jeudi 27 juin 2019

ISOLA #8, de Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk


Cet épisode d'Isola, c'est un peu le changement dans la continuité. Ceux qui sont exaspérés par le rythme lent et la parution bimestrielle le seront encore, mais pourtant les choses bougent. Brenden Fletcher avec Karl Kerschl et Msassyk parient sur les ambiances, comme toujours, mais introduisent un rebondissement qui redistribue les rôles et va certainement altérer l'intrigue.


Rook et Olwyn ont repris leur route après leur escale mouvementée dans le village troglodyte des femmes aux enfants disparus. Rook consulte ses cartes et entraîne Olwyn dans un canyon, à l'écart des manoeuvres de l'armée et des rebelles.


Une nuée d'oiseaux inquiétants et au cri strident éprouve durement Rook qui, ensuite, en traversant une forêt, tombe malade. Olwyn remarque une femme commerçant avec un membre d'un clan local.
  

Celle-ci examine Rook et l'emmène chez elle où elle la soigne. Pourtant Olwyn est sur ses gardes. Elle remarque dans une cabane attenante des enfants prisonniers mais lorsqu'ele veut s'en approcher, elle en est incapable.


Une seconde tentative, en suivant Miluse, leur bienfaîtrice, révèle le sombre secret de celle-ci : elle semble être une sorcière qui transforme les enfants en animaux. Rook, cependant, se rétablit et accepte de poursuivre son repos sur place.


Miluse est visiblement attirée sexuellement par Rook et ceci, plus ce qui se passe dans la cabane, déplaît à Olwyn. La sanction tombe : la tigresse n'a plus le droit de séjourner à l'intérieur.

La reprise du voyage de Rook et Olwyn laisse d'abord penser à un épisode et une nouvelle étape dans l'intrigue de Brenden Fletcher et Karl Kerschl. Mais c'est un faux semblant : d'ailleurs, tout ce chapitre est construit sur des fausses pistes.

Le tournant s'opère rapidement quand, de manière brusque et inexpliquée, Rook tombe malade et est recueillie par une sorte de guérisseuse itinérante, Miluse. Elle héberge la capitaine et sa tigresse chez elle et soigne la jeune femme avec beaucoup d'attention.

Le comportement de Miluse est un exemple parfait de l'écriture de la série : rien n'y est explicite, tout est suggéré et finit par devenir évident. C'est d'une finesse admirable : la bienveillance de la guérisseuse dérange par son insistance, ses paroles mielleuses. Il est vite acquis qu'elle est lesbienne et nourrit des sentiments ad hoc pour Rook.

Cela introduit une sorte de rivalité implicite entre Miluse et Olwyn, tout en confirmant (si besoin était) que Rook aime les femmes qui la dominent (une reine, une rebouteuse). C'est d'autant plus troublant que la capitaine apparaît d'abord comme la guide de ce périple : encore une fausse piste donc.

Puis Olwyn remarque de drôles de choses dans la cabane attenante au logis de Miluse et là, les auteurs font un lien, tacite toujours, avec ce qui se passait dans l'épisode 7 (le village troglodyte avec ces femmes dont les enfants disparaîssaient ou devenaient des hybrides à moitié animaux). Les soupçons concernant la guérisseuse se confirment : elle n'est pas digne de confiance.

Inévitablement, le clash survient : Olwyn tente de s'interposer entre Rook, de plus en plus soumise (par politesse mais aussi parce qu'elle demeure affaiblie par la maladie), et Miluse. La reine changée en tigre va coucher dehors, sous la pluie. Le piège s'est refermée en même temps qu'il a séparé les deux partenaires. On pense à une répétition du premier arc, quand le shaman Moro avait entraîné Olwyn dans sa tribu, sauf que là, c'est infiniment plus pervers. Tout est beaucoup plus mal engagé pour la suite, et donc l'histoire rebondit de façon palpitante.

Kerschl est une sorte de miniaturiste génial sur ce titre : son dessin ne doit jamais souligner ce que le script suggère mais bien accompagner les intentions du récit. Tout passe par des détails, des attitudes, des expressions.

Le découpage est d'une précision redoutable et, par exemple, il est remarquable de constater que l'artiste déploie des doubles pages pour des scènes où le temps se dilate et où la menace sourd de chaque image. 

Pratiquement tout l'épisode est narré du point de vue d'Olwyn, ce qui rend l'expérience fascinante parce qu'on ressent intensèment la frustration, l'inquiétude, l'umpuissance de la tigresse face la situation. Le seul moment où elle réagit précéde sa défaite mais Kerschl ne devance jamais le lecteur.

Bien entendu, comme toujours, la colorisation de Msassyk est magique : des premières pages lumineuses aux dernières, dans des teintes délavées correspondant à la déchéance d'Olwyn, tout est traduit avec subtilité.

La couverture du #9, représentée à la fin du numéro, promet beaucoup sans garantir quoi que ce soit. A l'image de cette série, pour laquelle il faut être patient certes, mais qui récompense à la mesure de l'attente.

La variant cover de Fiona Staples.

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