vendredi 3 juillet 2020

BATMAN, VOLUME 10 : KNIGHTMARES, de Tom King et Travis Moore, Mitch Gerads, Mikel Janin, Jorge Fornes, Lee Weeks, Amanda Conner et Yanick Paquette


Le dixième tome du run de Tom King sur Batman contient sans doute le matériel le plus controversé. Il s'agit d'une collection de one-shots reliés par le thème du cauchemar (nightmare en anglais : le titre du recueil est un jeu de mots sur knight, le dark knight-Batman, et nightmares, cauchemars). Leur qualité est très inégale et constitue une sorte d'intermède assez long et poussif, qui souligne que le plan du scénariste patine conséquemment.  


Avec Travis Moore, Tom King se demande d'abord ce qui se serait passé sir Bruce Wayne n'était pas devenu Batman mais que Batman avait enquêté sur le meurtre de Thomas et Martha Wayne et résolu l'affaire alors que Bruce était devenu un orphelin psychopathe. La démonstration est assez troublante et joliment mise en images par Moore, un artiste bizarrement peu exploité par DC. Il y a une ambiance qui rappelle les Elseworlds d'antan et qui renvoie surtout à Batman : Year One dans quelques pages superbes.


Avec Mitch Gerads, Tom King collabore avec le dessinateur qui sait sans doute le mieux traduire en images ses obsessions. Ce segment où Batman est prisonnier du sinistre Pr. Pyg avant de découvrir qu'il a à faire avec quelqu'un d'autre sous le masque est époustouflant. Les pages de Gerads sont extraordinaires, dans un déluge de couleurs saturées qui créent un malaise efficace à partir d'un découpage simplissime (un seul type d'image, une case occupant toute la largeur de la bande). La chute est désarmante.


Le niveau est aussi élevé avec le chapitre suivant dont Mikel Janin assume le dessin. King convoque John Constantine en guest-star pour une introspection poignante sur la grande hantise de Batman (la mort de Catwoman). Janin produit des pages fabuleuses, hélas ! parfois noyées sous un texte envahissant (une tendance récurrente chez King, qui raffole de la voix-off pour souligner ce qui est déjà évident). Mais, baste ! c'est vraiment beau et tragique.


Bon, on descend d'un cran avec l'épisode suivant. Je ne veux pas paraître intolérant avec Jorge Fornes, d'ailleurs il sort quelques planches épatantes ici. Mais l'ensemble souffre d'un manque de consistance générale. King met en scène un dialogue entre la Question et Selina Kyle, purement théorique et fictif. Quand les deux personnages discutent, aucun décor et ce qui aurait pu être une idée graphique intéressante ne fait que souligner la mollesse du rythme et l'aspect pâlichon de Fornes. Dommage.


Dommage aussi que le segment suivant démarre aussi fort pour n'aboutir qu'à... pas grand-chose. On se réjouit d'abord en remarquant que Lee Weeks est au crayon et que King revient à lui au one-shot spécial Batman/Elmer Feud, mais cette fois avec une poursuite digne de Vile Coyote et Beep-Beep. Inexplicablement, le derniers tiers de l'épisode voit Weeks céder sa place à Fornes qui n'a décidément pas de chance car passer après son illustre collégue n'est pas de la tarte. Néanmoins l'identité de celui que chasse Batman a quelque chose de savoureux, malgré le côté cryptique du scénario.


Toutefois, cette déception n'est rien comparé à l'épisode 68 qui relève du grand WTF. Que vient faire là cet intermède comique où on suit en parallèle l'enterrement de vie de jeune fille (imaginaire) de Selina Kyle, conduite à la forteresse de solitude de Superman par Supergirl et Lois Lane, pendant que Bruce Wayne passe la soirée avec Clark Kent ? Pourtant, auparavant, King avait su merveilleusement animer les deux couples dans des chapitres dessinés par Clay Mann, mais ici, en voulant se frotter à la comédie, il rate complètement le coche. Pour achever le tout, Amanda Conner n'est pas fichue de s'acquitter des vingt pages, et John Timms et Dan Panosian ont été appelés à la rescousse. Mikel Janin signe la dernière page, la plus intéressante car elle révèle le dispositif derrière tous les cauchemars décrits : Batman est prisonnier d'une machine qui lui injecte des drogues hallucinogènes (concoctées par qui ? Et où ? Réponse dans le volume 11).


Enfin, l'album se referme par un bijou. Yanick Paquette avait souhaité collaborer avec King, en voulant se frotter au fameux "gaufrier" cher au scénariste. Sur ce plan, c'est loupé car le découpage a été visiblement laissé aux bons soins de l'artiste et le canadien s'est beaucoup amusé avec des effets d'ornements, de séparations ondulatoires, de pleines et doubles pages somptueuses. La danse qu'effectuent Bruce Wayne/Batman et Selina Kyle/Catwoman renvoie souvent au #50 avec les flash-backs sur les différentes rencontres entre le chevalier noir et la féline fatale, notamment par le jeu sur les costumes endossés par cette dernière au fil de sa longue carrière. Paquette éblouie souvent tandis que King rédige un dialogue quasi-rétrospectif sur ses (presque) soixante-dix premiers épisodes.

Aurait-on pu se passer de ces septs épisodes ? Oui. Mais ça aurait dommage car si certains sont dispensables, d'autres sont très inspirés et souvent, en même temps, superbement mis en images. Il est évident que, sur un plan strictement narratif, c'est la collection de chapitres la plus inégale écrite par King, le lecteur, même très fan, trouve le temps un peu long. Mais il sera récompensé avec l'arc suivant, le dernier avant le grand final de l'ère King.

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