vendredi 18 janvier 2019

ISOLA #6, de Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk


Enfin ! Après quatre longs mois d'absence (mais les auteurs avaient prévenu les lecteurs de cette pause à la fin du premier arc), Isola est de retour. Mais cette fois à un rythme bimestriel... Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk, loués par une presse conquise et des auteurs impressionnés, continuent d'enchanter.


La reine Olwyn, revenue à sa forme de tigresse, s'est assoupie aux côtés de la capitaine Rook sur les rives d'un marais. Elle est réveillée par l'appel de son prénom et se dirige vers la rivière sans réveiller sa partenaire.


Là, dans l'eau, elle voit un corps de femme sur lequel elle se penche et qui la saisit au cou par les mains. Olwyn redevient une fillette et la femme dans l'eau est sa mère qui lui demande la faire revenir. Rook se réveille et trouve la tigresse au bord de l'eau.


Une colonne de fumée s'élève au loin, le matin venu. Rook et Olwyn vont dans sa direction et, cachées sur un promontoir rocheux, aperçoivent un campement de l'armée royale. Rook décide de s'y infiltrer pour se ravitailler en nourriture et en armes.


A l'exception d'un maréchal-ferrand qui lui offre un café, la capitaine n'est pas reconnue par les soldats, cachée par sa visière. Elle trouve vite la tente où sont entreposées vivres et armes. Elle consulte aussi une carte de la région.
  

Un jeune écuyer, Robird, la surprend mais jure de garder le secret. Il informe Rook que le régiment se déplace vers Palagrine Rock puis l'observe s'éloigner depuis un mirador. Robird voit alors la capitaine et la tigresse.

L'histoire reprend donc exactement là où on l'avait laissée, avec Olwyn, de nouveau changée en tigresse, et Rook assoupies dans le marais où elles ont fui. La beauté toujours saisissante des images de Karl Kerschl et Msassyk parlent pour elles-même et Brenden Fletcher sait leur qualité pour ne pas les accompagner d'un texte récapitulatif ou de dialogues superflus.

Le reste est à l'avenant, économe en mots, déroulant les quelques scènes du récit sur vingt pages. Il ne se passe pas grand-chose et la tension est minime (Rook dans le campement). Certains diront même qu'il ne se passe rien ou que ce qui se passe est quelconque.

Mais ce serait passer à côté de la singularité d'Isola. Certes, tout cela s'inscrit dans un genre (proche de l'heroic fantasy), une structure narrative connu ("le voyage du héros" théorisé par Christopher Vogler). Mais en refusant clairement de se conformer aux codes, aux motifs, Fletcher et Kerschl nous embarquent ailleurs.

Tous les éléments esthétiques, presque décoratifs, tous les repères de la série ne sont pas au service d'un divertissement touffu, plein de rebondissements, au rythme échevelé. Non, ici, ce qui prime, ce qui prévaut, c'est l'ambiance.

Comme toujours dans ce cas, selon qu'on y sera sensible ou pas, la série envoûtera ou laissera indifférent. Il faut accepter de s'y abandonner, de renoncer à ce qu'elle promet si elle respectait les règles, pour la savourer, en tomber littéralement amoureux. Comme le dit Rook au tout début, appréciant le décor apaisant du marais à l'aube avec Olwyn qui pose sa tête sur les cuisses de la capitaine, on pourrait rester là pour toujours. Sauf qu'il faut gagner Isola pour lever l'enchantement lancé contre la reine, et, peut-être, sauver le royaume.

J'ai déploré le côté show-off, pressé, exténuant même, de séries Image comme Death or Glory, The Weatherman, Crowded, même si elles sont réalisées avec talent. Isola est leur absolu contrepied : tout y est calme, contemplatif, d'une beauté magique. C'est décompressé, minimaliste, enchanteur, mélancolique aussi. Une vraie proposition de BD, un vrai geste, radical. Et une vraie audace donc, plus osée que d'enchaîner les péripéties à longueur de page. Un comic-book au ralenti, beau pour le plaisir, dont on ignore où il nous mène (Isola est peut-être une chimère).

Comme Rook, je resterai bien là pour toujours. Et je plains presque ceux qui ne sont pas ensorcelés par ce bijou.  

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