samedi 7 mars 2020

DAREDEVIL #19, de Chip Zdarsky et Marco Checchetto


Ce dix-neuvième numéro de Daredevil inaugure un bref arc en deux parties, Inferno. Mais il marque aussi, surtout le retour au dessin de Marco Checchetto, dont la série profite à plein, renouant avec sa superbe. Chip Zdarsky fait donc tout péter dans un épisode explosif, impressionnant, avec quelques surprises de taille.


Hell's Kitchen est en feu : le gang recruté par les Stromwyn a débarqué pour purger le quartier, sans faire dans la demi-mesure puisque Crossbones, Bullseye, Bullet et le Rhino sont à l'oeuvre. La population est affolée par ce déferlement de violence.


Evidemment, Cole North et Matt Murdock ne mettent pas longtemps à être au courant de la situation et force un barrage de police pour porter secours aux civils. Mais le policier roule trop vite et son véhicule est stoppé net par l'Homme aux échasses.


Un copycat de Daredevil attaque Bullseye qui le blesse mortellement tandis que le Rhino cible l'église du coin. Soeur Elizabeth recueille les passants à l'intérieur mais le stress la gagne et révèle sa véritable identité : sous l'habit de la nonne se cachait Typhoid Mary.


Cole North revient à lui et s'assure que Matt est toujours vivant. Puis il se mêle à la bagarre en s'en prenant à Bullet. Des policiers venus en renfort se joignent aux civils pour faire barrage au gang des Stromwyn mais se font repousser par Crossbones. et Bullseye.


Matt gagne le champ de bataille et le copycat de Daredevil meurt dans ses bras. Il ne peut plus se cacher alors que son quartier a hérité de son fardeau et s'en va défier les criminels qui le mettent à feu et à sang. Dans sa tour, Wilson Fisk assiste à ce triste spectacle dont ne parlent pas les médias, muselés par les Stromwyn.

Vous connaissez la formule : "un seul être vous manque...". C'est ce qui a affligé Daredevil ces derniers mois, malgré la prestation honnête de Jorge Fornes au dessin. Pris dans un arc narratif à rallonge, Chip Zdarsky a voulu développer une saga ambitieuse sur Hell's Kitchen aux mains des Stromwyn pendant que Matt Murdock, en congés forcés, suivait l'entraînement de Elektra et que Wilson Fisk subissait une sévère humiliation.

Problème : la série ne décollait plus, captive d'un filet de situations très (trop) dense, avec une abondance de personnages et de manoeuvres en coulisses (le Hibou prenant le contrôle de la pègre, la famille Libris dans son viseur, les investigations menées par Matt et Elektra, la chute du Caïd). On devinait bien que le scénariste visait une montée en pression mais les épisodes se suivaient sans qu'on en sente les effets.

Et puis, alors que tout indiquait que Zdarsky allait conduire son récit ainsi jusqu'au #20 (étant annoncé que Daredevil enfilerait son costume rouge à nouveau dans le #21), surprise ! Il fait tout exploser avec un diptyque, Inferno, et passe la seconde en précipitant l'action comme il ne l'avait plus fait depuis trop longtemps.

A la fin du numéro précédent, on voyait débarquer à New York un gang recruté par les Stromwyn, composé de Bullseye, Crossbones, le Rhino, Bullet. Ajoutez-y l'Homme aux échasses et Typhoid Mary en invités inattendus ce mois-ci et vous aurez une idée de l'enfer qui s'abat effectivement sur Hell's Kitchen. On est en pleine guérilla urbaine, et c'est vraiment spectaculaire.

Zdarsky n'hésite pas à remanier certains vilains (le Rhino devient un vrai monstre), et à étonner avec des éléments qu'on n'avait vraiment pas vu venir (Soeur Elizabeth est Typhoid Mary). Les forces du mal en présence sont tellement imposantes qu'on se demande bien comment Daredevil va les neutraliser, même si, dans une scène galvanisante, ce sont les habitants de Hell's Kitchen qui prennent les armes et le masque de leur protecteur pour résister. On est en vérité dans un western avec une bande de méchants qui viennent commettre un massacre jusqu'à ce que, à la dernière page, le "shérif" surgisse.

Mais pour que cela fonctionne, il fallait que la série retrouve un dessinateur puissant, capable de traduire le déchaînement à l'oeuvre. Malgré tout son mérite, Fornes n'en est pas là. Place donc à Marco Checchetto.

L'italien s'est fait discret depuis quelques mois (il a quand même signé quelques couvertures de-ci, de là), on pouvait presque craindre qu'il n'ait jeté l'éponge pendant que son remplaçant n'alignait les épisodes.  Etrange de la part d'un artiste qui est plutôt régulier (même si Marvel l'a limite cramé à un moment, en l'utilisant comme un fill-in sur de grosses franchises). Mais sans doute aussi est-ce le prix à payer quand on produit des planches aussi riches que les siennes et qu'on dispose d'un talent capable de s'adapter aussi bien au Punisher qu'à Star Wars. Malgré tout, Checchetto a réussi à échapper à l'illustration d'un event.

Sa prestation sur Daredevil ne souffre pourtant pas la critique, chaque épisode qu'il a réalisé est exceptionnel et il enterre tous ses suppléants. On le voit encore ici quand il aligne les pages de haute volée, généreuses dans l'effort, visuellement bluffantes.

Tout l'épisode est électrisé par le travail abattu par Checchetto. Avec lui, le script de Zdarsky est réellement transcendé, la série entre dans une autre dimension, profite de son talent sur les textures, prend chair. Avec lui, Bulseye a l'air d'un dingue effrayant, et même l'Homme aux échasses fait peur. Lorsqu'on découvre que Typhoid Mary était un agent dormant sous la coiffe de Soeur Elizabeth, Checchetto compose un moment stupéfiant et angoissant en jouant sur les contre-jours et les champs-contre-champs. Quand enfin Matt recueille le dernier souffle de son imitateur et décide qu'il ne peut plus ne plus être Daredevil, c'est d'une intensité d'autant plus forte que Checchetto découpe la scène avec sobriété en enchaînant des plans rapprochés.

Cela vient à point prouver, une fois de plus, si nécessaire, qu'une BD est l'oeuvre de deux partenaires (au moins). Un scénariste inspiré ne saurait se passer de la contribution d'un dessinateur en pleine bourre. De même qu'un excellent dessinateur ne peut sauver un récit sans substance. Mais quand les deux s'accordent, le résultat atteint des sommets. Zdarsky est un auteur plein de bonnes intentions mais qui a besoin du soutien d'un artiste accompli et Checchetto sait mieux que tout autre dessiner son Daredevil avec la puissance requise.

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