vendredi 28 février 2020

HIDDEN SOCIETY #1, de Rafael Scavone et Rafael Albuquerque


Amis et collaborateurs depuis longtemps, Rafael Scavone et Rafael Albuquerque, après avoir récemment adapté un texte de Neil Gaiman (A Study in Emerald), se lancent dans un projet en creator-owned chez Dark Horse avec Hidden Society. Les deux compères sont prudents en se contentant d'une salve de quatre épisodes, mais ambitionnent de développer ce projet en cas de succès. Et ça le mériterait.


New York, 1979. Rickey Bassanon dispute une partie de cartes en trichant ostensiblement. Une jeune femme, Mercy, entre dans le bar où ils jouent et, après avoir bu un verre en consultant un livre, se laisse raccompagner par Bassano. Elle le dépossède de son âme pour ses péchés.


Quelques rues plus loin, Laura, une jeune aveugle guidée par son chien, est abordée par trois voyous qui veulent lui voler le camée qu'elle porte sur son polo. Ils ignorent que le bijou est magique et libère le démon Orcus qui leur règle leur compte et les dépouille.


Encore un peu loin dans la ville, le jeune magicien Jadoo accomplit un tour impressionnant devant les caméras en faisant disparaître le pont de Brooklyn. Mais il est incapable ensuite de le refaire apparaître, ayant employé un sortilège dépassant le trucage traditionnel prévu.


Il se retire, affolé, dans sa caravane, et, via le miroir de sa table de maquillage, il est téléporté dans le bureau du sorcier Ulloo, qui est en compagnie de Laura et Orcus. Ensemble, ils doivent sauver le monde, comme jadis le sorcier le fit avec le grand-père de Jadoo, Ankur.


Mais Jadoo n'est pas prêt pour s'embarquer dans une aventure pareille - d'ailleurs il croit à une hallucination ou une plaisanterie. Ulloo s'interrompt alors pour accueillir la dernière recrue de sa société secrète : Mercy, venue pour le tuer...

Partageant depuis plusieurs années le même atelier de travail, Rafael Scavone et Rafael Albuquerque n'avaient pourtant jamais travaillé ensemble jusque récemment en adaptant un texte de Neil Gaiman. Mais cette collaboration leur a donné confiance et envie pour s'investir dans un projet personnel que Dark Horse a accepté de publier.

De l'aveu même des auteurs, il s'agissait de se faire plaisir en visant un public plus jeune que la moyenne des comics mais aussi en synthétisant plusieurs éléments imaginés pour de précédents essais.  Au départ, ainsi, il n'était pas question d'un team-book, mais l'histoire a permis de réunir plusieurs personnages dans une intrigue commune pour plus d'efficacité.

Pareillement,, les deux Rafael n'avaient pas en tête un format arrêté, mais en mesurant le matériel collecté dans l'élaboration de leur projet, ils se sont rendus compte qu'ils avaient de quoi développer un récit au long cours. Toutefois, dans un marché hyper-concurrentiel et dominé par les super-héros, ils ont préféré avancer prudemment et Hidden Society sera donc d'abord une mini-série en quatre chapitres - Albuquerque estimant que cela devait suffire pour accrocher le lecteur et raconter une première intrigue.

Malgré tout ces préventions, le plaisir qu'on prend à lire ce premier épisode est suffisant pour avoir confiance dans la suite, et surtout espérer que le titre puisse grandir au-delà de quatre chapitres. La construction est classique : on fait connaissance avec quatre personnages que rien ne lie, si ce n'est la magie. Il y a Mercy, une sorte de tueuse qui règle leurs comptes à ceux qui abusent de leurs pouvoirs ; Laura, une aveugle qui commande à un génie, Orcus ; Jadoo, un prestidigitateur aussi précoce que maladroit ; et enfin celui qui va les réunir, le sorcier Ulloo.

Bien entendu, ces quatre fortes têtes doivent rien moins que sauver le monde. Mais les deux auteurs gardent l'identité de l'ennemi et la nature exacte de la menace secrètes pour l'instant, d'autant qu'on découvre que Mercy a pour objectif de tuer Ulloo, et que celui-ci compte pourtant l'intégrer au groupe.

Sur ces bases le script se déroule avec un rythme soutenu auquel il est impossible de résister. Les personnages sont bien campés, immédiatement identifiables, et leur réunion a ce quelque chose d'improbable qui assure la séduction de sa formation. En situant l'histoire à la fin des années 70, Scavone joue aussi sur une ambiance nostalgique, une époque charnière, la fin du temps de l'innocence et en même baignant dans une nuit propice au danger. 

Pourtant, graphiquement, Albuquerque n'abuse pas d'effets rétro. Son trait très vif et expressif, avec des plans aux angles très dynamiques, assure à la mise en scène un entrain indéniable. L'artiste est à l'aise dans ce cadre auquel il infuse une sorte d'électricité tout en conservant toujours une légèreté bienvenue.

Bien qu'il ne soit pas crédité au scénario, il semble bien que Albuquerque s'y soit investi pour se ménager de l'espace visuellement. Ainsi peut-il passer d'une introduction assez inquiétante avec le personnage de Mercy à une scène ouvertement plus fantaisiste avec Orcus, dont l'apparence dénote (son pelage bleu, son cigare aux lèvres, lui donne un look ouvertement cartoon), tandis que Jadoo est un personnage auquel les plus jeunes peuvent s'identifier, et que Ulloo occupe le rôle de la figure paternelle.

Albuquerque a une aisance naturelle à dessiner, avec le risque de parfois tomber dans la facilité quand il ne dispose d'un scénario  assez robuste pour guider sa virtuosité. On l'a vu avec Prodigy de Millar qu'il na pu sauver du naufrage. Mais ici, il a pris le parti évident de s'amuser et de nous divertir. En optant pour cette direction, et grâce à l'écriture bien charpentée de Scavone, il ne s'éparpille pas et fournit un travail très agréable.

Pour tout cela, on a hâte de lire la suite de cette série, qui a tout pour plaire. 

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