dimanche 3 novembre 2019

BATMAN ANNUAL #4, de Tom King, Jorge Fornes et Mike Norton


Alors que, dans quelques semaines, il achèvera son run sur Batman, Tom King n'allait sûrement pas laisser sa place, comme l'an dernier, pour écrire le quatrième Annual de la série (de l'ère "Rebirth"). A chaque fois, il a signé des récits forts et originaux et, une fois encore, il nous régale, avec le détail de faits tirés du journal d'Alfred Pennyworth. Le résultat est magistral, servi par les dessins magnifiques de Jorge Fornes et Mike Norton.
  

Les faits se déroulent du 7 Mars au 24 Avril, reportés par le majordome de Bruce Wayne, Alfred Pennyworth. Il raconte comment Batman a résolu plusieurs événements à Gotham et ailleurs, comme lorsqu'il arrêté le gang de la Charge de Cavalerie, terrassé un dragon ou battu un boxeur violent avec sa femme.


Bruce Wayne est aussi mis à contribution parfois, comme lorsqu'il vient en aide à une jeune femme qu'il aima au lycée et impliquée dans une sale affaire. Batman résout le crime du colonel Yellin, un ami philanthrope.


Le dark knight déjoue ensuite un attentat fomenté depuis Metropolis. Puis il est téléporté aux confins de l'univers (ou de l'esprit, mais c'est la même chose) et prévient une entité qu'elle le trouvera sur son chemin s'il s'en prend à la Terre.


Un thé servi par Alfred et Batman repart au front. Le rythme de ses missions et de ses exploits s'intensifient, devenant de plus en plus délirant et dangereux. le héros est entraîné aux quatre coins du monde tout en veillant à l'ordre de sa ville, sans faillir.


Qu'on s'en prenne à lui, à ses proches, ou aux civils en général, il est toujours là. Ce qui ne signifie pas qu'il n'a pas peur du danger. Mais Batman le surmonte en se préparant au mieux, dépassant ses craintes et ses limites. Tous les jours.

Les Annuals de Batman sont toujours un régal pour les yeux : après Lee Weeks (qui signe cette fois la couverture, superbe) et Michael Lark, il y a deux ans, puis Otto Schmidt l'an dernier, c'est au tour de Jorge Fornes et Mike Norton de s'y coller. Certes, ce ne sont pas des stars, plutôt de solides artisans, mais qui servent le récit et collent aux découpages de leur scénariste, et pour cela, on les saluera les premiers car durant quarante pages, il fallait cette rigueur et cette humilité pour réussir cet ouvrage.

Fornes est un émule de David Mazzucchelli, même s'il tend à s'affranchir stylistiquement du Maître. Son trait est économe et peut aussi évoquer, pour son goût du clair-obscur, Francesco Francavilla, tout en étant plus soigné (et en laissant la colorisation à un autre (l'incontournable Dave Stewart).

Norton lui succède à la 30 planche, sans détoner. Comme Fornes, il est adepte d'un dessin sobre et clair, au trait plus rond, mais avec des finitions aussi soignées. Comme Fornes, il s'encre lui-même, contrôlant donc totalement le rendu de ses images.

Le point commun de ces deux artistes, bien que Norton soit plus aguerri grâce à une production plus dense et des années d'expérience dans le milieu, c'est que ce sont des dessinateurs fiables, réguliers, et modestes. Ils ne tirent pas la couverture à eux, sachant que la vedette ici, c'est le scénariste - un auteur précis dans les indications de ses scripts (tout du moins dans le découpage, car sinon il laisse ses collaborateurs libres).

On a donc droit à des pages efficaces, sans ostentation, mais quand même parfois impressionnantes. A ce jeu, parce qu'il dispose de plus de planches (une trentaine donc contre sept pour Norton), Fornes marque des points et devrait inciter un éditeur à lui faire signer un contrat d'exclusivité (alors qu'actuellement il va et vient entre DC et Marvel, avec du creator-owned entre les deux). Il ouvre chaque scène par une splash-page qui tape bien (on retiendra celle avec le dragon - voir plus haut - ou celle où Batman est couché sur les rails du train). Cette entrée en matière apparaît comme un cadeau de la part du scénariste à son dessinateur, pour qu'il gomme la méfiance du lecteur (qui attendait peut-être quelqu'un de plus fameux pour cet Annual).

Ensuite Fornes est tout aussi à l'aise pour produire des séquences fluides et subtiles, où il se montre très à l'aise aussi bien pour traduire une action mouvementée qu'un moment intimiste et poignant (les retrouvailles de Bruce et son amour de jeunesse). Les couleurs de Stewart accompagnent à la perfection ces ambiances.

Lorsque Norton entre en jeu, on croit d'abord qu'il va poursuivre ce qu'a accompli son confrère puisqu'il démarre aussi avec une pleine page spectaculaire. Mais, insensiblement, le lecteur va s'apercevoir que le découpage devient plus structuré à mesure que les événements représentés deviennent, eux, de plus en plus insensés, jusqu'à l'absurde et la comédie pure.

C'est une suite de pages avec deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit cases qui défilent, et l'épisode se clôt sur un "gaufrier" de neuf cases, la figure favorite, fétiche même, de King, incorporant les crédits et le titre. Norton s'acquitte de ce crescendo avec une maestria d'autant plus remarquable qu'on ne se rend donc pas compte immédiatement - on note juste que les vignettes augmentent en nombre, puis on les compte et on comprend le mécanisme en marche.

Cet aspect finalement ludique mais discret, minutieux sans être évident, correspond au propos de cet Annual. Le titre, Everyday ("Tous les jours"), est un programme en soit. Batman est montré pendant un mois et demi constamment sur la brèche, défiant mille périls, bravant cent dangers, relevant moult défis, veillant au respect de l'ordre, assurant la justice.

Tom King pousse le principe jusqu'au bout de sa logique puisque, pendant quarante-huit journées recensées par Alfred Pennyworth, jamais Batman ne se repose. Gotham ne le laisse pas souffler, mais le reste du monde (et de l'univers) non plus. Il doit répondre à des situations de crises permanentes et de toutes envergures, du simple braqueur à la créature la plus improbable, dans des conditions acrobatiques (une cavale à cheval sur les toits de Gotham, un tête-à-tête avec une entité cosmique).

Mais Batman surmonte sa peur, car il a peur, insiste le scénariste par la voix d'Alfred. Ce n'est pas un inconscient ou un fou, qui ignore la peur. Il a peur constamment. Alors il pallie cela par la préparation, l'anticipation, même quand cela est impossible. C'est à la fois un policier, un détective, un explorateur, un aventurier, un chevalier, ou une épaule amicale, un père de substitution, un compagnon de mémoire, ou un espion, un super-héros, un astronaute, un mécanicien, un free fighter (dans la cage).

King examine son héros avec un regard à la fois respectueux et distancié puisqu'en le poussant dans ses retranchements les plus grotesques, ceux-là même que permettent et parfois appellent les comics, le dark knight dépasse les bornes de la normalité. Pas seulement parce qu'il s'agit d'un homme déguisé en chauve-souris mais parce qu'il n'arrête jamais. Dans cet Annual, Bruce Wayne parait dépourvu de vie sociale (à l'exception de la scène où, au civil, il vient à l'aide de son amour de jeunesse), il est exclusivement un type en costume confronté à des menaces anormales par leur intensité, leur fréquence.

Même entraîné, même préparé, un homme ne peut accomplir ce que Batman fait durant ces quarante-huit jours. C'est un deus ex machina, infaillible, inlassable. Passées les trente premières pages déjà soutenues, les péripéties qu'imagine King deviennent de plus en plus salées, jusqu'à la caricature. Des zombies, des extraterrestres, des monstres préhistoriques, des dérèglements climatiques... Mais aussi des matchs sportifs, des trouvailles scientifiques, des travaux dans l'espace, et j'en passe... Batman est partout, il a réponse à tout. C'est du grand n'importe quoi, mais très drôle, ce qui contredit la réputation de King d'être un auteur dépressif et déprimant. Mais confirmant un certain sadisme dans la manière qu'il a d'éprouver son héros (la comédie elle-même est souvent sadique puisqu'elle inflige à ses personnages coups et blessures qui provoque notre rire).

Au fond, ce quatrième Annual n'est pas si différent du deuxième, déjà écrit par King, dans lequel on assistait à une folle cavalcade entre Batman et Catwoman puis à leurs derniers jours. Ici aussi on va des rires aux larmes, on passe de l'action à l'émotion, de spectaculaire à l'intime. Et cela dit bien à quel point Tom King restera, une fois son run terminé, comme celui qui a profondément creusé la psyché et sculpté le corps de Batman. Comme celui qui a fait de Batman le sujet et l'objet de sa propre série.

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