mercredi 5 septembre 2018

OPERATION BEYROUTH, de Brad Anderson


Encore un bon exemple de "film du milieu", soit un long métrage qui s'adresse à un public adulte sans être pour autant issu des productions indépendantes, avec un casting solide, un excellent scénariste et un metteur en scène habile. Opération Beyrouth de Brad Anderson se présente aussi comme un film de genre (l'espionnage, le récit politique et historique), mais sans doute encore davantage, finalement, comme un étonnant auto-portrait de son scénariste...

 1972 : Cal Riley et Mason Skiles (Mark Pellegrino et Jon Hamm)

1972. Le diplomate Mason Skiles habite avec sa femme Nadia et leur fils adoptif, Karim, d'origine palestinienne, à Beyrouth. Alors qu'il prépare une réception avec des Israéliens, Palestiniens, Américains, Arabes, Cal Riley, un de ses amis de la C.I.A., vient le prévenir que le Mossad veut arrêter Karim dont le frère aîné, Rami, terroriste lié aux attentats lors des Jeux Olympiques de Munich, est en cavale dans la région. Le commando de ce dernier commet un massacre parmi les invités pour enlever Karim. Nadia est au nombre des victimes. 

1982 : Mason Skiles

1982. Mason Skiles a quitté le Liban depuis dix ans et il s'est reconverti en médiateur entre patrons et syndicats en Nouvelle-Angleterre. Il est abordé par Sully, une ancienne connaissance de la CIA, qui lui remet une enveloppe avec un passeport, un billet d'avion et du cash car l'Agence veut lui confier une mission à Beyrouth. Bien qu'il se soit juré de ne jamais y retourner, il accepte pour échapper à son boulot et affronter ses démons.

Gary Ruzak et Sandy Crowder (Shea Wingham et Rosamund Pike)

Au Liban, Skiles est attendu par Sandy Crowder qui lui présente aussitôt plusieurs intermédiaires américains à l'origine de sa venue - l'ambassadeur Frank Whalen, et les membres de la CIA Gary Ruzak et Don Gaines. Il apprend que Cal Riley a été pris en otage et qu'il doit négocier sa libération. Les ravisseurs ont spécialement demandé à ce qu'il s'en occupe.

Karim (Idir Chender)

Skiles accompagne Gaines, Ruzak et Crowder au rendez-vous avec les preneurs d'otage à la tête desquels se trouve Karim. Celui-ci exige que son frère, Rami, lui soit rendu en échange de Riley. Ruzak pense qu'il est aux mains des Israéliens et avec Skiles il obtient un rendez-vous avec un officier du Mossad. Mason propose une forte somme d'argent pour récupérer Rami mais ses interlocuteurs jurent ne pas détenir Rami. De retour à Beyrouth, Skiles doit convaincre Alice, la femme de Riley, de rentrer en Grèce, le temps qu'il règle cette affaire.

Mason Skiles et Don Gaines (Jon Hamm et Dean Norris)

Le lendemain, Skiles donne une conférence (sa couverture pour justifier sa présence au Liban) lorsqu'un attentat à la voiture piégée l'interrompt. Dans la confusion qui suit, il est entraîné à l'extérieur par les acolytes de Karim qui l'emmène ensuite auprès de Riley pour lui prouver qu'il est toujours vivant. Riley fait comprendre à Skiles, de manière codée, que c'est l'O.L.P. qui a Rami et que Gaines et Ruzak ne sont pas dignes de confiance (car ils souhaitent qu'Israël attaque les Palestiniens au Liban). Karim menace de livrer Riley aux Iraniens si Skiles ne lui remet pas Rami dans les six prochaines heures.  

Sandy Crowder

Skiles, que la CIA recherche activement depuis l'attentat lors de sa conférence, se rend à l'ancien appartement des Riley dans Beyrouth à la recherche d'indices. Crowder l'y retrouve et confirme les dires de Riley : Gaines a détourné de l'argent à la CIA et Cal l'avait découvert. Il menaçait de le dénoncer avant d'être enlevé. Skiles révèle à Crowder qu'il pense que c'est l'OLP qui tient Rami et qu'il a besoin de fonds pour négocier avec eux.

Mason Skiles

Crowder dérobe quatre millions de dollars dans les caisses de Gaines puis va avec Skiles à un rendez-vous avec un officier de l'OLP pour acheter la libération de Rami. Puis c'est le moment de l'échange avec Karim. La transaction se déroule dans un climat tendu, de nuit, mais sans anicroches. Jusqu'à ce qu'un sniper du Mossad (en vérité le chauffeur de Skiles depuis son arrivée) n'abatte Rami.

Sandy Crowder, Mason Skiles et Frank Whalen (Rosamund Pike, Jon Hamm et Larry Pine)

Blessé à une épaule, Skiles observe Crowder et Riley et comprend qu'ils sont amants. Puis Frank Whalen leur apprend que Gaines et Ruzak ont quitté précipitamment Beyrouth. En 1983, Israël envahit le Liban et provoque l'embrasement de la région après dix ans de guerre civile, des attentats visent alors les américains dans la région.

Lorsqu'on regarde Opération Beyrouth, on assiste à un spectacle divertissant et complexe à la fois, mais écrit et réalisé avec le souci de rendre son intrigue la plus claire possible. L'effort est très louable car la situation remonte à 1972 puis 1982, avec dans l'intervalle la guerre civile qui ravagea le Liban. Pour ceux qui s'en rappellent, ces événements rappellent un conflit qui paraissait sans fin et incompréhensible en regard du nombre de belligérants et des intérêts.

Ce terreau était propice à un bon film de barbouzes, avec la CIA marchandant son influence sur place avec le Mossad Israélien, l'OLP Palestien, et la Syrie (déjà !). Le long métrage de Brad Anderson survole tout ça avec juste ce qu'il faut de précision pour que le spectateur sache qui est qui, sa position dans ce nid de vipères, et les dialogues fournissent une quantité d'informations conséquentes sans freiner le développement de l'histoire mais en veillant à ne jamais égarer personne. Une vraie prouesse.

Ce qu'on doit surtout retenir, c'est que tout le monde manipule tout le monde, tout le monde ment. Ainsi c'est moins le souci de récupérer Cal Riley qui compte pour la CIA que celui qu'il ne divulgue aucun des nombreux secrets qu'il connait (et qui pourrait profiter aux manoeuvres des autres forces en présence). Les Américains font appel à Mason Skiles sans illusion sur ses compétences - ils le savent alcoolique, jamais remis de la mort de sa femme, ayant rompu depuis dix ans avec Riley - mais parce que les preneurs d'otage ont demandé à ne parler qu'à lui. Il est donc toléré mais pas plus.

Conscient de cela, Skiles doit donc négocier une transaction comme il le fait à présent en Amérique entre syndicats et patronat, sauf que cette fois il doit se surpasser, marchant sur un fil tendu au-dessus d'une poudrière. Le film privilégie le personnage un peu au détriment des autres, moins bien définis, même si le mystère qui les entoure résume bien leurs magouilles, et aboutit à une révélation, plus suggérée qu'affirmée, relative à la liaison entre Crowder et Riley à la fin.

Les interprètes sont tous impeccables, à commencer par Jon Hamm, qui, tant bien que mal comme son rôle, se détache de son personnage de Don Draper dans la série Mad Men qui l'a révélé ; et Rosamund Pike, superbe d'ambiguïté, elle aussi en pleine reconstruction après avoir été la muse de David Fincher dans Gone Girl.

Mais, après avoir vu le film, on peut aussi le lire comme un objet plus étonnant et captivant. Car Opération Beyrouth, sans diminuer les qualités de Brad Anderson (dont la réalisation est efficace), est d'abord l'eouvre de Tony Gilroy, son scénariste. Auteur réputé et script-doctor très sollicité, il s'est fait une spécialité des adaptations impossibles, comme celle de la saga "Jason Bourne" d'après Robert Ludlum. Passé à la mise en scène par frustration, Gilroy, qui collabore souvent avec George Clooney (pour Michael Clayton notamment, le portrait d'un fixer comme Skiles), est à l'image de ses héros un homme de l'ombre, méconnu mais redoutablement compétent.

C'est aussi un scribe qui brille dans le portrait de héros équivoques, évoluant dans des milieux troubles. Son film qui résume le mieux cela reste la comédie d'espionnage Duplicity (avec Julia Roberts et Clive Owen), dont le titre est comme un programme et une formule, construit à la manière d'un puzzle dont le motif déjoue les attentes du spectateur. Gilroy pourrait donc facilement dire : "Mason Skiles, c'est moi !"

Avec cette dimension supplémentaire, Opération Beyrouth acquiert une épaisseur jubilatoire qui lui permet d'être un film divertissant mais profond, plus personnel qu'il n'en a l'air.

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