jeudi 10 octobre 2019

POWERS OF X #6, de Jonathan Hickman, R.B. Silva et Pepe Larraz


"And now, we build." ("Et maintenant, nous bâtissons.") : la phrase du Pr. X en exergue de cet ultime épisode est aussi celle de Jonathan Hickman à l'heure de conclure ses mini-séries qui vont produire une nouvelle gamme de titres "X". Tout n'a pas été dit et ce dernier chapitre comble les vides de manière étonnante, comme une boucle. D'ailleurs RB Silva voit ses planches du début de l'histoire reproduites en partie, et Pepe Larraz (non crédité) signe la fin de l'épisode. Le titre de ce numéro : House of X !


X-Men, An 1. Moira McTaggert aborde Charles Xavier et lui ouvre son esprit après qu'elle l'ait intrigué sur ses connaissances. An 1000 : le Bibliothécaire entre dans la Réserve où ont été gardés les ultimes spécimens mutants, Moira et Wolverine.


Il les interroge, à la veille de l'assimilation par les Phalanx : dans un environnement ayant tant changé, alors que les homo superior ne sont plus le nouveau stade de l'évolution, doit-il les exfiltrer ? Wolverine tue le Bibliothécaire qui voulait être convaincu de les épargner.


Puis il tue Moira. Ainsi s'acheva sa sixième vie. Charles Xavier digère ces informations et la défaite inéluctable des mutants. Moira lui explique qu'il s'est trompé de rêve, cela le brisera s'il l'admet mais lui permettra aussi, avec elle, de conjurer le sort.


X-Men, An 10. Krakoa. Magneto et le Pr. X visitent Moira dans son antre et lui dévoile les membres du Conseil, qui siégera demain. Pour enrôler Mystique, en particulier, ils lui ont promis de ressusciter Destinée - la seule à pouvoir repérer Moira. Et donc à condamner leur projet.
   

Mais Magneto et X jurent de gagner suffisamment de temps pour ne pas compromettre Moira et leur plan. Le lendemain, après le Conseil, les deux hommes observent les mutants faire la fête, savourant le moment. Mais résolus à défendre leur rêve, coûte que coûte.

On entre dans ce dernier épisode de manière déroutante, étonné de relire les premières pages de Powers of X #1, avec la fameuse scène où Moira laisse Charles Xavier lire son esprit et découvrir ses multiples vies antérieures. Il ne s'agit pas de planches redessinées par RB Silva, avec de subtiles variations dans le découpage mais d'une reproduction totale, la scène reprend les mêmes dialogues.

Relire ces quelques pages permet néanmoins de mesurer le chemin parcouru depuis trois mois et le début des deux séries PoX-HoX. A l'époque, on se demandait vraiment où Jonathan Hickman voulait en venir avec cette scène, qu'il présentait sur les réseaux sociaux comme "la plus importante de l'Histoire des X-Men". C'était une semaine avant la découverte renversante de HoX #2.

PoX a toujours eu cette construction particulière : cette mini-série, complémentaire, explorait la temporalité des mutants, en sautant d'une époque à une autre, avec des intervalles très elliptiques (Ans 1, 10, 100, 1000). Et on pressentait que ce serait dans cette mini-série que serait révélé le secret de la sixième vie de Moira McTaggert, que l'Ascension offerte par les Phalanx serait explicitée, que la vérité sur le Conseil de Krakoa dévoilerait son secret le plus important.

On devinait aussi que c'est ici que Hickman bouclerait littéralement la boucle, car c'est sa figure favorite, une forme pure, parfaite, accomplie. Celle de la révolution, qui consiste précisément à faire un tour complet, non pas pour tourner en rond, mais pour dresser un état des lieux et envisager le futur d'un regard neuf.

Le scénariste réussit tellement bien son coup qu'il ose réutiliser un truc déjà usité, car dans la répétition fait aussi surface une meilleure manière de résoudre le problème posé. A force de revenir sur ses pas, le chemin devient plus familier, la destination fait sens, et le parcours n'aboutit plus à une impasse - celle dans laquelle la franchise "X" s'est perdu depuis longtemps, faute d'un guide éclairé.

Passé ce prologue recopié à l'identique, on saute directement mille ans dans le futur, à la veille de l'absorption par les Phalanx. Souvenez-vous, dans PoX #1, à la toute fin, on voit le Bibliothécaire observer un curieux globe géant avec des alvéoles pareilles à celles d'une ruche, et on pouvait deviner qu'il y avait des individus à l'intérieur, au moins un couple. Il s'agit en fait d'une réserve naturelle, dans laquelle ont été préservés des spécimens, les derniers de leur espèce. Et ce couple, c'est celui composé par Wolverine et Moira (ici Moira Kinross).

Nous sommes dans la sixième vie de Moira, la plus longue qu'elle aura vécue donc. Wolverine étant immortel, il est logique qu'il soit le dernier mâle mutant encore en vie (pour le vieillir un peu tout de même, RB Silva lui a blanchi les tempes et les favoris). Le Bibliothécaire leur révèle que la fin du monde est pour demain, littéralement, les Phalanx vont les assimiler pour qu'ils fassent partie d'une entité plus vaste, plus puissante. Dans ces conditions, les deux derniers mutants de l'humanité doivent-ils être épargnés ? Cela a-t-il encore un sens de les soustraire à ce destin puisque l'environnement a tellement changé que le terme d'homo superior a été supplanté par celui d'homo novissima ?

Cette interrogation ouvre deux pistes : si le Bibliothécaire leur permet d'échapper à l'Ascension des Phalanx, les deux mutants lui survivront et cela est-il concevable ? Si le Bibliothécaire est convaincu que c'est demain que doivent s'éteindre les derniers représentants de la "mutanité", alors ils périront en même temps que l'homo novissima dans une sorte de logique universelle ?

Le sort qu'inflige Wolverine au Bibliothécaire n'est pas lisible du point de vue d'un survivant qui refuse d'être à la merci de son geôlier et des puissances cosmiques. Il faut bien l'interpréter du point de vue de Moira et du fait qu'elle vit sa sixième réincarnation. Tuer le Bibliothécaire, c'est permettre à Moira VI (et VIII, IX, X) d'enregistrer cette expérience terminale dans le temps et de pouvoir avoir une chance de l'empêcher comme les cinq issues précédentes. C'est aussi pour cela que Moira demande à Wolverine de la tuer aussitôt après, pour accéder à sa vie suivante, aux corrections qu'elle pourra accomplir. (Wolverine et Moira répéteront cela au terme de la 9ème vie de la jeune femme - voir PoX #3.).

Plusieurs "data pages" ponctuent alors l'épisode et elles sont importantes. Il s'agit de retranscriptions, dont certaines entrées sont censurées, du journal de Moira X. On en revient à la temporalité de la série. Il s'agit, par ce procédé, pour Hickman, de nous raconter, de manière elliptique et précise à la fois, des moments-clés.

En l'occurrence, ces scènes "non gardées au montage" en quelque sorte (au sens où elles ne sont pas dessinées) permettent d'aller vite tout en détaillant opportunément des passages cruciaux. Par exemple, on découvre que la relation entre Moira X et Xavier a été tumultueuse après qu'elle lui ait ouvert son esprit. Elle a voulu le briser psychologiquement pour qu'il admette que son rêve de cohabitation pacifique entre humains et mutants serait un échec définitif, inéluctable. Cela a pris du temps.

On apprend encore que la paire Xavier-Magneto, même une fois que ce dernier a eu lui aussi accès aux souvenirs de Moira, n'est pas restée soudée jusqu'à l'accomplissement de l'avènement de Krakoa. Par là, Hickman donne de la perspective, de la profondeur au récit et nous dit que, non, il n'a pas zappé les années de conflit entre les deux mutants, entre les X-Men et le maître du magnétisme.

L'alliance avec Mister Sinister s'est aussi décidée sans Moira, qui a été mise au courant ensuite. Mais elle n'en a pas pris ombrage car ce fut une initiative la confortant dans l'évolution de Xavier, conforme au souhait qu'elle avait - plus pragmatique, plus pro-active. Idem avec Apocalypse, adversaire d'abord, puis gagné récemment à la cause.

La dernière partie de l'épisode met l'accent sur un point qu'on avait, je crois, tous, négligé ou même pas envisagé, mais qui prend une ampleur incroyable. Une vraie bombe à retardement. Xavier et Magneto rendent visite à Moira dans son repaire (une aile de la Maison X, elle-même un des quartiers de Krakoa), la veille du premier Conseil de Krakoa. Les deux hommes lui donnent la liste des membres qui vont y siéger, expliquent comment et pourquoi ils les ont choisi - et tout fait sens une fois encore (Hickman est imparable sur ce plan-là). La gestion du gouvernement de la Nation X par ses deux "présidents" est une leçon de tactique politique assez bluffante, une stratégie certes fragile, acrobatique, où la diplomatie et la ruse jouent des rôles essentiels.

Jusqu'à ce que le choix de Mystique soit mis sur la table. Bien entendu, tous ceux qui ont accepté de siéger ont eu des conditions. Mais celle de Raven Darkholme est la plus redoutable de toutes, la plus explosive potentiellement. Xavier lui a promis la résurrection de Destinée, son amante. Or Destinée, comme on l'a vue dans House of X #2, est la seule à pouvoir repérer Moira McTaggert, cette anomalie temporelle. Et Moira le sait bien, si Destinée est de retour, c'est tout le projet conçu par elle, Xavier et Magneto qui serait compromis car Mystique pourra révéler la vérité à tous les mutants...

L'assurance - l'arrogance même - qu'affichent alors les deux hommes, certains de pouvoir maîtriser Mystique, de gagner du temps, ne suffit pas à combler le sentiment de précarité du bel édifice, apparemment indestructible qu'ils ont érigé. Le lecteur (comme Moira) sait bien que, non, ils ne pourront pas faire attendre indéfiniment Mystique, et que de cela dépend tout le futur de la Maison X, de Krakoa, de la Nation X. Les deux mini-séries ont semé des cailloux potentiels dans le jardin (le protectorat du Wakanda qui a empêché plusieurs pays africains de voter pour la reconnaissance de l'île ; le refus de Namor d'intégrer le projet de Xavier). Mais c'est bien Mystique qui pourrait faire chuter l'empire mutant.

Sur cette note troublante, pleine d'incertitudes, de suspense, se clôt l'aventure. RB Silva cède la place à Pepe Larraz pour les dernières pages, où l'on revoit la fête donnée par les mutants après le premier Conseil de Krakoa (l'espagnol voit lui aussi une de ses planches reproduite, mais avec un texte off remanié). Si cela est un peu curieux de voir que Silva ne boucle pas son ultime épisode, laisser Larraz le faire n'est pas immérité - d'abord parce qu'il a accompli un travail remarquable, supérieur à celui de son confrère (qui n'a cependant pas démérité), mais aussi parce que HoX (la série) a démarré le projet et que House of X (l'épisode) devait logiquement se terminer par les dessins de l'artiste de la série du même nom.

Quoiqu'il en soit, c'est aussi une des réussites éditoriales de l'ensemble : les deux dessinateurs ont tenu le rythme, pas de fill-in donc une vraie cohérence graphique, et du beau dessin vraiment, expressif, détaillé, à la hauteur d'un script exigeant et passionnant.

La suite, qui est aussi le début d'une course de fond, se déroulera dans les séries X-Men (par Hickman et Leinil Yu), Excalibur (par Tini Howard et Marcus To), Marauders (par Gerry Duggan et Matteo Lolli), X-Force (par Benjamin Percy et Joshua Cassara), New Mutants (par Hickman et Ed Brisson et Rod Reis) et Fallen Angels (par Bryan Edward Hill et Szymon Kudranski).  

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