vendredi 6 avril 2018

BERGER BOOKS


Causons d'une très grande dame des comics, qui n'est ni scénariste, ni dessinatrice, mais, une fois n'est pas coutume, éditrice. Et quand je dis "grande dame", je pèse mes mots : il s'agit de Karen Berger.

Qui ça ? se demanderont peut-être certains, qui n'ont pas la curiosité de lire tous les crédits des comics (lecture, il est vrai, négligée car on n'achète pas des BD pour cela).

"Comics need Karen Berger."  C'est ainsi que J. H. Williams III (Promethea) résuma le départ de la fondatrice du label Vertigo il y a six ans, après trente ans au service de DC Comics. Pour faire court, mais en restant éloquent, sans Karen Berger, pas de V pour Vendetta (Alan Moore et David Lloyd), Sandman (Neil Gaiman), Preacher (Garth Ennis et Steve Dillon)ou Scalped (Jason Aaron et R.M. Guéra), pour n'en citer que quelques-uns (très peu en vérité). Sans Vertigo, en vérité, pas d'Image Comics tel qu'on le connaît aujourd'hui pour ses productions les plus prestigieuses, pas de collection de séries d'auteurs sur le marché U.S..

Karen Berger a été la gardienne d'un temple qui servait de refuge pour des artistes adultes trop atypiques et/ou complexes et qui ne s'inscrivaient pas dans le registre dominant des comics super-héroïques. Peter Milligan y créera Enigma avec Duncan Fegredo, Swamp Thing de Len Wein et Bernie Wrightson (puis bien d'autres créateurs à leur suite) y survécut, jusqu'à des titres politiques, sociales, religieuses, philosophiques comme DMZ de Brian Wood et Ricardo Burchielli ou Daytripper de Fabio Moon et Gabriel Ba.

Mais, en 2011, avec le reboot des "New 52", DC décide d'intégrer l'univers Vertigo à celui de ses héros classiques. Même si elle n'a jamais confirmé que ce choix éditorial l'avait assez contrariée pour motiver sa démission, Karen Berger n'a pas apprécié de voir Hellblazer ou Animal Man quitter son giron. 

Depuis, elle s'était faite très discrète, alors même que, sans elle, Vertigo sombrait lentement mais sûrement, notamment avec l'arrêt de séries-phares comme Fables (de Bill Willingham et Mark Buckingham) et la reprise d'Astro City (de Kurt Busiek et Brent Anderson) plombée par des retards chroniques. Image, en revanche, actait une nouvelle orientation, plus élitiste, en attirant des auteurs-stars de DC et Marvel, comme Brian K. Vaughan ou Ed Brubaker, aux commandes de leurs créations (Saga avec Fiona Staples, Fatale avec Sean Phillips), des best-sellers aux côtés du rouleau-compresseur The Walking Dead (Robert Kirkman + Charlie Adlard), aux faux airs de... Vertigo de la grande époque.

Pourtant, nul doute qu'avec une culture du métier et un carnet d'adresses comme le sien, Karen Berger finirait par revenir aux affaires avec éclat. C'est chose faite depuis le début 2018 qui l'a vue intégrer le staff de Dark Horse Comics et développer son propre label, sobrement intitulé "Karen Berger Books". Quelques annonces ont déjà été communiquées sur ses projets, mais celui qui a retenu le plus mon attention (et ça n'étonnera pas ceux qui me suivent sur ce blog), c'est la série à venir dès le mois d'Août prochain : The Seeds, par (rien moins que) Ann Nocenti et David Aja. En voici les premières pages dévoilées :





Je sais très peu de choses sur l'histoire, sinon qu'elle met en scène une journaliste (métier qu'a exercé Nocenti) rencontrant un extra-terrestre au cours d'un reportage. Mais pour quiconque a aimé ce que Nocenti a écrit pour Daredevil (dessiné par John Romita Jr et Al Williamson - un des meillleurs runs du titre) et ce qu'a dessiné Aja pour Hawkeye (écrit par Matt Fraction), le produit des efforts de ces deux noms a de quoi allécher, au moins autant que son mystérieux pitch et son éditrice-initiatrice.

"Comics need Karen Berger." JH Williams III avait raison. Mais elle est de retour, chez un éditeur en plein boum (grâce à Black Hammer et ses dérivés). Comme chantait Jacques Higelin, disparu aujourd'hui : Champagne !

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