dimanche 2 décembre 2018

SCARLET #4, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


La fin approche (c'est la semaine pour ça, dirait-on...) : ce quatrième épisode de Scarlet est aussi l'avant-dernier (alors que j'avais mal calculé en croyant que la série compterait six chapitres). L'héroïne de Brian Michael Bendis et Alex Maleev a décidé de se rendre. Mais sa reddition est-elle aussi simple et soudaine ? Réponse :


Scarlet s'isole avec le soldat venu négocier et fait prisonnier. Après les derniers événements, ayant abouti à la mort d'un soldat, elle lui explique qu'ele va se rendre pour que plus personne, dans chaque camp, ne soit blessé ou tué.
  

Il salue cette sage décision mais la met en garde. Dès qu'elle sera arrêtée, les autorités vont tout faire pour la faire passer pour folle. Et ses compagnons seront poursuivis, même si elle obtient leur impunité. Il déclare enfin être heureux de l'avoir connue.


Scarlet rejoint ses fidèles et leur fait ses adieux - ce qu'on retiendra d'elle, selon une proche, c'est cette capacité à fédérer tout en pardonnant les fautes de ses adjoints. Puis direction le pont Hawthorne où elle se agite un drapeau blanc à l'adresse du sergent Orlando.


Avant d'accepter sa reddition, le militaire lui demande de se déshabiller pour vérifier qu'elle ne porte pas d'explosifs sous ses vêtements. Puis Scarlet monte dans une nacelle et rejoint l'autre rive du pont détruit transportée par un hélicoptère.


Une fois aux mains des soldats, surprise : ceux-là se mutinent contre leur sergent pour apporter soutien et protection à Scarlet. Ils partent avec elle pour le centre-ville. Toute la séquence a été filmée par l'équipe des insurgés.

Scarlet est une série d'équilibristes, et la scène où on voit l'héroïne traverser le pont Hawthorne dans une nacelle tirée par un hélicoptère de l'armée peut se lire comme une sorte de résumé narratif. Le récit passe d'un territoire à un autre, d'une situation à une autre, nous emmène vers un dénouement imprévisible, dans une zone trouble et troublante.

Brian Michael Bendis aime balader le lecteur, c'est souvent ce que n'apprécient pas ses détracteurs qui considèrent qu'il le fait pour gagner du temps, décompresser son écriture. Ce n'est sans doute pas complètement faux, admettons-le : il pourrait aller plus vite.

Mais Bendis expérimente dans le cadre d'un titre dont il a, seul, la maîtrise et la propriété, sur lequel il a toute autorité et liberté. Dans ce cas, pourquoi ne se permettrait-il pas une façon de raconter affranchie des contraintes d'efficacité ?

Le mois dernier, à la dernière page, on voyait Scarlet agiter un drapeau blanc, annonçant sa reddition. Le plus évident aurait été d'enchaîner avec la suite de ce geste. Mais Bendis consacre les trois-quarts de l'épisode aux moments précédant cette acte. Une dernière conversation avec le soldat, les adieux aux fidèles, le pardon à Kit (qui a précipité cette décision), la consigne de tout filmer et de sauvegarder ce document.

Tout cela donne ce surplus d'humanité à la série qui narre une révolution en escamotant généralement les grandes manoeuvres pour se concentrer sur les doutes, les craintes, les espoirs d'une poignée d'insurgés qui a plongé une ville dans la chaos. Il y a même un écho surprenant avec l'actualité puisque, hier, notamment à Paris, le mouvement des gilets jaunes a pris des airs de guérilla urbaine. Qui sait si, dans cette révolte désordonnée, il n'y a pas une Scarlet Rue ?

Alex Maleev est en petite forme pour cet épisode, après avoir livré quelques-unes de ses plus belles pages. Les décors sont sommaires, quand ils ne sont pas absents, les personnages se meuvent de manière maladroite. Seuls les visages témoignent de la finesse expressive du dessinateur.

Il apparaît qu'il n'est pas à l'aise avec ces scènes telles qu'écrites par Bendis, à moins qu'il n'ait pas réussi à les mettre en image comme il le désirait (par manque de temps ? d'inspiration ?). C'est inhabituel de la part de Maleev, mais on peut aussi mettre cela sur le compte d'une lassitude, légitime : il a sans doute hâte de conclure une aventure qui l'aura occupé, irrégulièrement, depuis dix ans.

Quoi qu'il en soit, le cliffhanger, saisissant, est accrocheur : c'est un vrai retournement de situation qui va donner à la conclusion un relief particulier. Comment les auteurs vont composer avec cette issue ? Comme Scarlet, sans aucun doute : en n'en faisant qu'à leur tête.   

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