jeudi 3 octobre 2019

HOUSE OF X #6, de Jonathan Hickman et Pepe Larraz



Ce dernier numéro de House of X (avant celui, la semaine prochaine de Powers of X) est une nouvelle fois sensationnelle. Jonathan Hickman fait usage d'une narration très directe, simple car l'essentiel est désormais établi. Pourtant, cela reste passionnant, intense, et même parfois drôle. Pepe Larraz aura aussi accompli un sans-faute tout au long de cette aventure - et j'espère qu'on le retrouvera vite sur un X-book.


Krakoa, il y a un mois. Le Pr. X présente à Moira McTaggert et Magneto la version V de Cerebro, mise au point par Forge. Il s'adresse à tous les humains de la planète pour leur communiquer la situation nouvelle des mutants et les conditions qu'il pose pour leur souveraineté.


En échange des remèdes miracles produits par l'île et transformés par les scientifiques y résidant, la Nation X doit être reconnue à part entière. Les mutants de naissance y sont tous les bienvenus et seront jugés par les lois de leur communauté. Cela n'est pas négociable.
    

Aujourd'hui. Le Conseil de Krakoa siège - seul un de ses douze membres est absent. Les premières lois sont votées : ne tuer aucun humain, respecter l'île comme une personnage et non comme un site, se reproduire. L'unanimité est requise et obtenue.


Dents-de-sabre est présenté devant le Conseil. Parce qu'il a enfreint à de nombreuses reprises (y compris lors de sa dernière sortie, lors du cambriolage chez Damage Control) les règles, il est condamné. Il est englouti dans les entrailles de l'île pour y être placé en stase définitivement.


Le Conseil se retire. Une fête est donnée où chacun profite de l'occasion et de l'ambiance. Parents et enfants, amis et ennemis communient dans la musique et les lumières. Observés par Apocalypse, Magneto et le Pr. X contemplent leur oeuvre.

Ce qui restera de House of X (et Powers of X, même s'il n'est pas exclu qu'advienne une surprise - la couverture est d'ailleurs très énigmatique et grave), ce sera, quelque soit la pérennité des idées de Jonathan Hickman, la refondation la plus impressionnante de l'univers mutant depuis très longtemps. Sans doute la plus vaste, la plus profonde, la plus complète, la plus ambitieuse.

En effet, depuis trois mois, le scénariste ne s'est pas contenté d'un énième ravalement de façade, d'un relaunch ou d'un reboot. Il a fait oeuvre d'architecte, comme ce que Marvel voulut à l'époque de Avengers vs X-Men avec Bendis, Brubaker, Remender, Aaron et (déjà) Hickman - mais sans effet aussi probant. Hickman n'est pas seulement ici un auteur à qui l'éditeur a donné carte blanche pour relancer les X-Men, il s'est mué en une sorte d'editor qui ne dit pas son nom (et qui a imposé sa vision, bien plus franchement que Jordan White, en charge de la franchise).

Des esprits chagrins, à qui les changements apportés par Hickman n'ont pas plu, se plaisent à prédire que, fidèle à lui-même, Marvel n'attendra pas longtemps pour tout effacer et recommencer. Pourtant, moi, je crois en Hickman, je crois au potentiel de son projet et aux développements qu'apporteront dans leurs séries Gerry Duggan, Tini Howard, Ed Brisson, et Hickman lui-même (même s'il ne va pas surveiller ce que ses collègues feront). Je trouve même que c'est son travail chez Marvel le plus abouti, le plus inspiré, celui sur lequel on sent le plus un investissement personnel. Il aime les mutants et a cherché (et trouvé !) des solutions pour les réparer, les remettre d'aplomb, les faire évoluer, dans le bon sens.

Il ne s'agit pas d'affirmer que la geste "Hickmanienne" est la seule valable, mais d'une part il est le seul à s'être collé à un tel ouvrage, en convaincant Marvel d'arrêter toutes les séries X en cours pour poser de nouvelles bases, redistribuer les rôles, donner une nouvelle impulsion à toute la gamme, et ensuite parce qu'il est arrivé avec des idées claires mais arrêtées sur les mutants, leur passé et leur avenir. Tout, du sol au plafond, de la cave au grenier, a été analysé par Hickman et restauré, remis en perspective, avec un souci évident pour réconcilier la tradition et l'originalité (ça passe à la fois par des pistes narratives comme par des détails esthétiques).

Avant lui, il n'y a pas eu que du mauvais, même si les  X-Men de Grant Morrison constituent la dernière grande révolution mutante chez Marvel. Seulement, les réussites étaient des coups d'éclats, des efforts ponctuels et isolés. Par exemple Astonishing X-Men de Whedon-Cassaday. Ou le début d'All-New X-Men et la fin d'Uncanny X-Men version Bendis. Ou Wolverine et les X-Men d'Aaron. Ou Uncanny X-Force de Remender. Mais rien d'équivalent au projet global de Hickman.

On en voit la terminaison (ou du moins une des terminaisons) dans ce HoX #6. L'épisode, comme je l'écris plus haut, est d'une facture narrative très simple, directe. On démarre par une scène située un mois auparavant, quand Charles Xavier, muni du casque Cerebro V mis au point par Forge, prévient les humains du monde entier du changement radical de la situation des mutants. On mesure pleinement à cette occasion à quel point le chantier a été réalisé dans le secret, à l'insu de la majorité. 

Et cela revêt une réalité concrète : les mutants ne sont plus des victimes, ne subissent plus. Désormais, ils disposent d'un pays, avec une économie, une diplomatie, une armée, une science et une technologie révolutionnaires. C'est une puissance majeure sur le plan géo-politique. Et Charles Xavier l'établit sans ambiguïté : son idéal de cohabitation a vécu, il reconnaît même qu'il s'agissait d'une illusion, d'une utopie. Il est en situation de poser ses conditions, sans faire de cadeau (mais sans non plus déclarer de guerre) - on revient aux produits miracles de l'île et à leur commercialisation en échange de la reconnaissance de Krakoa comme Nation X.

On se souvient, via cette scène, de la tentative pathétique de Marvel d'imposer les Inhumains comme une franchise (peut-être remplaçante de celle des X-Men -c'était avant le rachat de la Fox, qui détenait les droits d'exploitation cinéma des X-Men, par Disney). Un échec lamentable, dû surtout au fait que le projet avait été entrepris sans préparation sérieuse, sans chef d'orchestre véritable (Matt Fraction avait jeté l'éponge à cause de divergences artistiques... Et avait quitté Marvel peu après). Et puis, en fin de compte, les Inhumains n'ont jamais eu la côte des X-Men : ce ne sont pas des créatures aussi sympathiques que les mutants, avec une portée symbolique équivalente.

Ce qui a planté les Inhumains, Hickman semble en avoir tiré tous les enseignements à l'heure de veiller au chevet des X-Men. Car on reconnait des idées reprises mais adaptées, comme de construire une société mutante, en tenant compte de tous les paramètres nécessaires à cette ambition. Hickman a remis au centre le Pr. X et Magneto, a totalement réécrit Moira McTaggert, a utilisé des X-Men iconiques dans des rôles précis (et logiques), et a osé unifier héros et ennemis, bons et mauvais mutants.

On en trouve la représentation dans le second acte de l'épisode avec le dévoilement du Conseil de Krakoa. A l'exception d'un membre (absent, mais qui n'est finalement pas si difficile à deviner par déduction - en effet, c'est un personnage absent de HoX-PoX depuis le début, alors que très populaire auprès des fans et incontournable depuis presque 40 ans...), y figure une galerie de mutants emblématiques, de toutes les époques. Mais avec, quand même, des surprises (Nightcrawler promu, là où on pouvait plutôt attendre Cyclope). 

Les lois cardinales de la Nation X permettent à Hickman de délimiter un périmètre mais aussi d'ajouter une pointe d'humour (lorsque Nightcrawler justement est titillé par sa mère, Mystique, ou quand Mr. Sinister est mis en garde par Exodus). Mais évidemment, c'est le procès de Dents-de-sabre qui constitue le point d'orgue de l'épisode. Le sort qui lui est réservé est glaçant tout en s'appuyant sur l'un des principes établis par les chefs qui siègent, et l'on se dit que l'accusé ne pouvait guère échapper à sa sentence. Il n'empêche, comme Xavier, on sort de cette scène avec un sentiment de malaise prégnant. Non, ça ne rigole pas chez les mutants et ils n'épargnent pas les moutons noirs de la famille. Sur ce coup, Hickman confirme son génie pour croquer des personnages équivoques, instaurer un climat intense (comme lors de la scène avec Storm et les revenants dans HoX #5) et pas forcément confortable pour le lecteur ni flatteur pour les héros. Il y a bien dans cette Nation X un côté religieux, cultuel, dérangeant, qui rend les X-Men à la fois plus cohérents (en termes de communauté) et plus troubles (sur le plan moral). Comme un écho au monologue de Xavier dans la première scène, on mesure le changement de statut et de règles chez les mutants : ce n'est pas seulement leur rapport au monde qui a changé - entre eux aussi, ce n'est plus pareil.

Et ce n'est pas la nouba de la fin d'épisode qui soulage tellement. Certes, comme Magneto le dit à Xavier, ce qui est désormais est impressionnant, spectaculaire (les X-Men ne sont plus des insulaires, à la périphérie du Marvel Universe, c'est un véritable contre-pouvoir, une alternative). Mais il y a dans ce moment de liesse collective une impression qui se confirme : les X-Men ressemblent à une secte. Krakoa est une sorte de temple, on y célèbre des ressuscités dans une ferveur hystérique, on y envoie des soldats à une mort certaine - mais sans conséquence puisqu'on peut les ramener à la vie - , on y juge en petit comité des pécheurs qui sont ensuite jetés aux oubliettes. Tout en entretenant ave l'extérieur des rapports stricts et essentiellement marchands ("si tu me reconnais, je te vends des drogues miracles"). Ce ne sont plus des mutants attachants parce que persécutés, ce sont les nouveaux maîtres du monde, de "nouveaux dieux" comme l'annonçait Magneto dans le premier épisode. Et ils sont si impressionnants qu'on se demande bien en effet qui pourrait les stopper (les Avengers paraissent bien petits désormais, même compte tenu des efforts de Black Panther pour fédérer des alliés autour d'eux. En attendant de voir ce que Marvel va faire des Eternels - dont le retour est inévitable au premier plan avec le film en tournage - , les X-Men accèdent à une nouvelle dimension).

Visuellement aussi, HoX aura donné une image épatante. Pep Larraz s'est imposé comme un dessinateur taille patron avec ces six épisodes. Auparavant, déjà, il donnait des gages très prometteurs, mais parfois ses efforts étaient un peu à l'image des séries sur lesquelles il travaillait, avec la personnalité des scénaristes dont il dépendait (comme Gerry Duggan sur Uncanny Avengers, plein de pep's mais plus tonique que rigoureux).

Dans cet ultime épisode en particulier, on peut voir le supplément de discipline que s'est imposé Larraz au contact des scripts très élaborés de Hickman. Bien entendu, l'artiste espagnol est très à l'aise dans l'action et le grand spectacle : les pages finales avec les mutants réunis et festoyant sont très belles et témoignent d'une générosité dans le détail assez fabuleuse, qui suffirait à combler n'import qui.

Pourtant, dans le coeur de l'épisode, avec le vote des lois et le jugement de Dents-de-sabre, Larraz doit composer avec un découpage austère, des "gaufriers" en neuf cases dignes de Tom King et Alan Moore, et des "talking heads". Tout passe par l'expressivité des personnages, leurs attitudes, leurs gestuelles. Il faut faire preuve de maîtrise pour que la scène respire tout en montant en pression, que la tension cohabite avec des pauses, que chaque "acteur" ait son moment. Et Larraz y parvient, subtilement, sans bâcler ni céder à la facilité. On ne sent pas un dessinateur qui se retient mais qui a appris à doser ses effets et les met au service d'une narration au cordeau.

La voie est à la fois désormais libre pour le grand final de Powers of X, qui sera, à n'en pas douter, inattendu, mais surtout pour le retour d'une vraie collection de "X-books", dont il appartiendra aux auteurs de faire honneur à Hickman et son fantastique travail de refondation.        

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