dimanche 8 avril 2018

ISOLA #1, de Brendan Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk


Dans le flot torrentiel des comics, il faut avoir de la foi, chez les auteurs, et de la curiosité, chez les lecteurs, pour les nouveaux titres. Pour se faire un avis, les éditeurs proposent donc des previews, quelques pages pour mettre l'eau à la bouche et pousser à l'achat. En dehors de "Big Two" (Marvel et DC) qui occupent la majorité du marché avec les super-héros, Image Comics est le fer de lance de la BD US alternative en explorant d'autres genres. Dernière potentielle pépite récente : Isola, un projet mûri depuis dix ans par Brenden Fletcher et Karl Kerschl, pour laquelle j'ai eu un coup de coeur.


La reine de Maar, Olwyn, a été transformée en tigresse suite à un sortilège. Son domaine déjà en proie à une crise politique, elle a été obligée de fuir. La capitaine de la garde royale, Rook, décide de l'escorter.


Leur destination : Isola, une cité dont même Olwyn doute de l'existence mais que Rook décrit comme un havre de paix, un refuge. Après avoir atteint Kasing, elles marchent encore quatre jours puis dorment dans une forêt. 


Soudain, un sifflement alerte Rook et elle remarque un renard bleu qu'elle suit jusqu'à un cour d'eau où elle découvre le cadavre d'Olwyn, criblée de flèches. Mais après avoir juré qu'elle vengerait sa reine, la capitaine s'aperçoit qu'il s'agissait d'une hallucination.


Le lendemain, Olwyn et Rook reprennent la route lorsqu'une meute d'animaux paniqués manquent de les piétiner, les obligeant à se réfugier en hauteur. De là, Rook, avec une longue vue, repère des chasseurs et explique à la reine que continuer à évoluer dans cette vallée serait trop dangereux, mais la tigresse n'en a cure.
  

A la nuit tombée, un vieillard à l'air louche aborde le campement établi par Rook et s'agenouille devant Olwyn, qu'il reconnaît comme la reine de Maar. La capitaine reste méfiante et le menace avec son arc. Lorsqu'il se fait plus intrigant, elle le blesse avec une flèche, attirant deux complices. 


Rook tue l'un d'eux, et l'autre s'enfuit. Mais, en se retournant, il voit, étonné, la capitaine, un genou à terre devant la tigresse, en train de lui parler comme à une personne de haut rang...

Brenden Fletcher et Karl Kerschl nous précipitent dans cette histoire sans préambule. Nous ne savons pas où nous sommes, ni en quelle époque. L'étrangeté de la situation est soulignée par le graphisme de Karl Kerschl accompagné des couleurs de Msassyk qui montre un tigre bleu. Le plus sensé est de croire que l'action se déroule dans un territoire imaginaire, mais pour le reste...

Il faut donc se plonger dans cette lecture en acceptant le peu d'informations que les auteurs mettent à notre disposition. Cela pousse le lecteur à être actif, à écrire l'histoire en attendant d'en savoir plus, à combler les béances. C'est un parti pris risqué mais, qui si on y adhère, est merveilleusement payant.

Cette jeune femme qui escorte ce tigre fuit quelque chose, dont on devine au détour d'une image qu'il s'agit d'une crise, d'une guerre. Puis il est suggéré, subtilement, que le tigre est une tigresse, prénommé Olwyn, dont ce n'est pas la condition normale et qui est en vérité issue de la royauté puisque Rook, l'héroïne, l'appelle "majesté". Tout s'opère ainsi, par déduction et observation, ce qui nécessite une certaine attention.

Mais, en vérité, ce ne sont pas de grands efforts car les planches défilent, sublimes. Elle sont produites par Karl Kerschl, qui, ces dernières années, était accaparé par la série Gotham Academy, durant les "New 52" de DC. Son trait fin, le soin apporté aux designs, la luxuriance des décors, le réalisme poétique des animaux, alliés aux couleurs fantastiquement belles de Msassyk, sont un enchantement permanent, quasi hypnotique. On est véritablement ébloui par l'esthétisme de ce comic-book.

Un beau livre conquiert le regard mais ne suffit pas à combler le lecteur. Le scénario de Fletcher et Kerschl prouve que l'auteur a conçu un récit palpitant bien que minimaliste, avec seulement deux protagonistes. Chaque rebondissement est à la fois un événement miniature et intense, avec une touche d'étrangeté menaçante. Ici, une hallucination macabre ; là, une ruade d'animaux paniqués ; la présence de chasseurs, le cadavre d'une créature géante (un dragon ?), un vieillard bizarre avec des gredins en embuscade. A chaque fois, au moment où l'on s'y attend le moins, un danger apparaît et complique le périple de Rook et la reine Olwyn.

Image Comics compare ce projet dans sa promo aux productions du studio Ghibli et les dessins animés de Hayao Miyazaki. Pourtant, même si vous goûtez peu à ces films d'animation (comme moi), vous ne serez pas gêné par ce rapprochement. Isola a une identité narrative et visuelle bien à elle, c'est une série forte, envoûtante, prenante, dépaysante. Un nouveau rendez-vous à cocher sur l'agenda des sorties.  

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