dimanche 10 mars 2019

EN LIBERTE !, de Pierre Salvadori


J'ai rarement l'occasion de m'extasier pour un film français, a fortiori une comédie car le niveau est globalement affligeant chez nous. Mais Pierre Salvadori est bien le seul à surnager et à construire une oeuvre de qualité, en refusant le formatage. En Liberté !, porté aux nues par la critique, pourrait être bien être son chef d'oeuvre, tant il synthétise toute ce qu'il a déjà fait et s'impose en exemple d'exigence pour nous faire rire intelligemment.

 Jean Santi (Vincent Elbaz)

Yvonne raconte chaque soir à son fils les exploits de son père, Jean Santi, un super flic mort en service deux ans auparavant. Elle-même officier de police, elle travaille derrière un bureau depuis le drame, rongeant son frein. Jusqu'à ce qu'en interrogeant un homme après une descente, elle apprenne que Jean était corrompu et, pire, a fait condamner un innocent pour le braquage d'une bijouterie.

 Antoine et Yvonne (Pio Marmaï et Adèle Haenel)

Le malheureux, Antoine, sort justement de huit ans de détention et, suivi par Yvonne, montre de sérieux troubles comportementaux. Retrouvant sa compagne, Agnès, il commet quelques vols et surtout brutalise quiconque ose l'accuser ou les importuner. A la dérive, incapable de se contrôler, il erre une nuit sur la route et saute d'une corniche dans la mer. 

Yvonne et Antoine

Yvonne le repêche et Antoine y voit un signe. Apaisé par cette femme dont il ne sait pas le secret, il veut la revoir et elle accepte un dîner. Mais de retour chez elle, elle se donne à son collègue, Louis, à qui elle a demandé de garder son fils. Le lendemain, pourtant, Yvonne n'a pas la tête à entendre son amant lui déclarer sa flamme car Antoine est emmené au poste pour le vol d'une voiture. En la croisant dans les couloirs du commissariat où des prostituées attendent d'être questionnées, il la prend pour l'une d'elle. Second signe : tous deux sont des victimes du système.

Yvonne

Devinant ce qui agite Yvonne, Louis décide de la tenir éloignée d'Antoine en l'entraînant dans une filature improvisée dans une fête foraine. Pendant ce temps, Antoine, comme convenu la veille au soir, attend la jeune femme au restaurant et s'impatiente. Yvonne apprend par la radio de la police qu'un client a tabassé le personnel de l'établissement en proie aux flammes.

 Antoine et Yvonne

Faussant compagnie à Louis, elle se rend sur place où elle retrouve Antoine, caché et blessé. Elle le conduit dans un club sado-maso fermé par la police pour lui prodiguer des soins. Troublée, elle ne résiste pas au baiser que lui donne Antoine qui, avant tout cela, a rompu avec Agnès pour l'épargner.

Antoine et Agnès (Pio Marmaï et Audrey Tautou)

Lorsqu'elle se réveille, Yvonne est menottée à la tête d'un lit pendant qu'Antoine enfile une combinaison et un masque de latex, prêt à aller braquer, pour de bon cette fois, la bijouterie où il travaillait huit ans avant et où Jean l'avait piègé. Yvonne réussit à se libérer et interrompt le casse. Mais elle renonce à arrêter Antoine et le laisse filer avec son butin après lui avoir avoué sa profession. Elle est appréhendée peu après.

Louis et Yvonne (Damien Bonnard et Adèle Haenel)

Antoine revient auprès d'Agnès. Yvonne sort de prison et rentre chez Louis qui a gardé son fils pendant la durée de son incarcération. Le petit garçon rêve toujours de son père comme d'un héros, mais en ayant compris ses errements moraux.

Aujourd'hui, en France, la comédie est devenue le genre le plus exploitée. Les chaînes de télé qui financent majoritairement le cinéma en réclame car ce sont des productions faciles à diffuser en prime time, des programmes susceptibles de rassembler la famille devant le petit écran et donc de convaincre les annonceurs d'acheter des espaces publicitaires qui assureront de grosses rentrées d'argent et permettront des investissements dans de nouvelles comédies.

Cette boucle n'encourage pas l'audace et pour quelques films originaux, la majorité est formé de productions plus affligeantes que drôles. D'ailleurs de plus en plus de réalisateurs et de comédiens sont issus de la télé (ou du one-man show, dont les humoristes sont souvent des invités d'émissions ou des chroniqueurs, soulignant la consanguinité du milieu).

Quoi de plus normal en effet que de confier à des gens dont le métier est de faire rire des budgets pour faire des films rigolos ? Sauf que le rire ainsi engendré est de plus en plus stéréotypé, inoffensif, nourri de longs métrages antérieurs (par la troupe du Splendid, Louis de Funès, etc) ou des références étrangères mal digérées (le stand-up américain, les comédies des 80's). Tout ça ressemble à une sorte de baronnie où des vedettes deviennent inamovibles, interchangeables, écrivant et jouant en voulant faire rire à tout prix, sans ambition esthétique ou narrative.

Le constat vous paraît sévère ? Examinez les champions du box office français : Les Tuche, Dany Boon, la bande à Fifi, Christian Clavier... Si vous trouvez ça drôle, tant mieux pour vous. Mais en dehors de quelques heureux "accidents" comme les OSS 117 de Michel Hazanavicius ou des comédies tendres de Klapisch, c'est pourtant terriblement convenu. Et, je trouve, très peu marrant.

Dans ce contexte, Pierre Salvadori fait figure d'exception et de résistant. Que ses films existent relèvent presque du miracle, mais avec un gros succès à son actif (Hors de prix, son seul opus avec des vedettes, Audrey Tautou et Gad Elmaleh alors au sommet de leur gloire), il a su faire fructifier son capital, montant ses projets dans une économie de moyens raisonnable qui lui permet d'imposer des castings sans "professionnels" de la vanne et avec des histoires sigulières pour le genre.

En Liberté ! a quelque chose de programmatique, rien que dans son titre qui résume bien l'esprit de sa conception. Le cinéaste y apparaît en effet plus affranchi que jamais des règles en vigueur. Mais c'est aussi un quasi best of qu'il propose, une sorte de manuel de la comédie selon Salvadori, avec ses influences assumées (et qui vont plus loin que les années 80, 70 ou 60) et leur interprétation.

Salvadori est un émule de Lubitsch et Wilder avec lesquels il partage un goût pour le récit et le travestissement. Et son dernier film en est rempli. En Liberté ! ne cesse de faire raconter des histoires à ses personnages, ces mêmes histoires qui les obligent à avancer masqués, déguisés, abusant de la confiance d'autrui pour la bonne cause, quitte à être happés dans d'autres histoires impossibles. Les héros font preuve d'une imagination débordante, d'une verve incroyable, pour réparer le réel par le mensonge.

L'auteur use avec génie du si difficile comique de répétition avec poésie comme quand Agnès fait rejouer littéralement son retour plusieurs fois à Antoine parce qu'il a été libéré plus tôt que prévu et qu'il la surprend en train de faire le ménage. La même mise en scène se répéte quand c'est Yvonne qui sortira de prison et reviendra vers Louis, à la nuance près que c'est elle cette fois qui veut rejouer son arrivée pour obtenir des retrouvailles parfaites... Et que c'est son fils qui l'accueillera. Plus généralement, toute l'histoire est ponctuée par le récit que fait Yvonne des exploits de Jean à leur fils : au début, le conte est parfait, exagéré dans l'héroïsme, parodique même, puis lorsqu'elle a appris la vérité sur son mari, elle corrige sa fable en dévaluant à chaque fois les exploits de Santi. Jusqu'à ne plus pouvoir se prêter à l'exercice et le justifier en expliquant que pour raconter bien, il faut que cela vienne du coeur.

Comme si cela ne suffisait pas, Salvadori épice son sujet d'intermèdes burlesques et noirs avec un homme se présentant régulièrement au bureau de Louis pour lui avouer ses crimes ignobles... Sans être entendu car Louis est distrait par Yvonne. Ou encore quand Agnès, inquiète de l'absence d'Antoine, vient demander à Yvonne de le chercher mais ignorant qu'elle sait parfaitement où il est puisqu'elle le suit depuis sa sortie de prison - sans pouvoir l'avouer !

Le rythme du film détone par rapport aux comédies standards. On n'est pas sur un tempo très élevé et l'histoire se permet des digressions tout comme la mise en scène n'est pas hachée par le montage ou la recherche obsessionnelle de gags visuels. Salvadori préfère miser sur l'intelligence du spectateur pour déduire ce qui est vraiment drôle de ce qui procède de l'avancée du récit. Et s'autorise en revanche des compositions qui prolongent le sens des scènes (comme quand Antoine embrasse Yvonne dans le club SM et que la caméra recule pour montrer les barreaux à la fenêtre de la pièce, semblables à ceux d'une cellule de prison). Cela l'empêche nullement des moments de pure loufoquerie, hilarants, comme le braquage final où les masques empêchent Antoine et Yvonne de parler intelligiblement.

Pour jouer une partition aussi ciselée, Salvadori ne fait donc pas appel à des "comiques" parce qu'il estime que cela corromprait le sujet et influencerait le spectateur sur l'ambition réelle du film. Il croit en ses interprètes et il a raison de privilégier la justesse à l'efficacité car la surprise du casting renforce ses parti-pris.

Adèle Haenel n'est pas évidente dans ce rôle et cet univers, mais parce qu'elle est inattendue, le rire qu'elle provoque par la bienveillance gaffeuse de son personnage est décuplée par rapport à une actrice que le public aurait l'habitude de voir dans cet emploi. Pio Marmaï bénéficie d'un personnage plus immédiatement "payant" car ses actions sont le moteur comique du film et il est vraiment déchaîné, mais il est d'autant plus drôle qu'il compose surtout un Antoine complètement déphasé, à la limite de la folie et de la dépression, qui doit aller au bout de ses lubies pour être vraiment de nouveau libre.

Dans des seconds rôles, Damien Bonnard, parfait en flic transi d'amour, et Audrey Tautou (pour la troisième fois devant la caméra de Salvadori), en compagne dépassée, sont épatants. Et les interventions de Vincent Elbaz en imposteur ripou sont magistrales.

En fait, En Liberté !, grand film comique sur l'art de (se) raconter des histoires, est grisant parce qu'il renvoie le spectateur à ce qu'il est vraiment : un amateur de sensations fortes à l'appétit insatiable, mais ici formidablement gâté.

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