mercredi 13 juin 2018

DEATH OR GLORY #2, de Rick Remender et Bengal


Le premier épisode de Death or Glory avait été une des très bonnes surprises du mois dernier en provenance d'Image Comics. Avec un début aussi constant (40 pages d'un coup) et enlevé, se présentait un sacré défi pour Rick Remender et Bengal : faire aussi bien tout en développant leur intrigue. Pari à moitié relevé...

Glory Owens a découvert que le camion qu'elle avait volé pour fuir était rempli d'immigrés clandestins et non de drogue comme elle le soupçonnait. Elle paie à ces malheureux un ticket de bus chacun pour Phoenix mais se retrouve toujours sans le sou pour les soins de son père et souffre de quelques blessures. Seul reste avec elle un des passagers, Pablo, brésilien à la recherche de sa soeur, de sa nièce et de son beau-frère.

Il la soigne puis elle vole la voiture d'un homme à une station-service pour filer avec son nouvel acolyte. Pendant ce temps, Toby, l'ex-mari de Glory, tente de calmer Korean Joe à propos de la livraison de clandestins qu'il lui avait promis contre de la drogue tout en ignorant que le deal a été gâché par Glory.

Korean Joe menace Toby de représailles par son cartel si l'affaire n'est pas rapidement réglée et ce dernier en informe aussitôt après les deux flics qu'il soudoie. Les deux policiers savent, eux, que Glory est le problème mais également que Toby ne voudra jamais la sacrifier car il espère la reconquérir. Aussi décident-ils de la retrouver et de la liquider pour s'éviter d'être tués par le cartel.


Pour retrouver ses proches, Pablo convainc Glory de l'aider car elle pourrait alors voler soit ceux qui les vendent, soit ceux qui les achètent. Pour remonter leur piste, il a subtilisé sur le camion qui les transportait le GPS.


Mais de nouveaux acteurs mécontents de la tournure des événements sont sur le pied de guerre en la personne des vendeurs d'immigrés dont le chef a récupéré un téléphone - celui de Glory - qui va lui permettre de mettre la main sur qui a fait capoter l'opération. Ignorant tout cela, Glory et Pablo découvrent à qui était destiné les clandestins : une boucherie, "Chop Joe", appartenant à Korean Joe, qui sert à ses clients de la chair humaine à leur insu !

Dissipons tout de suite tout malentendu : la lecture de ce deuxième épisode reste très agréable et la complicité entre l'écriture nerveuse de Rick Remender et le dessin expressif de Bengal est jubilatoire, mais ça ne suffit pas à égaler le plaisir pris sur le précédent numéro. Expliquons ça.

Death or Glory nous a tout de suite beaucoup donné : une pagination double, beaucoup d'action, des péripéties en pagaille, des personnages mémorables. Bref, un démarrage canon. On pouvait presque prédire qu'on allait être déçu après ça, et c'est ce qui se passe ici : l'héroïne est moins présente, les rebondissements sont encore spectaculaires mais moins nombreux, le rythme moins effréné. Et le scénario s'égare dans quelques facilités ou excentricités curieuses.

Remender est parti sur une base simple mais qui avait le grand mérite d'être immédiatement séduisant, avec une narration très directe, mouvementée. Il lui fallait ensuite se poser un peu pour éclaircir certains points et cela impose au récit un tempo moins alerte, une relation plus morcelée. On passe de Glory à Toby à Korean Joe en passant par de curieux mexicains masqués comme des catcheurs (dont on devine plus le rôle qu'on en est certain : j'ai écrit dans mon résumé qui je pensais qu'ils étaient mais peut-être me suis-je trompé. A vérifier le mois prochain).

Le scénariste réussit très bien certaines scènes et nous perd avec d'autres. Dans le premier cas de figure, l'alliance entre le clandestin brésilien Pablo et Glory est fructueuse car cela permet à l'héroïne d'interagir avec quelqu'un (et pour le lecteur de ne pas avoir un dialogue intérieur avec la voix-off de la jeune femme). Qui plus est, Pablo est un personnage pour qui on éprouve une sympathie immédiate car il est attachant, sa quête est juste et sa débrouillardise savoureuse. Dans le second cas, on a donc des personnages surgis de nulle part, tardivement, dont on ne sait trop qui ils sont (les fameux mexicains masqués) et, auparavant, une scène vraiment improbable, qui va diviser les lecteurs, entre les deux flics corrompus à la botte de Toby, au terme de laquelle vous ne verrez plus jamais de la même manière un piment rouge - un moment d'une gratuité absolue, qui veut bêtement choquer mais qui navre surtout.

Au centre de l'épisode, on découvre ce que fait Korean Joe des immigrés et Remender met en scène une scène terrible, renvoyant à ce qu'il faisait déjà dans des comics mainstream et pour lesquels j'ai toujours été partagé. Néanmoins le découpage de Bengal est assez malin pour nous épargner l'horreur réelle de ce qui se passe et quand on apprend l'issue finale de tout ça dans les deux dernières pages, cela relève d'un humour macabre digne de L'Auberge rouge (Claude Autant-Lara, 1951) que de l'anticipation épouvantable de Soleil vert (Richard Flesicher, 1973).

Bengal sauve vraiment les meubles et évite bien des reproches à Remender pour l'occasion car le dessinateur réussit à animer le récit avec des images très expressifs. L'influence manga de son style se fait plus prononcé parfois sans hérisser ceux qui (comme moi) n'en sont pas friands. Le découpage est très habile, alternant entre des cases occupant la largeur entière de la bande ou des "gaufriers" de six vignettes. Tout est fait pour que les dialogues, plus fournis, soient le plus vifs possibles et que les émotions des personnages soient intenses, quitte à frôler la grimace.

Et l'artiste use d'une palette de couleurs douces qui atténuent la violence figurée ou suggérée du numéro : c'est l'avantage d'avoir un seul individu qui assure le dessin, l'encrage et la colorisation, il maîtrise tout le graphisme et peut donc souligner ici, alléger là, ce qui, dans un script, est sans doute trop prononcé.

Après un n°1 pétaradant, ce n°2 est donc indubitablement moins abouti, mais il serait injuste d'en rester là. Au contraire, c'est maintenant que tout se joue pour Remender et Bengal : s'ils savent rebondir et produire un bon mix de ces deux chapitres, Death or Glory retombera naturellement sur ses pattes et nous emballera à nouveau. Une affaire de dosage en somme.    

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