dimanche 23 décembre 2018

BATMAN ANNUAL #3, de Tom Taylor et Otto Schmidt


Le précédent Annual de Batman, par Tom King, Lee Weeks et Michael Lark, avait mis la barre très haut, dans l'émotion en particulier. Mais Tom Taylor a trouvé la parade pour échapper à la comparaison et avec Otto Schmidt, dont le style graphique diverge lui aussi radicalement, le résultat est aussi attachant que singulier. Surtout quand Batman devient non plus le sujet mais l'objet du récit...


Alfred Pennyworth est entré au service de la famille Wayne avant la naissance de Bruce. Son professionnalisme indiscutable fait qu'il est toujours à l'affût. Comme cette nuit, jadis, où la police le réveilla par un appel téléphonique l'avertissant de la mort de ses employeurs, tués devant leur fils.


Des années après, Alfred répond toujours présent mais son rôle a évolué puisqu'il soutient logistiquement Bruce Wayne devenu Batman. A nouveau un coup de fil de son patron l'avertit qu'il tente de neutraliser un drone tueur en l'entraînant loin d'un quartier habité.


En attendant le retour du justicier, Alfred s'affaire : il vérifie la Bat-mobile, les équipements de la Bat-ceinture, l'ordinateur de la Bat-cave... Et prépare une soupe. Car si Batman refuse de dormir quand un danger menace Gotham, son majordome souhaite qu'il mange quand même un peu.


D'après les infos dont il dispose sur le pilote des drones, il s'agit d'un certain Peter Harris, ingénieur et mercenaire. Intrigué par une nouvelle cible, Batman tombe dans le piège que lui tend son adversaire et subit une blessure par arme blanche.


Contactant la police pour cueillir Harris, Batman appelle ensuite Alfred au secours. Transporté à la clinique privée de Leslie Thompkins, le justicier est soigné. Alfred s'assoupit. A son réveil, Bruce lui porte une colation et lui explique avoir confié la prochaine patrouille à ses alliés, pour que son majordome puisse se reposer.

Être l'ami d'un super-héros n'a rien d'une sinécure : pour peu que ses ennemis apprennent le lien qui unit ces deux personnages, l'acolyte devient une cible. Mais il s'agit aussi d'être là en cas de coup dur pour le justicier, de composer avec sa double vie, ses horaires, l'angoisse qui lui arrive malheur. Être l'ami d'un super-héros, c'est être un pote, un soutien, un frère, un père.

Mais quand, comme Alfred Pennyworth, on est l'ami et le serviteur d'un super-héros tel que Batman, plus de vie possible. Ou plutôt plus d'autre vie possible que celle de consacrer la sienne à ce héros-là. C'est ce que raconte merveilleusement bien Tom Taylor dans ce Batman Annual #3.

Je n'en attendais pas autant du scénariste décevant de X-Men : Red (la seule de ses productions à laquelle je me sois intéressé). Mais Taylor en décalant habilement le point de vue de cette histoire a su trouver un angle d'attaque très intéressant et très attachant.

Tous les lecteurs de Batman connaissent la figure stoïque d'Alfred Pennyworth, ce laquais classieux mais volontiers sarcastique avec Maître Bruce : c'est un second rôle en or, comme Foggy Nelson avec Daredevil, mais avec une hiérarchisation différente. Foggy est l'ami et le partenaire de Matt Murdock/DD. Alfred est un majordome, un infirmier, un soutien logistique, et avant cela surtout l'homme qui a vraiment élevé Bruce Wayne, qui l'a accompagné dans sa croisade comme Batman.

Cet épisode, plus long qu'à l'accoutumée (30 pages), s'ouvre par la nuit où la police téléphona à Alfred pour lui annoncer le meurtre de Thomas et Martha Wayne. Alors qu'un agent lui demande de passer à la morgue identifier les victimes, il se concentre sur l'orphelin qu'est devenu Bruce.

Les années passent et Alfred reste l'ange gardien de Bruce devenu Batman. L'ennemi que le dark knight affronte ici n'a guère d'importance ni d'originalité, c'est un prétexte pour souligner les rapports entre les deux hommes le temps d'une nuit qui a valeur d'exemple pour toutes les autres.

Tayor consacre l'essentiel des scènes (ponctuées par les actions spectaculaires de Batman) au majordome qui attend le retour de son maître. Le côté dérisoire, pragmatique des gestes d'Alfred devient flagrant en les comparant avec les manoeuvres acrobatiques de Batman. Mais, au lieu de s'en moquer, on les apprécie comme autant de petites attentions, humbles et utiles, de la part d'un homme qui, au fond, craint que son "fils" ne revienne pas, laisse sa peau en voulant sauver celles des autres.

Taylor injecte de l'humour dans une scène superbe où Alfred insiste pour que, à défaut de prendre un peu de repos, Batman n'oublie pas de manger - et on voit repartir le justicer avec un thermos de soupe. Plus loin, le ton se fait grave, tendu quand Batman blessé appelle son majordome à l'aide. Il l'emmène chez Leslie Thompkins et là, très subtilement, elle fait comprendre à Alfred qu'il doit prendre du repos. Comme il s'assoupit et que Bruce Wayne revient à lui, elle répéte son injonction. Maître Bruce consentira à confier sa prochaine patrouille pour laisser Alfred se requinquer, tout comme lui.

DC a eu la curieuse idée de confier le dessin de couverture à Bryan Hitch et cela induira sans doute en erreur de nombreux lecteurs qui ne connaissent pas le style graphique d'Otto Schmidt, totalement différent de son confrère.

Il y a encore quelques mois, Schmidt alternait les épisodes de Green Arrow avec Juan Ferreyra durant le run de Benjamin Percy - là encore, les deux artistes n'avaient rien de commun et pourtant passer de l'un à l'autre ne nuisait en rien au brio de la série.

Très discret depuis, sans doute parce que DC ne savait pas trop comment l'utiliser, Schmidt rebondit avec cet Annual où son trait proche du cartoon fait des étincelles. Fin, expressif, avec une spontanéité proche de l'esquisse à peine peaufiné, l'artiste assume aussi l'encrage et la colorisation : maître de ses planches, il compose des découpages très fluides et variés, avec des valeurs de plans d'une justesse remarquable (toujours à la bonne distance).

Surtout, grâce à son coup de main aérien, Schmidt était l'homme parfait pour dessiner Alfred dont il respecte la silhouette gracile et élégante, à qui il donne un âge sans l'exagérer (soit celui d'un quinqaugénaire-sexagénaire), et une une dignité plus authentique que l'ironie dont les scénaristes dotent souvent le personnage (non que ce soit une erreur mais c'est bien aussi de rappeler que Pennyworth a une sincère affection pour Wayne et ne fait pas que communiquer avec lui sous forme de petites phrases acerbes).

Ne cherchez pas d'autres figures familières dans ce récit, à part Leslie Thompkins à la fin, vous ne les trouverez pas : pas de Robin (Damian Wayne, Dick Grayson...), de Catwoman, de Jim Gordon. Taylor et Schmidt n'ont d'yeux que pour Alfred et Batman, leur relation hors du commun.

Ainsi les deux auteurs de ce numéro spécial ont compris qu'il ne s'agissait pas de faire mieux mais différent de l'an dernier. Et même d'offrir une parenthèse bienvenue au Bat-verse avec cette histoire d'amitié si spéciale. La sincérité avec laquelle c'est accompli est formidable.  

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