jeudi 26 avril 2018

THE TERRIFICS #3, de Jeff Lemire et Joe Bennett


Autant le dire d'entrée, ce troisième épisode de The Terrifics laisse un goût amer, un sentiment de bâclage, qui risque bien de poser des problèmes pour l'avenir de la série -et de ligne The New Age of Heroes, dont le principe repose quand même sur la mise en avant de ses dessinateurs. Un principe attractif quand on observe les prestigieux noms qui y sont attachés pour les premiers numéros de chaque titre mais qui, très vite, en vérité, sente l'arnaque... Mais tous les torts ne sont pas que de ce côté.


Mr. Terrific annonce à Plastic Man, Metamorpho et Phantom Girl qu'à suite de leur séjour dans le Dark Multiverse ils sont désormais dans l'impossibilité de se séparer à plus d'un mile les uns des autres. Sinon cela leur causerait à chacun des dommages et mettrait en danger leurs proches.


Sapphire Stagg convainc son père de prêter son laboratoire (qui contient le matériel qu'il a acheté à Michael Holt) à Mr. Terrific pour qu'il tente de remédier à ce problème. Puis la jeune femme s'isole ensuite avec Metamorpho qui espère, une fois redevenu autonome, qu'elle partira avec lui. Mais elle s'y refuse car son père, s'il n'est pas sans défaut, est sa seule famille. 


Phantom Lady interrompt Mr. Terrific dans ses cogitations pour lui demander s'il pourrait envoyer un message à sa planète natale afin de rassurer ses semblables sur son sort. Il lui promet d'en parler à Green Lantern mais pour l'heure d'autres soucis l'accablent. Comme ce roulis retentissant à l'extérieur...


Dehors, Plastic Man et Metamorpho voient débouler sur eux une roue géante et lourdement armée. Grâce aux instructions de Mr. Terrific, le groupe réussit stopper cet engin qui est une invention de Stagg destinée à l'armée.



Tout le monde souhaite faire une pause après cela, sauf Mr. Terrific impatient de retrouver le calme de son labo. Il y visionne à nouveau le message enregistré par Tom Strong en se jurant de résoudre cette énigme dont il pressent la menace bien réelle.

Parlons d'abord du contenu de cet épisode, qui clôt (déjà !) le premier arc narratif, avant de pointer ce qui ne va, plus globalement avec la série et le concept de la collection à laquelle elle appartient.

Jeff Lemire ne force pas son talent, c'est le moins qu'on puisse dire avec ces vingt pages qui sentent le remplissage tant elles ne font pas progresser le schmilblick. Tout juste appréciera-t-on le dialogue entre Metamorpho et Sapphire Stagg qui montre que leur relation n'est pas si paisible que cela : elle y défend son père, malgré ses actes répréhensibles, et refuse de choisir entre lui et Rex Mason quand celui-ci exprime son envie qu'ils aillent vivre ailleurs. C'est, réellement, le seul point intéressant de ce chapitre.

(On pourrait aussi évoquer le teaser en plein milieu de l'épisode où on voit Metamorpho visiblement frappé de folie et s'attaquer à des civils, tandis que le narrateur nous prévient que ceci sera expliqué plus tard. C'est inattendu et accrocheur, mais tout de même curieux : un peu comme une page de pub au milieu d'un film pour nous prévenir de ce qui se passera dans la suite du long métrage...)

Pour le reste, et c'est vraiment le plus surprenant après deux premiers numéros trépidants, de la part d'un des scénaristes les plus épatants actuellement, on se demande bien ce qui justifie ce qu'on nous donne à lire. Tout tombe comme un cheveu dans la soupe, depuis la fameuse roue infernale sortie de nulle part (mais qui a droit à la couverture), prétexte incongru pour vérifier la complémentarité des membres de l'équipe (toujours pas officiellement baptisée), jusqu'à la caractérisation de certains protagonistes (les facéties hystériques de Plastic Man qui paraissent trop forcées, la rigidité austère au possible de Mr. Terrific certes préoccupé par la situation mais qui paraît elle aussi trop appuyée). Le subplot en relation avec Tom Strong et son message est relégué à la dernière page, sans là non plus avoir eu droit à la moindre progression (alors que le héros a prévenu d'un danger mortel pour l'univers...).

Ce n'est donc pas fameux.

Mais il y a pire, et c'est ce qui finit de gâcher le plaisir.

The Terrifics appartient à une collection appelée The New Age of Heroes par laquelle DC Comics, à la suite de la saga Dark Nights : Metal (de Scott Snyder et Greg Capullo), a voulu miser sur des séries originales ou reprenant des héros négligés/oubliés. Pour attirer le lecteur, l'éditeur a mis en avant des artistes vendeurs comme Jim Lee (infoutu de réaliser un épisode entier de Immortal Men...), Ryan Sook (qui ne fera que le premier n° de The Unexpected), Philip Tan (un tâcheron), Kenneth Rocafort (une nullité), John Romita Jr. (qui a expédié ses trois épisodes de The Silencer avant de partir rejoindre Millar pour Kick-Ass) et donc Ivan Reis.

Le contrat indiquait que ces stars du dessin devaient signer les trois premiers épisodes avant d'être remplacés par des noms moins ronflants mais prometteurs. Reis devait ainsi passer le flambeau à Evan Shaner (impliqué dans The Terrifics dès le début puisqu'il a redesigné les personnages, même si on n'a pas encore vu leurs nouveaux costumes - en fait il semble que Shaner ne fera que les #4 et 5, Dale Eaglesham le #7, et après... Surprise !).

Je me garde du mieux que je peux dans mes critiques d'accabler les artistes quand ils sont fâchés avec le rythme mensuel des comics tant qu'ils livrent des planches de qualité. Par ailleurs, le lecteur est aussi responsable car on n'exige pas aujourd'hui d'une BD les mêmes qualités que dans les années 60-70 : avec les progrès techniques à la disposition des graphistes, il est devenu plus simple de travailler, mais ça ne garantit pas que tout le monde ait l'énergie et l'inspiration pour abattre vingt pages par mois (a fortiori quand on se passe d'encreur). Il faut toujours garder à l'esprit le côté usinier des comics et rester indulgent.

Mais être indulgent ne signifie pas tout laisser passer et quand on se lance dans la carrière de dessinateur de comics, on sait aussi la charge de travail que cela implique, on ne peut pas faire comme si on la découvrait et penser qu'on va s'établir en ne tenant pas les délais ou en bâclant son ouvrage. A moins de travailler dans des conditions spéciales où son editor vous couvre, que votre série ne dépend d'un calendrier strict, et de livrer un travail exceptionnel finalement, peu d'artistes peuvent réclamer de leur patron et du public cette indulgence.

Ivan Reis est un professionnel, au talent et aux capacités reconnus. Mais il faut reconnaître qu'il n'est plus depuis Blackest Night cet artiste capable de produire huit épisodes de trente pages d'une qualité égale. Pour Aquaman, il a fait encore le boulot (n'étant supplée que pour un épisode sur les douze de son run) pour un résultat irréprochable. Mais sa prestation sur Justice League (version "New 52") ou récemment sur Justice League of America (version "Rebirth") a montré un dessinateur à bout de souffle après deux épisodes d'affilée, car DC lui a commandé en parallèle des couvertures pour d'autres titres (Nightwing et des variants). 

Un des maux des comics actuels est la pénurie d'artistes capables d'enchaîner les épisodes mensuels, ce qui demande rigueur et tonus. Quand un artiste officie sur un titre avec un casting fourni, la donne se complique car l'effort est plus grand. La solution est de les affecter sur une série avec peu de personnages, voire avec un héros seul.

Mais, même ça, apparemment, Reis (comme d'autres) n'y arrivent plus. Après avoir difficilement produit une quinzaine de pages du #2 de The Terrifics, il n'en assure aucune pour ce #3, ses fans doivent se contenter de la couverture (par ailleurs quelconque). Il a donc été complètement remplacé par Joe Bennett, un de ces seconds couteaux qui grossissent les effectifs des gros éditeurs, des dessinateurs moyens ou franchement mauvais mais capables d'être présents au pied levé. La comparaison est quand même cruelle car Bennett n'a pas le trait expressif et souple, cette maîtrise technique, si séduisante de Reis (même quand ce dernier est fatigué). Du coup, on lit vingt pages passables, parfois médiocres, ou laides, en tout cas sans rien qui charme.

Et par conséquent on a cette impression d'avoir été abusé, trompé sur la marchandise : DC nous promettait trois épisodes de Reis (on n'en aura eu qu'un et demi), trois de Shaner (on n'en aura que deux). Ajoutez-y tous les manquements précités sur les autres titres de "The New Age of Heroes" et vous comprendrez que c'est bien beau de vouloir vendre des séries en les faisant démarrer par des stars... Mais si ces stars sont incapables d'assurer le job, la promesse vire à l'arnaque.

Le scénario n'étant pas non plus, pour l'occasion, à la hauteur, la déception le dispute à la colère. C'est dommage pour cette série sympathique et prometteuse, que je ne condamne pas (même si la suite a intérêt à relever le niveau pour qu'on n'ait plus à subir pareille déconvenue), mais c'est aussi limite de la part de DC, qui a sûrement péché par orgueil dans cette entreprise.  

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