dimanche 1 avril 2018

DOCTOR STAR AND THE KINGDOM OF LAST TOMORROWS #1, de Jeff Lemire et Max Fiumara


"From the pages of Black Hammer" lit-on sur le bandeau en haut de la couverture car Doctor Star and the Kingdom of Last Tomorrows est un spin-off de la série Black Hammer. Considérant la richesse de l'univers mis en place dans sa série principale, Jeff Lemire, à la manière de Mike Mignola avec Hellboy et ses titres dérivés (B.P.R.D., Abe Sapien...), avait la matière pour en exploiter les à-côtés. Et, comme il est inspiré et bien entouré, ici avec le dessinateur Max Fiumara (familier du "Mignola-verse"...), il a eu bien raison de ne pas se priver car c'est une nouvelle merveille qu'il nous offre.


De nos jours, Jim Robinson revient à Spiral City et retrouve son observatoire à l'abandon. Il se rappelle, dans ce décor décati, d'autrefois en s'adressant par la pensée à un certain Charlie... En 1941, ce scientifique, sommité de l'astrophysique, est abordé par les services secrets qui veulent financer ses recherches concernant la découverte de la Para-Zone dont l'énergie pourrait servir à alimenter une arme capable de remporter le seconde guerre mondiale.


Cette manne, garantit Jim à sa femme Joan avec qui il vient d'avoir un fils, allait leur permettre d'être à l'abri du besoin. Mais, pour cela, Robinson négligea son couple et se dédia entièrement à ses travaux, mettant au point un équipement révolutionnaire capable de capter l'énergie de la Para-Zone et de la projeter au moyen d'une lance. 


Ainsi devint-il lui-même l'arme que lui avait commandé l'armée sous le pseudonyme du justicier Doctor Star. Grisé par ce pouvoir et ce statut, Jim Robinson ne mesura pas qu'il venait de franchir un point de non-retour.


Alors que d'autres justiciers masqués - Abraham Slam, Golden Gail, Wingman, Captain Night, Doctor Day, the Horseless Rider - s'interrogeaient sur leur devoir d'aller combattre en Europe, le Doctor Star les convainquit de franchir l'Atlantique.


Les exploits de leur groupe, appelé le Liberty Squadron, firent basculer la guerre en faveur des Alliés et firent d'eux des héros... Mais aujourd'hui, le vieux Jim, cherchant son chemin vers le service d'oncologie d'un hôpital, se rend au chevet d'un patient spécial : son propre fils agonisant, le nommé Charlie.

Le Doctor Star est apparu dans le premier tome de Black Hammer quand Lucy Weber sollicita son aide pour découvrir où avaient disparu son père et tous ses amis héros. Ce figurant aurait pu le rester, mais en rappelant à la jeune femme qu'il était aussi appelé Dr. Star, Jeff Lemire suggérait qu'il était lui-même un de ces justiciers en relation avec ceux que cherchait sa visiteuse.

Deux autres indices donnaient envie d'en savoir plus : physiquement, le personnage ressemblait au  scénariste James Robinson (co-créateur de Starman), et d'ailleurs, le Dr. Star s'appelait... Jim Robinson. Dans ce comic-book très référentiel qu'est Black Hammer, c'était un hommage direct de Lemire à un confrère, connu pour être un des plus fins connaisseurs de la bande dessinée super-héroïque américaine.

En franchissant le cap qui consiste à faire un clin d'oeil à un collègue puis à développer un titre dérivé qui est entièrement consacré à son double de fiction, Lemire s'inscrit à la fois dans la lignée de Robinson tout en enrichissant la mythologie de leurs propres oeuvres. En somme, le rêve des auteurs de comics n'est-il pas de se projeter dans leurs créatures, de faire de leurs héros leur alter ego fantasmé ? Ecrire un personnage de fiction, n'est-ce pas écrire d'une certaine façon écrire sa propre vie en plus extravagante, plus épique ?

Mais Lemire est un auteur qui n'est pas un simple mémorialiste : rendre hommage, adresser des références, réinventer des figures connues (de la fiction ou de la réalité), ne saurait lui suffire. Il aime par-dessus tout les êtres cabossés, déphasés, pas à leur place, s'interrogeant sur leur propre identité, entre résignation et reconquête. Toute l'équipe de Black Hammer en témoigne, comme les personnages dont il s'empare sans qu'ils lui appartiennent chez Marvel ou DC. Et Jim Robinson ne fait pas exception.

Nous faisons, dans ce premier épisode, connaissance avec un vieil homme, usé, rongé par les regrets, qui narre à la première personne du singulier sa propre histoire, dont il constate qu'elle lui a échappé, trop enivré par le pouvoir et la gloire. C'était un chercheur brillant, un agent du gouvernement, un super-héros, mais aussi un mari absent, un père négligeant. La dernière page révèle qu'il paie très cher cette existence glorieuse mais ingrate. Et, là, une émotion poignante vous prend à la gorge...

Max Fiumara illustre cette série avec une justesse saisissante. Collaborateur régulier de son frère Sebastian, c'est un artiste au trait sensible mais qui sait se faire fouillé, fourni, tout en s'évertuant à rester toujours lisible. Son goût pour l'image évocatrice produit des pages d'un réalisme formidable dans les décors notamment.

Mais il est également brillant pour animer les personnages : son style n'est pas hyper-réaliste mais il respecte la ressemblance du héros avec son modèle, et lui donne une expressivité remarquable. La gestuelle de Robinson est éloquente, on sent sa fébrilité, son enivrement, et plus vieux, le poids des ans, celui des regrets. Tout cela aboutit à une puissante mélancolie, comme peu de comics en produisent. Ce "Royaume des lendemains perdus" mentionné dans le titre de la série semble indiquer moins la fin de la carrière d'un super-héros populaire que l'échec de l'homme derrière le masque à avoir pris soin des siens autant que des innocents sauvés en tant que justicier.

J'ai un peu hésité avant de me lancer dans cette lecture, parce que je craignais de n'être pas aussi conquis qu'avec Black Hammer, mais Doctor Star est une merveille, encore une de la part de Jeff Lemire, un des auteurs les plus recommandables aujourd'hui. Je n'aurai pas à attendre longtemps pour lire la suite puisque le prochain épisode sort Mercredi 4 Avril : cochez, vous aussi, cette date, vous ne regretterez pas cette nouvelle incursion dans cet univers passionnant.

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