dimanche 5 août 2018

MISTER MIRACLE #10, de Tom King et Mitch Gerads


Plus la fin de la série Mister Miracle approche, plus son scénariste, Tom King, semble prendre un malin plaisir à renvoyer son héros dans les cordes, à le pousser au bord de l'abîme, à le re-plonger dans le désespoir où il était au tout début de l'histoire. Avec Mitch Gerads, le récit interroge chacun de nous sur un choix impossible : pour sauver des millions de vies, faut-il en sacrifier une ?


Mister Miracle et Big Barda rentrent à leur appartement sur Terre après avoir pris connaissance des conditions posées par Darkseid pour que cesse la guerre entre Apokolips et New Genesis : ils doivent lui céder la garde de leur fils, Jacob. Scott Free, acccablé, va se soûler en compagnie de Ted Kord/Blue Beetle et Michael Carter/Booster Gold - à qui il demande s'il pourrait lui faire remonter le temps pour éviter tout cela.


Barda, elle, refuse d'envisager l'issue offerte par Darkseid et fuit toute discussion avec Scott au sujet de la guerre. Il leur faut préparer le premier anniversaire de Jacob et elle envoie Scott commander un gâteau avec l'effigie de Batman, le héros préféré de l'enfant (mais pas de son père).


Scott profite de toutes les occasions qui se présentent pour l'aider à se décider : il questionne le pâtissier puis le vendeur du cadeau pour Jacob sur son dilemme. Les oracles de New Genesis prédisent, compte tenu des forces en présence, que si Darkseid n'obtient pas satisfaction, tout le monde mourra dans d'atroces souffrances.
  

Scott et Barda sortent Jacob au parc et, lorsqu'il lui fait part de ses tourments, elle s'emporte, lui reprochant de la laisser toujours seule assumer ses difficultés et la charge de leur famille. Elle ne peut jamais, comme lui, s'échapper. Funky Flashman lui raconte une histoire imaginée pour Jacob qui lui donne une nouvelle perspective sur ce qui l'attend.


C'est ainsi qu'il fait part de sa stratégie à Barda : Scott va remettre Jacob à Darkseid pour mieux l'approcher et tenter de le tuer. Elle croit à ce plan et l'accompagnera.


Chaque épisode offre aux fans de la série deux superbes couvertures, l'une dessinée par Nick Derington, l'autre par Mitch Gerads. L'exercice est intéressant puisqu'il implique un artiste n'intervenant que pour une image tandis que l'autre illustre également les pages intérieures. Il faut aussi veiller à ce que les deux hommes ne produisent pas des couvertures trop semblables.

Le style de Derington et celui de Gerads n'ont rien de commun : le premier est un classique, qui dessine encore au crayon, l'autre utilise la tablette graphique. Derington a un trait simple, sobre, presque naïf. Gerads est résolument plus moderne, adepte d'un réalisme dont les couleurs vives restent tout de même austères.

J'ignore s'ils se concertent avant de rendre leur copie mais c'est comme si leurs couvertures se répondaient, offraient les deux faces d'une même pièce. Ce mois-ci, pour le dixième épisode de Mister Miracle, Derington a choisi un portrait en négatif de Darkseid, le tyran d'Apokalips qu'on n'a encore pas vu dans la série mais dont la présence hante tout le récit, et cette représentation est saisissante, exprimant la force tranquille et menaçante de ce chef de guerre surpuissant, dont les yeux rougeoient du rayon qu'ils peuvent projeter à la manière d'une tête chercheuse, avec son épiderme rocailleux et son casque. Il nous regarde et nous impressionne autant que les personnages de la série. "Darkseid is."

Gerads, lui, a préféré montrer Mister Miracle lui-même dans une situation a priori incongrue ; dans le cadre d'une fête d'anniversaire, celle de son fils Jacob, devant un gâteau, il tient un ballon de baudruche. Mais la joie qui émane des couleurs bariolées est contredite par l'attitude du personnage qui cache son visage, pourtant déjà masqué, dans ses mains, en train de pleurer. Quelle est la cause de ce chagrin poignant ? La réponse est donnée par la couverture de Derington : Darkseid.

Darkseid a posé une condition pour cesser la guerre qui oppose son monde, Apokolips, à celui de Mister Miracle, New Genesis : il veut avoir la garde du fils de ce dernier, Jacob, et l'élever selon ses principes, comme Mister Miracle a grandi sur sa planète. Un prix exorbitant et cruel : sacrifier son fils pour stopper un conflit. (Dans la saison 3 de The Leftovers, les Dr Bekker et Eden demandaient à Nora Durst si elle serait prête à condamner à mort un bébé si cela garantissait un remède contre le cancer. Elle répondait que, tout bien pesé, des enfants naissaient chaque jour, alors un de moins ne lui paraissait pas trop cher payé si cela sauvait des millions de malades. Mais les docteurs rejetaient cette réponse et refusaient d'intégrer Nora à leur programme qui lui aurait permis de retrouver ses enfants disparus.)

Tom King confronte les lecteurs, parents ou pas, à cette décision. Si ce problème nous dérange, c'est parce que nul ne peut y répondre spontanément. Encore moins quand on sait que l'enfant sera livré à un monstre, le mal absolu incarné.

L'épisode explore les réactions successives de Scott Free et Barda. Lui se soûle d'abord avec deux amis - Blue Beetle et Booster Gold. C'est la première fois que d'autres super-héros apparaissent dans la série et ils ne sont pas n'importe qui puisque ce sont, comme Mister Miracle, d'anciens membre de la Justice League International, mais aussi parce que Ted Kord est un simple humain sans pouvoirs alors que Booster Gold vient du futur et peut se déplacer dans le temps - ainsi Scott lui demande s'il serait possible qu'il remonte le temps pour empêcher la situation dans laquelle il se trouve de se produire.

Ensuite, Scott tente de réfléchir avec Barda mais elle refuse de parler de la guerre et de cette possibilité de l'arrêter. Elle se réfugie dans la préparation de la fête d'anniversaire de leur fils. Scott accomplit quelques services dans ce but - acheter un gâteau, un cadeau - et interroge les vendeurs comme les oracles de New Genesis pour trouver une solution. A chaque fois, c'est une impasse : ici on lui assure que c'est un moindre mal que de perdre son fils si cela sauve des millions d'innocents, là on lui prédit que Darkseid détruira tout s'il n'obtient pas satisfaction.

Quand, enfin, il obtient de Barda un échange à ce propos, elle pointe avec emportement (alors qu'elle est d'habitude plus mesurée) le fait qu'elle doit assumer toutes les difficultés existentielles de son compagnon et les tâches quotidiennes de leur famille. Contrairement à Scott qui est littéralement le "roi de l'évasion" lorsqu'il se donne en spectacle, elle, ne peut jamais s'enfuir, se défiler.

King opère alors avec Gerads une sorte d'épisode dans l'épisode, complètement fou sur le plan formel et narratif. Via le personnage de "Funky" Flashman (parodie de Stan Lee, le partenaire de Jack Kirby chez Marvel avec qui il se brouilla, ce qui entraîna son départ chez DC et la création - entre autres - de Mister Miracle), on apprend avec Scott une fable imaginé pour (et avec Jacob) qui s'inspire ouvertement de Galactus et le Surfeur d'Argent (des créations de Kirby chez Marvel pour la série Fantastic Four) où la Terre est menacée par un dévoreur de mondes mais dont le héraut est un chien qui se lie d'amitié avec un garçon. Le garçon prévient Batman du danger et résout le problème.

Cette scène est dessinée comme si un enfant l'avait illustrée et Gerads accomplit un travail de stylisation confondant, parvenant à rendre son trait aussi naïf que celui d'un gosse sans aucune ironie. Et cela, en continuant de découper la scène avec ce "gaufrier" de neuf cases immuable dans la série !

Cet aparté improbable fonctionne merveilleusement en cela qu'on est surpris et éclairé sur la solution que trouve enfin Scott et dont il fait part à Barda. Son plan est aussi simple et incertain que celui dispensé dans le conte pour enfants de "Funky" Flashman mais aussi direct et efficace s'il réussit. Surtout il apparaît comme le seul acceptable : feindre de donner à Darkseid ce qu'il exige tout en permettant aux héros un acte héroïque et désespéré qui prouvera qu'ils ont tout fait pour gagner.

Ayant épuisé tous les possibles, c'est en s'évadant une fois encore dans la fiction la plus fantaisiste que la série oriente le lecteur et ses protagonistes. Avec deux épisodes à suivre avant son terme, il se peut bien effectivement, comme le promet la dernière page, alors que Barda et Scott font l'amour, réconciliés, exaltés par leur stratégie insensée, que ce qui nous (et les) attend soit "le plus grand show jamais donné".  

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