage de Wolverine : Ennemi d'Etat (Mark Millar/John Romita Jr) dans lequel me mutant griffu s'en prenait à Daredevil en expliquant en voix-off que les street-level heroes étaient sous-estimés. Pourtant, sans talent autre que leur talent de lutteur et d'acrobate, c'étaient les plus méritants de la communauté car ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes et un entraînement rigoureux pour s'en sortir face à des ennemis souvent plus puissants.

Cela est, littéralement illustré ici par l'exemple de Owen Johnson dont la pratique des arts martiaux est la principale arme. En effet, on a pu noter à la fin du Prélude qu'il n'utilisait plus son pouvoir combustible qu'en cachette (pour allumer son barbecue) et dans le numéro 1, il insistait auprès de Ma Guang sur le fait que tout ce qu'il avait vécu au temple était derrière lui, suggérant ainsi qu'il avait renoncé au don de produire de boules de feu. On pouvait même se demander si sa femme était au courant qu'il savait faire cela et même qu'il était un artiste martial d'exception...

En veillant à ne pas faire de bruit lorsqu'il affronte un puis trois ninjas, le doute est encore permis. On se dit qu'il pourrait avoir raison d'eux facilement et rapidement avec une bonne boule de feu, mais il n'y recourera qu'en dernière extrémité. Ensuite, non seulement on apprendra que Kellie Johnson sait que son mari est un combattant exceptionnel mais aussi qu'il est doté d'un tel pouvoir : il lui a confié tous ses secrets, depuis son séjour au temple jusqu'à sa rivalité/amitié avec Ma Guang en passant par son amour pour Lin Zang et même la légende du dragon.

Avant cela, Samnee réalise un exploit narratif sur seize pages fabuleusement intenses. Il avait déjà signé des affrontements mémorables dans ses séries antérieures (notamment sur Daredevil) mais il se surpasse ici. Les acrobaties accomplies par Owen se permettent même d'insuffler une dose d'humur puisque le héros s'évertue à ne rien faire tomber malgré les chocs qu'il provoque : il évite à un verre d'eau de se briser ou une peluche de glisser du lit de son fils.

Depuis Frank Miller et Klaus Janson sur Daredevil (le monde est petit), la chorégraphie d'une bagarre est devenue une manière pour un dessinateur de sublimer cet exercice. Il s'agit à la fois de faire exécuter au héros et à son adversaire une suite de mouvements gracieux et puissants mais encore de le faire en veillant à ce que chaque plan ait une valeur précise, que les cases s'enchaînent avec une fluidité imparable et enfin que les pages se suivent sans jamais se ressembler, avec des compositions de plans variées, un découpage très rythmé. Bref, tout cela indique à quel point l'action doit être maîtrisée par l'artiste.

Les scénaristes sont plus ou moins directifs pour rédiger ce genre de séquences. Tom King laissait Mikel Janin "faire sa magie" dans les épisodes de Batman qu'il dessinait par exemple tandis que le "gaufrier" de Mister Miracle devait sans doute contraindre Mitch Gerads à quelques contorsions quand cela s'animait. En revanche, des auteurs comme Brian Michael Bendis sont réputés pour fournir des scripts très détaillés (même si le champion en la matière reste Alan Moore). Parfois on ne sait qui du scénariste ou du dessinateur prend ses responsabilités, mais on peut imaginer qu'un Stuart Immonen a les coudées franches, même quand c'est Warren Ellis qui signait le texte de Nextwave.

Hélas ! dans les bonus du numéro de Fire Power, une nouvelle fois formés d'un dialogue entre Samnee et Kirkman, ce dernier ne précise pas la forme de son scénario pour ce tour de force. Je parierai quand même sur une grande liberté accordée à Samnee car Kirkman a été le chercher justement pour sa virtuosité à chorégraphier des combats (entre autres atouts).

Il est impossible, à moins d'être un lecteur ingrat, de ne pas s'attarder sur les pages de Samnee, d'autant que l'action se déroule entièrement de nuit, lumières éteintes dans la maison Johnson. Il faut aussi saluer Matt Wilson, dont le travail est loué par Samnee : les deux hommes se connaissent parfaitement, après plus de dix ans de collaboration (Samnee ne lui a fait qu'un infidélité quand il a dessiné un arc de The Rocketeer, colorisé par Jordie Bellaire). Wilson est certainement le meilleur dans sa partie par sa régularité et la finesse de ses contributions. Le trait épuré de Samnee lui laisse du champ pour s'exprimer mais il n'en abuse jamais, sa palette est subtile et elle donne juste ce qu'il faut de relief au dessin. Ici, par des camaïeux de bleus, il photographie l'action de manière somptueuse, même si l'encrage de Samnee est irréprochable (je me rappelle avoir lu sur un blog la réaction d'un lecteur devant des commissions arts de Samnee à qui il reprochait de n'être qu'un ersatz de Toth, qui aimait trop le noir. J'aimerai bien savoir si ce cuistre a lu cet épisode pour savoir s'il est toujours aussi catégorique dans sa bétise).

C'est donc un pur régal de lire Owen Johnson en train de maraver ces trois ninjas (au design épatant - cette visière est une idée géniale). Mais une fois la boîte à gifles rangée, Kirkman et son artiste réservent d'ultimes planches aussi réussies avec un nouvel échange rendu avec Ma Guang (l'instigateur de cette embuscade). Lorsque Kellie Johnson mentionne le dragon, on relève avec le sourire que Owen n'y croit toujours pas, c'est très drôle. Mais le cliffhanger final est une fois de plus terrible : j'ai vraiment été cueilli (même si je m'attendais à une réapparition rapide de ce personnage). L'intrigue rebondit et nous entraîne dans un questionnement redoutable. Pas de doute, Kirkman voit loin et n'a pas fini de se jouer de nous.

Bon, maintenant, si ça ne suffit pas pour vous y mettre, je m'avoue vaincu. Mais vous allez passer à côté d'une BD jubilatoire, merveilleusement imagée et efficacement écrite. Allez quoi, faîtes-vous plaisir !

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