lundi 31 décembre 2018

BATMAN, VOLUME 5 : RULES OF ENGAGEMENT, de Tom King, Joelle Jones, Clay Mann, Lee Weeks et Michael Lark


Ma dernière critique pour 2018 sera pour le Volume 5 de la série Batman écrite par Tom King et qui couvre les épisodes 33 à 37 + l'Annual #2. Le scénariste (qui sort d'une année riche) est accompagné par des dessinateurs de choix comme Joelle Jones, Clay Mann et le tandem Lee Weeks-Michael Lark. Maintenant que Selina Kyle a accepté d'épouser Bruce Wayne et en attendant les noces, voilà ce qui se passe...


 - Rules of Engagement (#33-35, dessinés par Joelle Jones) - Batman et Catwoman sont en route pour la cité de Khadym dans le désert. A Gotham, Alfred Pennyworth annonce à Dick Grayson, Jason Todd, Duke Thomas et Damian Wayne que Selia Kyle a accepté d'épouser Bruce Wayne. Aux abords de la citadelle, Batman négocie avec le Tigre du de Kandahar (ex-collègue de Dick Grayson au sein de l'organisation Spyral) un droit d'entrée.


Une fois dans la place, Talia Al Ghul, la maîtresse des lieux, attend le couple avec ses hommes en armes. Damian Wayne et Dick Grayson se rendent à leur tour à Khadym mais Superman leur interdit d'y pénétrer. Une fois l'armada de Talia éliminée, Batman comprend qu'elle ne voulait pas les tuer, lui et Catwoman mais les épuiser. Blessé, Batman ne peut que laisser les deux femmes s'affronter.


Dick et Damian discutent de celui qui est respectivement leur mentor et leur père et l'aîné explique au fils de Batman pourquoi il va se marier. Dans la citadelle, le duel entre Catwoman et Talia est âpre et se déroule sous les yeux de Holly Robinson. C'est elle qu'il sont venus chercher pour qu'elle disculpe Selina des meurtres dont elle est accusés. Catwoman vainc Talia et peut repartir avec Batman que Dick et Damian soutiennent à sa sortie.

Divisons cette critique en autant d'arcs que comprend ce recueil. Le précédent album (The War of Jokes and Riddles) se terminait par l'approbation de Selina Kyle pour épouser Bruce Wayne, malgré l'évocation d'une erreur de jeunesse (dont elle fut témoin durant le conflit ayant opposé le Joker et le Sphinx lors de la première année de carrière de Batman).

Et après ? Tom King va pendant dix-sept épisodes "meubler" avant les noces proprement dites. Le scénariste ne gagne pas du temps, il analyse les conséquences du "oui" de Catwoman. Pourquoi Batman, déjà, veut-il se marier ? Par amour bien sûr, mais aussi pour des raisons plus enfouies, plus tourmentées.

Les mariages dans les comics sont un thème qui mériteraient une thèse : ils ont quelquefois lieu, après bien des péripéties, mais ne durent guère et se terminent souvent mal, voire tragiquement. C'est que permettre au super-héros d'être heureux fragilise sa vocation même : parce qu'il devient justicier souvent suite à un drame personnel ou un accident, il compose ensuite avec les responsabilités que cela induit (le fameux "de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités" énoncé par Stan Lee). Or, lui accorder une compagne, c'est à la fois risquer de détourner le héros de sa mission mais aussi, surtout, faire courir le risque à cette compagne de devenir la cible des méchants (si ceux-ci apprennent -et ils finissent toujours par l'apprendre - quel lien unit le héros et sa bien-aimée).

Un "freak control" comme Batman peut-il seulement s'autoriser à être heureux ? Et si cela se sait ? Avec Catwoman, il a néanmoins choisi une compagne apte à se défendre. Mais King ausculte toutes les facettes du problème.

Parfois avec humour quand il montre la réaction des "Bat-boys", sidérés par la nouvelle que leur communique Alfred. Le plus bouleversé est Damian, le propre fils du héros, mais King déjoue le piège de la jalousie du garçon envers une femme appelée de facto à devenir sa belle-mère : au contraire, il comprend le premier qu'en faisant cela, Batman va s'attirer les foudres de Talia Al Ghul, sa mère biologique.

La mission à Khadym surprend aussi car Batman ne va pas chercher la bénédiction de Talia comme on pourrait le parier au début : en vérité, il accompagne Catwoman pour récupérer Holly Robinson qui se cache auprès de Talia et qui pourrait disculper Selina Kyle des meurtres dont on l'accuse. Inévitablement, cela va se règler entre l'ex et la future Mme Batman et le duel tient toutes se promesses (sur les plans intellectuel, sentimental et physiques) - il révèle aussi la lucidité de Catwoman sur les sentiments de Batman car elle a saisi qu'il la ferait toujours passer après sa croisade contre le crime. Parce qu'elle l'accepte, elle a dit "oui" pour l'épouser.

Enfin, le dialogue entre Dick Grayson et Damian Wayne (qui furent Batman et Robin un temps - quand Grant Morrison écrivait la série de ce nom) est touchant et intelligemment formulé. Le premier sidekick de Batman a lui aussi un avis pertinent sur la quête affective du héros et ce que cela représente comme défi pour lui de s'engager dans cette aventure (qui, sous-entendu, si elle échoue, risquerait de le traumatiser...).

Joelle Jones fait son entrée dans la bande des artistes de la série et on mesure ce qui sépare l'artiste encadrée par un scénariste rigoureux comme King de celle sans ce directeur sur sa relance ratée de la série Catwoman. Le trait sensuel et puissant de la dessinatrice associé au superbe travail de colorisation de Jordie Bellaire convient idéalement à ces épisodes dans le désert.

L'expressivité des personnages est essentielle dans cette histoire, qu'il s'agisse des émotions à traduire visuellement entre Talia et Selina ou entre Dick et Damian. Jones excelle aussi bien dans les scènes dialoguées (l'échange entre Jason Todd et Duke Thomas) que dans l'action (la chorégraphie du duel à l'épée dans la citadelle est digne d'un film de cape et d'épée).

On devine surtout qu'avec cette première étape suivant la demande en mariage, la suite ne va pas être de tout repos - parce que Batman est ce qu'il est (un taiseux aux valises bien chargées), parce que Catwoman est ce qu'elle est (une hors-la-loi qui trahit son milieu en se rangeant), et que leur romance devient par la force des choses, la nature de leur existence, matière à mélodrame.

*


- Superfriends (#36-37, dessinés par Clay Mann) - Batman doit maintenant annoncer son mariage à Superman, son plus ancien ami dans la communauté super-héroïque. Mais il hésite tout comme l'Homme d'Acier refuse d'avouer à son camarade qu'il sait déjà tout de son projet. Pour précipiter les événements, Lois Lane et Catwoman vont devoir intervenir.


Après avoir résolu une même affaire sur laquelle les deux couples travaillaient sans le savoir, ils conviennent de passer une soirée dans une fête foraine costumée. Pour ne pas risquer d'être reconnu, Batman échange sa tenue avec Superman et Catwoman avec Lois Lane. Les deux femmes deviennent amis tandis que les deux hommes échangent leurs points de vue sur le mariage. Avant de terminer la soirée par un petit jeu...

Le diptyque suivant est une pure merveille, plus pétillante tout en restant subtile et profonde sur les répercussions du tournant privé que prend la vie de Batman. Il doit désormais en faire part à son meilleur ami.

Tom King joue avec ironie sur ce ressort comique connu de n'importe quel couple : présenter sa petite amie, qui plus est si sa (mauvaise) réputation la précède, à son (ses) pote(s). Là encore, l'envergure anormale, disproportionée des protagonistes amplifie tout. Imaginez : c'est à Superman qu'on s'adresse.

Dans un premier temps, les deux héros s'évitent. Ombrageux et secret, Batman esquive la rencontre et les questions de Catwoman (a-t-il honte d'elle ?). Pudique et tolérant (mais prudent aussi), Superman estime (logiquement) que c'est à Batman de l'appeler.

Les deux compagnes vont alors intervenir de manière décisive : Catwoman en poussant Batman à se faire violence, Lois Lane en demandant à faire la connaissance du futur couple (et tant pis si Selina Kyle est une "délinquante"). C'est délicieux, et plus encore quand dans un building où les conduit une enquête commune (mais sans qu'ils l'aient anticipée) Batman et Superman se retrouvent avec leurs femmes.

Mais la seconde partie est encore plus savoureuse : les deux binômes vont dans une fête foraine se détendre et apprendre à se jauger. King profite que l'endroit organise une partie costumée pour que Batman et Superman ainsi que Lois et Catwoman échangent leurs vêtements pour ne pas être immédiatement identifiés. Les rôles s'inversent de manière ludique, comme dans un film de Billy Wilder : le déguisement permet alors étonnamment de tomber le masque.

La complicité qui se tisse entre Selina et Lois est aussi éclatante et rapide que la réserve entre Batman et Superman est tenace. Auparavant, King a rappelé l'estime que se portaient les deux héros mais surtout leurs passés semblables (des orphelins qui ont choisi le droit chemin malgré la souffrance). Il souligne aussi de belle manière une sorte de compétitivité entre eux quand Superman affirme à Batman qu'il ne pourrait frapper avec une batte une balle de base-ball qu'il lancerait.

Confier le dessin de ces chapitres à Clay Mann est une excellente idée : d'abord parce qu'il illustre remarquablement bien les personnages féminins, sachant les rendre belles sans être vulgaires, sexys sans être hyper-sexuées - ce qui convient parfaitement à Catwoman et Lois Lane, dont la force de caractère prédomine sur la beauté - , et ensuite parce qu'il réussit parfaitement à représenter Batman et Superman comme des presque jumeaux que des détails raffinés distinguent.

Sous son crayon et sa plume (aidé par son frère Seth Mann à l'encrage), Bruce a une tête et une carrure plus robuste que taillée, plus massive et grande, avec un visage au nez légèrement plus écrasé (comme un boxeur que les coups ont modelé), tandis que Clark a une majesté intacte, une classe naturelle mais humble, presque timide. Batman ne sourit jamais, est sur la défensive pour dissimuler le fait qu'il est troublé, intimidé même, alors que Superman avance constamment comme s'il marchait sur des oeufs, lui aussi impressionné par l'humain ordinaire mais se surpassant qu'est son ami.

Idem avec Catwoman et Lois Lane : naturellement, la première s'affiche, sûre d'elle, de son charme, avec une insolence joueuse qui cache mal son trac de s'engager ; quand la seconde, pourtant femme et mère de famille, s'abstient de toute condescendance, reconnaissant même la folie d'être liée à un justicier. Tout, dans leur attitude, leurs gestes, leurs sourires, leurs regards, trahit les émotions qu'elle ressentent. C'est un régal de voir le dessin si bien traduire le texte.

Bon, je ne vais pas reparler de l'Annual #2, dessiné par Lee Weeks et Michael Lark puisque j'y avais consacré une entrée lors de sa sortie en single issue. C'est juste un chef d'oeuvre, bondissant puis bouleversant sur la romance de Bat-Cat, magnifiquement mis en images. (Consultez les libellés du blog pour lire la critique, et jetez-vous sur l'album traduit en français par Urban Comics, qui a ajouté en complèment de programme le numéro spécial Batman/Elmer Feud, dont j'avais aussi parlé en son temps).

Si la version de Batman qu'en donne Tom King déroute souvent, voire même déplaît à certains fans du héros, son run brille en tout cas par son originalité et sa tenue - l'auteur suit un plan bien établi (qui courra sur cent épisodes) et s'y tient, ne sacrifiant jamais le portrait du dark knight à l'action. Quel que soit celui qui succédera à King sur la série, il sera intéressant de voir comment il achèvera son passage et ce qui en subsistera.

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