samedi 28 décembre 2019

DAREDEVIL, VOLUME 2 : NO DEVILS, ONLY GOD ; de Chip Zdarsky, Lalit Kumar Sharma et Jorge Fornes


Ce nouvel arc du Daredevil de Chip Zdarsky compte cinq épisodes comme le précédent. Cinq épisodes sans... Daredevil ! Le parti-pris est audacieux mais logique puisque Matt Murdock a choisi de cesser son activité de justicier. La série se concentre sur cette situation et ses répercussions pour les trois personnages principaux (Matt, le Caïd et Cole North), privilégiant donc la psychologie à l'action. En revanche, visuellement, le titre souffre énormément de l'absence de Marco Checchetto, remplacé par le médiocre Lalit Kumar Sharma puis Jorge Fornes.


Voici deux mois que Daredevil a disparu de la scène. La rumeur le dit mort, ce qui ne convainc ni Wilson Fisk ni le détective Cole North, à qui on confie la mission d'appréhender désormais Spider-Man. Mais le policier doit surtout affronter ses collègues qui le détestent, soit parce qu'il est opposé aux justiciers (qui suppléent les forces de l'ordre), soit parce qu'il refuse d'être corrompu. On lui tend un traquenard dans Central Park dont il échappe de justesse grâce à l'intervention des tueurs du Hibou, heureux que North l'ait débarrassé de Daredevil.


Du côté de Wilson Fisk, les choses bougent également. Le Caïd a décidé de renoncer à son statut de chef de la pègre pour assouvir de plus vastes ambitions politiques. Il partage ses affaires entre les différents lieutenants du milieu, dont le Hibou. Cole North dépose contre les collègues qui ont voulu l'intimider et ont survécu. Matt Murdock, en voulant offrir un cadeau d'anniversaire à Foggy Nelson, fait la connaissance de Mindy, une libraire.


Cette jeune femme l'invite à un dîner en compagnie de son époux et de sa belle-famille. A cette occasion, Matt découvre qu'elle fait partie des Libris, un clan criminel dirigé désormais par Izzy. Celle-ci est dans le viseur du Hibou qui aimerait mettre la main sur la pègre de Hell's Kitchen et, lors du repas, un tueur manque de l'abattre. Mais le Hibou joue de cet échec en habillant le tireur qu'il abat d'un masque de Daredevil, relançant l'enquête de Cole North et inquiétant Matt.


Wilson Fisk se rapproche du gouverneur Kettle pour devenir son associé dans un juteux trafic de marijuana. Avant de conclure leur alliance, l'ex-Caïd devra être admis par une organisation de notables véreux. Cole North est de nouveau menacé par ses collègues qui s'en prennent cette fois à Higgins, son partenaire, et lui impose de démissionner au risque de voir ses autres proches en danger de mort. Matt revoit Mindy, qui s'excuse de l'avoir mêlé aux affaires de sa belle-famille. Ils finissent la nuit ensemble.


Ayant abandonné son métier d'avocat pour devenir contrôleur judiciaire, Matt est amené à s'occuper de Joe Cassaro, le frère de Leo, le cambrioleur qu'il a tué, quand il est conduit au poste pour possession de drogue et d'une arme. Au même moment, dans le même commissariat, un flic apprend que Higgins, le partenaire de North, vient de succomber à une crise cardiaque à l'hôpital et, avec ses collègues, décide d'éliminer North. Matt entend ce qui se prépare et décide d'intervenir en se masquant. Il aide North contre ses collègues puis fuit. Trouvant refuge sur un toit voisin, Matt y est rejoint par Elektra qui lui offre son aide.

Expédions tout de suite le mauvais point de cet arc, sa partie visuelle, qui et catastrophique (à l'exception du dixième épisode). Est-ce pour cette raison que Marvel a publié ces chapitres à toute allure (bimensuellement) ? En tout cas, l'absence de Marco Checchetto (qu'on a laissé souffler en vue du troisième arc) se fait durement sentir.

Il est toujours compliqué pour un editor, qui a misé sur un artiste à la fois très doué mais incapable d'enchaîner dix épisodes, de lui trouver un remplaçant de niveau équivalent. La solution consiste alors soit à confier la tâche à un dessinateur moyen mais compétent, soit à donner sa chance à un inconnu qui voudra prouver sa valeur.

Je ne connais pas les précédents efforts de Lalit Kumar Sharma, mais ce que je sais, c'est que je n'espère pas le revoir sur Daredevil de sitôt (ni ailleurs). Il est assez incroyable qu'un type pareil ait sa chance avec le piètre niveau qu'il affiche, qui plus est à la suite d'un cador comme Checchetto. La comparaison est cruelle mais imparable. Rien ne fonctionne chez Sharma : c'est tout simplement d'une laideur pénible, bourré de fautes techniques. Le découpage est d'une maladresse confondante, l'expressivité des personnages, leur manière d'être dans le plan, la composition des plans elle-même, relèvent de l'amateurisme.

Par ailleurs, il est flanqué d'un encreur très limité en la personne de Jay Leistein (qui a encré à peu tout le monde sans éclat) et d'un coloriste tout aussi piteux (Javier Tartaglia - Sunny Gho a quitté le navire et ne reviendra pas). 

Lorsqu'au dixième épisode (le dernier de cet arc), Jorge Fornes joue les jokers, on est soulagé. Certes, il copie toujours autant David Mazzucchelli, sans avoir le génie de son modèle (notamment dans la composition de certains plans et l'usage de détails inutiles sur des gros plans), mais au moins, son trait est mieux dosé, les personnages mieux représentés (on notera d'ailleurs qu'il fait de Mindy Libris une jeune femme plus attirante) et des décors mieux traités. Fornes est soutenu par les couleurs impeccables de la géniale Jordie Bellaire, ce qui ne gâche rien.

On peut aussi se consoler avec les splendides couvertures de Julian Totino Tedesco.

C'est bien dommage d'avoir négligé la partie graphique car ce que Chip Zdarsky raconte ne manque pas d'intérêt. Il a le culot de se priver totalement de Daredevil pendant cinq épisodes, prouvant que la retraite du héros est réelle (et ça va continuer). Pour compenser en quelque sorte, il va concentrer notre attention sur Matt Murdock, Cole North et Wilson Fisk afin d'examiner, de manière intense et acérée, les conséquences de la disparition de DD.

Chacun des trois hommes se voit donc attribuer une ligne narrative distincte - même si les routes de Murdock et North finiront par se croiser in fine et de fort belle façon. Wilson Fisk choisit de se ranger en confiant son empire criminel à d'autres malfrats : Zdarsky impose à l'ogre de la série une reconversion osée mais pas complète car les nouveaux objectifs du Caïd ne sont pas d'une grande honnêteté. Le scénariste aborde un volet politique, un peu naïf, où dirigeants et notables sont aussi pourris que la pègre, mais c'est assez intrigant pour qu'on ait envie de savoir à quoi cela va aboutir.

En attendant ce développement, on devine que ce qui motive Zdarsky, ce sont bien entendu Matt Murdock et Cole North, et l'envie de les réunir. C'est évident que le scénariste veut faire quelque chose avec ces deux-là, qui incarnent les deux faces d'une même médaille, la justice et l'ordre, le masque et l'insigne. Ils évoluent dans une zone grise, obsédés par leur mission, hantés par leur passé, et surtout gravitant dans la même sphère.

North est haï par ses pairs : on lui reproche sa détestation des justiciers masqués tout autant que son refus d'être acheté. Forcément, cette attitude lui attire rapidement des ennuis, qui forment une sorte de fil rouge tout au long de ces cinq épisodes : il commence cet arc en se faisant tabasser dans Central Park et le termine dans une bagarre épique à l'intérieur même d'une salle du commissariat où on veut le tuer. Entretemps, il est à deux doigts d'abdiquer en démissionnant lorsque son partenaire est pris pour cible : comme Daredevil, il expérimente le fait que lorsqu'on ne peut être brisé directement, on l'est indirectement, via ses proches menacés.

Murdock, lui, est engagé sur une pente glissante, à la fois retorse et bizarrement un peu artificiel. Zdarsky imagine une romance contrariée entre lui et une jeune libraire mariée... Au fils d'une patronne de la pègre de Hell's Kitchen. La situation ne manque pas de piquant, bien qu'elle relève d'un concours de circonstances invraisemblable (Matt aurait au moins pu se renseigner sur Mindy).

Cela renvoie à un élément du run de Mark Waid complètement sacrifié par Charles Soule et maintenant Zdarsky : où est passée Kristen McDuffie, la dernière girlfriend de Matt ? Celle-ci était un personnage formidable, avec un tempérament irrésistible, et une dynamique de couple avec Murdock sensationnelle. Pourtant tout le monde semble l'avoir oublié. C'est pratique pour pousser Matt dans les bras d'une nouvelle conquête à problèmes, mais dommage pour cette relation si accrocheuse.

Malgré tout, Zdarsky fait preuve de ressources car, pris entre deux feux (celui des Libris et celui du Hibou), Murdock doit composer avec une péripétie inattendue et prometteuse puisque le Hibou a l'idée, diabolique, d'affubler un de ses tueurs du masque de Daredevil alors même que, dans le quartier, des anonymes entreprennent, eux aussi masqués comme l'homme sans peur, de le remplacer. Ce subplot à base de copycats est alléchante.

Surtout le scénariste conclut son arc en beauté avec la réunion de Daredevil et North. Les adversaires s'entraident lors d'un combat mémorable, qui relance leur relation tendue et annonce une suite savoureuse. Surtout que Elektra resurgit. 

Zdarsky va heureusement retrouver Checchetto pour ces prochains chapitres. Jusqu'à quand la série Daredevil continuera-t-elle, avec son auteur actuel, à exister sans son héros ? Quelle peut-être l'alternative ? La force de ce run est aussi sa limite, mais son imprévisibilité est séduisante.    

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