mercredi 10 octobre 2018

COLOSSAL, de Nacho Vilagondo


Injustement boudé par les distributeurs français, échaudés par son échec en salles aux Etats-Unis (il n'a récolté que 4,5 millions de $ sur presque 15 millions de budget), Colossal de Nacho Vilagondo a pu être visible sur les plateformes de streaming dans ce qu'on appelle le e-cinéma. Il s'agit d'une oeuvre très originale, à la fois spectaculaire et intimiste, aux interprétations multiples, portée par un cinéaste inspiré et des interprètes investis. En vérité, un des meilleurs films de 2017 !

Gloria (Anne Hathaway)

Gloria est une jeune femme sans emploi à New York et qui noie sa déprime dans l'alcool. Son compagnon, Tim, lassé de sa dérive, rompt avec elle et la met à la porte de son appartement. Contrainte de déménager, elle décide de rentrer dans sa ville natale de Mainhead, en Nouvelle-Angleterre, où elle ne tarde pas à croiser son ami d'enfance, Oscar, qui tient maintenant le bar de son père. Il lui offre un toit et un emploi dans son établissement.

Gloria et Oscar (Anne Hathaway et Jason Sudeikis

Mais travailler dans un bar aggrave les problèmes d'alcool de Gloria qui finit régulièrement ses soirées en compagnie d'Oscar et ses amis, Garth et Joel, puis s'endort près sur un tourniquet dans le jardin d'enfants voisin. Pendant ce temps, à Séoul, un gigantesque monstre reptilien apparaît et sème le chaos et l'épouvante. Lorsqu'elle découvre cela au journal télévisé, Gloria réalise que le monstre reproduit les mêmes gestes qu'elle et donc qu'elle peut le contrôler à distance.

Joel, Gloria, Oscar et Garth (Austin Stowell, Anne Hathaway, Jason Sudeikis et Tim Blake Nelson)

Gloria, sidérée par cette découverte, partage son secret avec Oscar, Garth et Joel. Ceux-ci doutent de son histoire, mettant cela sur le compte d'un délire éthylique. Mais elle leur prouve qu'elle dit la vérité en les entraînant dans le jardin d'enfants où ils peuvent suivre, en direct, sur des tablettes, les mouvements qu'elle fait et que répète le monstre. Plus fort et étrange encore : lorsque Oscar la rejoint, un robot immense apparaît face à la créature dans les rues de Séoul ! Gloria adapte sa gestuelle pour que les sud-coréens comprennent que le monstre a causé des dégâts involontairement et qu'il s'en excuse. 

Gloria

Cette prise de conscience la pousse aussi à stopper sa consommation d'alcool pour éviter de perdre sa lucidité. Depuis son retour à Mainhead, Gloria est courtisée par Joel et finit par succomber à ses avances en passant une nuit avec lui. Mais, à son réveil, elle découvre Oscar, ivre mort, dans le jardin d'enfants et devine qu'il anime le robot géant dans les rues de Séoul en y semant la panique. Elle tente de le calmer pour qu'il cesse cela. Mais Oscar est jaloux de la liaison entre elle et Joel et veut se venger ainsi. Plus tard, dans la soirée, au bar, il insulte Joel et force Gloria à boire à nouveau en la menaçant de détruire Séoul si elle n'obéit pas. 

Oscar et Gloria

Le lendemain matin, Oscar s'excuse pour son comportement et supplie Gloria de lui pardonner. Elle accepte à la condition qu'il ne soûle plus afin que, comme elle, il garde le contrôle de ses nerfs et soit responsable de son double monstrueux à Séoul. C'est alors que Tim arrive en ville pour parler à Gloria. Oscar le provoque pour l'affronter et, à l'écart, il prévient son amie que si elle repart pour New York, elle devra en subir les conséquences - cette menace indique qu'il s'en prendra non pas à elle directement mais aux sud-coréens. Elle convainc Tim de repartir et se montre docile en compagnie d'Oscar au bar.

Gloria et Oscar

Bouleversée par la tournure des événements, Gloria se souvient alors d'un fait passé dans son enfance lorsqu'un éclair les foudroya, elle et Oscar tenant respectivement un jouet à la forme de dinosaure et de robot, et elle pense que c'est ainsi qu'ils ont pu à présent créer leurs avatars. Elle se rappelle également que Oscar a toujours eu un tempérament violent et manipulateur envers les autres car il se dépréciait, ce qui la conduit, elle, à quitter Mainhead avec Tim.

Oscar et Gloria

Gloria élabore alors un plan pour raisonner Oscar dans l'affronter directement. Elle s'envole par avion pour Séoul et, une fois sur place, elle assiste à l'apparition du robot géant. A Mainhead alors, le monstre qu'elle a crée surgit dans le jardin d'enfants et domine Oscar, le saisit et le jette dans le ciel... Causant la disparition du robot à Séoul !

Gloria (si, si !) face à Oscar

Sa mission accomplie, Gloria rentre dans un bar déserté de la ville et promet à la serveuse de lui raconter une histoire incroyable en échange d'un verre.

L'aspect le plus curieux du film tient d'abord à sa construction : les deux histoires ne semblent pas reliées, avec d'un côté la crise existentielle de Gloria et de l'autre l'apparition de ce monstre (déjà vu 25 ans auparavant). Puis, subtilement, Nacho Vilagondo nous fait comprendre le rapport étonnant entre la jeune femme et ce qui paraît être l'incarnation littérale de ses angoisses et démons. La révélation surgit d'une manière si évidente et fluide à la fois qu'elle est jubilatoire parce qu'elle n'est pas assénée. Le cinéaste laisse le spectateur tirer la conclusion qui s'impose, et évoque ce que M. Night Shyamalan savait si bien faire à ses débuts (Sixième sens, Incassable, et surtout Le village dont le twist final reste un modèle du genre).

Mais, à la vérité, cette explication est presque dispensable car le récit suggère habilement, dès leurs retrouvailles, la toxicité de la relation entre Oscar et Gloria. Elle est une proie facile, en proie à un alcoolisme irrépressible, et lui affiche une douceur trompeuse, quasi-paternaliste. Il est une sorte de nounours apaisant mais dont la stature trahit un malaise grandissant, trop attentionné pour être honnête. Bien entendu, Gloria ne le sait pas encore : elle revient juste chez elle avec, en guise de bagages, un mal-être tenace - la main tendue de son ami d'enfance est comme une bouée de sauvetage pour elle. Comment pourrait-elle deviner qu'il lui veut du mal ? Qu'une vieille rancoeur l'anime ?

De fait, le scénario, écrit par le réalisateur, traite aussi, via le personnage déboussolée de Gloria, de la violence masculine : à cause de sa consommation d'alcool, la jeune femme s'endort, ivre morte, et se rappelle en rêvant à une scène fondatrice de son enfance, quand elle surprit un geste rageur d'Oscar qui lui était indirectement adressé. Cet ami qui ne lui veut que du bien à son retour dans le New Jersey est le vrai responsable de son malaise, entretenu depuis par sa vie en couple avec un affairiste trop dirigiste avec elle.

Sans l'élément fantaisiste du monstre (puis du robot) géant qui se manifeste à Séoul (autrement dit à l'autre bout du monde par rapport à ce coin perdu de la Nouvelle-Angleterre - ne cherchez pas Mainhead sur une carte, c'est une ville fictive), le film serait un drame dépressif presque précurseur de la vague du mouvement #MeToo. En glissant dans le fantastique, Nacho Vilagondo lui donne à la fois une dimension atypique et divertissante mais aussi une puissance métaphorique qui, lorsque l'héroïne réfléchit à un moyen de littéralement renverser la situation, aboutit à une solution évidente et très drôle. La manière dont, en effet, Gloria se débarrassera de Oscar est une pirouette savoureuse et grandiloquente, une adresse du genre "et si tu t'attaquais à aussi fort que toi ?" extrêmement jouissive pas seulement parce que la jeune femme éjecte le vilain mâle macho mais parce que la gentille fille envoie valdinguer le méchant.

La réalisation aurait pu céder à la facilité en exploitant davantage la partie montrant le monstre et le robot géants, les dégâts provoqués à Séoul. Mais Vilagondo n'est pas Michael Bay et il limite ces scènes-là pour mieux souligner les rapports humains. L'énormité du postulat passe ainsi mieux, suscite le sourire, et permet de bien mesurer que le vrai danger, ce sont les dérives causés par l'alcool et la jalousie. La brutalité d'un homme est finalement bien plus effrayante que les destructions d'un robot - d'ailleurs, quand Gloria comprend qu'elle peut commander au monstre (avant de comprendre qu'elle est ce monstre), la première chose qu'elle fait est de présenter ses excuses à la population effrayée alors que Oscar s'amuse à les terroriser comme il aime à le faire avec ses congénères.

Le film bénéficie d'interprètes exceptionnels : entourés d'excellents seconds rôles (Tim Blake Nelson - vu dans O'Brother des frères Coen - , Austin Stowell et Dave Stevens - le héros de la série Legion), Anne Hathaway et Jason Sudeikis sont prodigieux. Non seulement individuellement, ils incarnent parfaitement leurs personnages, mais leurs échanges - elle, sensationnelle en jeune femme dépassée par les événements (mais qui trouvera un moyen définitif de tout régler) et lui, épatant de sournoiserie - atteignent des sommets. La progression et la dégradation de leur relation servent de moteur à toute l'histoire et lui confèrent une intensité peu commune.

Colossal marie parfaitement l'étude psychologique au film de monstres à grand spectacle grâce à un angle judicieux et une narration fine et ample à la fois : impressionnant.

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