Les pérégrinations du colonel Weird se poursuivent (et s'achèvent ?) ce mois-ci dans Black Hammer : Age of Doom, alors que la série va faire une pause jusqu'en 2019 (l'épisode de Décembre sera un spin-off du spin-off de Sherlock Frankenstein and the Legion of Evil - vous suivez ?). Toujours aussi fou, Jeff Lemire nous entraîne dans un chapitre méta-textuel à peine tempéré par le dessin naïf de Rich Tommaso.
Provisoirement à l'abri de l'Anti-Dieu dans une cave, le colonel Weird fait mieux connaissance avec les héros de cette Terre parallèle où il a échouée et découvre leur condition d'êtres imaginaires n'ayant jamais eu les honneurs d'histoires complètes.
Weird avoue de son côté être (certainement) responsable de la présence de l'Anti-Dieu, mais il en déduit aussi que cette menace va se déplacer à Spiral City où ont dû arriver ses amis. Il lui faut donc les retrouver tout en sauvant les héros d'ici.
Golden Goose, une oie, indique une issue possible mais qui impose à la troupe une sortie risquée. Les héros sont décimés par les Hellamentals de l'Anti-Dieu et seul Weird, l'Inspecteur Insecte et Golden Goose réussissent à gagner une grotte. Ils s'aventurent dans une galerie au sol de plus en plus glissant...
... Et finissent par sortir de... L'oreille d'un géant que Golden Goose identifie comme le Créateur, entouré de ses pairs. Chacun invente, ou non, l'histoire des héros. L'oie désigne à Weird celui qui imagine la sienne et donc lui permettra de rejoindre ses amis.
L'Inspecteur Insecte et Golden Goose choisissent de tenter leur chance avec un autre créateur, qui, peut-être, leur donnera une histoire complète. Le colonel Weird les quitte en se glissant dans l'oreille de celui qui développe son périple.
Jeff Lemire, qui a récemment annoncé son intention de cesser de travailler pour les "Big Two" (Marvel et DC) pour se consacrer à ses projets en creator-owned et à la télévision, a les mains plus libres que jamais. Si on ne sait pas encore très bien ce qu'il prépare pour le petit écran, il ne manque pas de boulot ailleurs : il écrit Ascender, une sorte de suite à Descender, toujours pour Dustin Nguyen, chez Image l'an prochain, notamment ; et bien sûr développe l'univers de Black Hammer (avec une surprise de taille à la fin de ce numéro, mais j'y reviendrai).
Certainement déçu par ses dernières opportunités chez Marvel (The Sentry) et DC (qui semble ne pas lui avoir pardonné d'être parti chez le concurrent), Lemire est débridé et ce septième épisode en témoigne. Il poursuit l'aventure solo du colonel Weird, séparé de ses amis de la Ferme depuis qu'ils ont quitté la Para-Zone, en compagnie du dessinateur Rich Tommaso.
Le personnage, qui semble avoir recouvert un peu de sa raison à la faveur de cette échappée, est pourtant dans de sales draps puisque le monde où il a échoué est sous la menace de l'Anti-Dieu. Il devine vite que sa présence est liée à sa réapparition, et donc que la Terre et Spiral City seront bientôt en danger. Donc il lui faut retrouver ses camarades au plus vite. Mais comment ?
En effet, ce n'est pas avec cette bande de personnages imaginaires n'ayant jamais eu leur histoire complète qu'il est en mesure de faire face à l'Anti-Dieu. Lemire leur consacre les premières pages en décrivant leurs origines, inspirées de héros connus (Blue Beetle, Wonder Woman, Wolverine...) : ces bras cassés sont attachants mais conscients que leur visiteur les a mis dans une mauvaise situation. L'opération sauvetage est organisée dans l'urgence et va bien entendu tourner au carnage. Il faut dire que le guide vers la sortie est une... Oie !
On passe d'une cave à un terrain vague à découvert (parfait pour se faire dégommer par des monstres ailés) à une grotte au sol glissant... Et on ressort de ce cauchemar par une oreille ! Pas n'importe laquelle : celle du créateur ! Lemire n'est pas subtile dans son méta-texte sur créatures et inventeur, personnages et auteur, mais qu'importe, là n'est pas le problème. Black Hammer : Age of Doom est un terrain de jeux où tout est permis, y compris cette assemblée de scénaristes géants, la tête dans les nuages, où les protagonistes doivent trouver le le leur, en espérant qu'il les ramènera d'où ils viennent ou leur donnera une aventure digne de ce nom.
A ce stade, le lecteur est littéralement stupéfait par la licence que s'accorde Lemire et que Rich Tommaso a l'intelligence de dessiner de manière très premier degré, avec un style épuré, naïf, aux couleurs pimpantes. Cela participe de la sidération de la lecture : il faut en quelque sorte que tout cela soit représenté de cette façon pour souligner le contraste entre ce qui situe dans l'imaginaire le plus délirant et ce qui tient lieu de cadre réaliste mais montré poétiquement, symboliquement.
Ces images, maladroites, un peu ridicules, avec une oie qui guide des personnages comme dans un jeu (de l'oie évidemment), tandis qu'un Anti-Dieu est sur le point de tout détruire, que des héros sans histoire (littéralement) sont sacrifiés, et un colonel Weird intégrant cela avec un flegme étonnant (et très drôle), c'est ce qui convient pour un chapitre aussi méta-textuel sur la BD dans la BD, la BD qui réfléchit à elle-même, sa création, la BD en train de se faire comme l'histoire en train de se dérouler, chaotique, foutraque, et quand même divertissante, fluide, énergique.
Après tout, semble dire Lemire, si on veut bien croire au récit de super-héros (déjà), ayant été plongé dans un sommeil artificiel par une sorcière et un astronaute suite à leur combat épique contre une entité cosmique maléfique, persuadés d'avoir passé dix ans dans une ferme sans pouvoir s'en échapper... Alors pourquoi s'étonnerait-on de rencontrer d'autres super-héros inexploités, dans un monde parallèle en évolution constante, en proie au même dieu maléfique, et pour fuir, devoir emprunter le conduit auditif d'un scénariste démiurge mais enfumé ?
C'est divinement brindezingue et ludique, ça s'autorise tout, et c'est pour ça que c'est bien : on ne sait jamais ce qui nous attend avec cette série. Au point que Jeff Lemire annonce déjà la réunion de ses héros au moyen d'un... Reboot. Comme si c'était le genre du bonhomme de se priver d'une pique à un tic des éditeurs quand ils ne savent plus comment avancer leur univers... Black Hammer n'a pas fini de nous enchanter.
Bonjour,
RépondreSupprimerC'est divinement brindezingue et ludique, ça s'autorise tout, et c'est pour ça que c'est bien. - Voilà une bonne nouvelle. J'avais trouvé la première saison un peu trop dérivative des univers partagé Marvel et DC, sans réelle voix d'auteur. Votre commentaire me rend impatient de découvrir cette deuxième saison, avec des métacommentaires plus personnels.