samedi 17 mars 2018

BLACK PANTHER, de Ryan Coogler


Avec ses énormes recettes au box office, ses critiques élogieuses, Black Panther est devenu une sorte de phénomène dépassant la simple cadre d'une nouvelle production émanant des studios Marvel pour être un film-symbole sur l'afro-américanisme associé au folklore du super-héros. Pourtant, quand on découvre le long métrage de Ryan Coogler un peu de temps après sa sortie, de manière moins passionnelle, on s'aperçoit qu'il y a peut-être un malentendu, ou du moins une manière différente de l'apprécier, sans négliger ses défauts. Bref : de le voir comme un film et non comme un manifeste déguisé.

 Le prince T'challa (Chadwick Boseman)

Il y a plusieurs siècles, cinq tribus africaines fondèrent la nation du Wakanda dont la richesse résidait dans ses gisements de vibranium, un métal d'origines extra-terrestre. Jusqu'à ce que le prince Bashenga, guidé par une vision de la déesse Bast, découvre les propriétés de "l'herbe-coeur" et ne devienne le premier "Black Panther", défenseur de ce pays, unifiant quatre des cinq clans (le dernier préférant se retirer dans les montagnes). Au fil du temps, le Wakanda prospéra en gardant son secret.

Ulysses Klaue et Everett Ross (Andy Serkis et Martin Freeman)

Mais en 1992, à Oakland, le roi T'chaka tua son frère N'jobu qui déplorait sa politique isolationniste et son refus d'aider les minorités noires oppressées de par le monde, et plus spécialement en Amérique. Il laissait derrière lui un jeune orphelin, Eric, qui deviendra un mercenaire sanguinaire, avide de se venger.

Zuri (Forest Whitaker)

Après la mort de T'chaka, lors d'un attentat (relaté dans Captain America III : Civil War), son fils, le prince T'challa lui succède sur le trône. Il est couronné lors d'une cérémonie rituelle, où il boit une potion concoctée à partir de "l'herbe-coeur", et au terme d'un combat singulier avec un autre prétendant, M'baku.

Eric "Killmonger" Stevens et T'challa (Michael B. Jordan et Chadwick Boseman)

Cependant, le trafiquant d'armes Ulysses Klaue et Eric "Killmonger" Stevens dérobent dans un musée anglais un artefact wakandais. T'challa en est prévenu et part à la recherche des voleurs, promettant à W'kabi de ramener Klaue, responsable de la mort de sa famille. La vente de l'artefact se déroule à Busan, en Corée du Sud, dans un casino, au profit d'un agent de la C.I.A., Everett Ross. Mais la transaction dégénère quand T'challa, sa fiancée espionne Nakia et sa garde du corps Okoye, s'en mêlent. Klaue est arrêté et interrogé mais Eric organise son évasion, blessant au passage Ross que T'challa évacue au Wakanda pour le soigner.

M'baku (Winston Duke)

Eric tue Klaue et livre son cadavre à W'kabi en échange d'une alliance pour renverser T'challa, tandis que ce dernier apprend par le prêtre Zuri que le complice de Klaue est en vérité son cousin, N'jadaka, dont le père fut donc tué par T'chaka. Eric se présente avec W'baki au palais royal pour réclamer le trône. T'challa accepte de l'affronter pour en décider mais il est cette fois sévèrement battu et jeté du haut d'une falaise. Nakia évacue Ramonda, la mère du prince, et Ross, pour les mener chez M'baku à qui elle donne "l'herbe-coeur" contre son renfort pour renverser N'jadaka - mais il refuse et les conduit jusqu'à T'challa qu'il a recueilli et que la potion à base de "l'herbe-coeur" achève de rétablir.
  
Nakia, T'challa et Shuri (Lupita Nyong'o, Chadwick Boseman et Letitia Wright)

N'jadaka organise l'approvisionnement d'armes wakandaises dans divers pays pour déclencher sa révolution contre l'oppresseur blanc. Mais T'challa/Black Panther surgit alors pour contrarier son plan, avec la complicité de Ross, sa soeur Shuri (conceptrice des armes du royaume), Nakia et Okoye (dont les guerrières se retournent contre le nouveau roi). 

N'jadaka (Michael B. Jordan)

L'affrontement qui suit est aussi épique que disputé à cause des charges des rhinocéros par W'kabi. Mais la situation s'équilibre lorsque, finalement, M'baku et sa tribu se joignent au combat aux côtés des fidèles de T'challa. Ce dernier lutte contre N'jadaka dans la mine de vibranium et réussit à le désarmer puis à le blesser - il préfère mourir, en s'achevant, plutôt qu'être fait prisonnier.
  
Black Panther (Chadwick Boseman)

- Epilogue I : devant l'O.N.U., T'challa prononce un discours révélant le secret du Wakanda qu'il souhaite voir intégrer au concert des nations.

- Epilogue II : Shuri se rend dans un camp où Bucky Barnes sort d'une case. Il a été soigné de son conditionnement mental et est prêt à s'entraîner de nouveau, surnommé par les enfants, "White Wolf".

Récemment, les studios Marvel ont organisé une grande séance photo avec tous les comédiens de leurs films pour fêter les dix ans du Marvel Cinematic Universe : une occasion de mesurer l'ampleur prise par cette machine désormais parfaitement huilée et toute puissante, qui, avec deux à trois films par an, règne sur le box office mondial - alors même que Marvel comics traverse une crise éditoriale depuis plusieurs mois.

Cet événement ne consistait pas seulement en une démonstration de force (comme pour prouver sa supériorité affichée sur le DC Cinematic Universe, régulièrement étrillé par la critique et dont les résultats commerciaux font pâle figure - Black Panther avait remporté en quelque semaines plus d'argent que Justice League durant toute son exploitation en salles). Il s'agissait bien de marquer le coup pour un passage de relais en douceur que viendront entériner les sorties cette année et en 2019 les deux prochains opus consacrés aux Avengers : entre les personnages qui vont certainement être sacrifiés dans leur bataille contre Thanos (et donc le retrait d'acteurs les incarnant) et ceux amenés à représenter leurs successeurs (pour une nouvelle "Phase" de longs métrages), le cliché fixait en même temps les anciens, les pionniers, et les nouveaux, les héritiers.

Après Dr. Strange, Ant-Man, ou le retour dans le giron de Marvel studios (à la faveur d'un accord avec Sony pictures) de Spider-Man, et avant Captain Marvel (et sans doute d'autres), Black Panther apparaissait comme le relais puissamment symbolique vers cette nouvelle époque. Pensez donc : pour la première fois, on allait assister aux aventures d'un justicier noir, en Afrique, mises en scène par un réalisateur noir, avec un casting à 90% noir. Mais au-delà de cette promotion, quid du film ?

En fait, il y a comme qui dirait deux films en un, et c'est davantage un souci qu'une qualité. Le premier déroule son intrigue du début jusqu'à la défaite de T'challa contre Eric "Killmonger Stevens/N'jadaka. Il y règne, c'est le cas de le dire, une ambiance à la James Bond avec une histoire d'artefact volé, de secret familial bien caché, de légitimité à régner, de vengeance, de promesse amicale non tenue et d'alliance décisive. Et c'est fort plaisant, car très rythmé, spectaculaire.

Le film abonde en beaux et bons moments, avec quelques vrais pics, comme l'ouverture résumant le passé du Wakanda (avec des animations superbes), un flash-back vite expédié mais fondateur et tragique, l'intronisation de T'challa au terme d'un duel avec M'baku (le colossal Winston Duke en impose fabuleusement, mais trop brièvement...), le vol de l'artefact. Puis intervient une séquence folle à Busan dans un casino avec un règlement de comptes qui se prolonge dans les rues de la ville de Corée du Sud grâce à une course-poursuite trépidante. L'arrestation de Klaue, son interrogatoire, son évasion, l'évacuation de Ross, le pacte entre "Killmonger" et W'baki, le défi lancé à T'challa et donc sa défaite forment un bloc compact, toujours aussi échevelé, grisant.

Le scénario de Ryan Coogler et Joe Robert Cole fait alors un pari audacieux mais dont le film ne se relèvera pas : faire disparaître totalement Black Panther de son propre récit pendant un long moment, avant, évidemment, de le faire revenir pour le dénouement.

Ce qui suit, sans être non plus accablant, donne la furieuse impression qu'en plus d'avoir été trop nettement coupé en deux, le long métrage n'arrive pas à rebondir sur son pari narratif. Le deuxième acte n'est alors plus qu'une banale affaire de retour, de revanche, dont l'issue est sans surprise, sans même du suspense. Et, pire que tout, éclairant, a posteriori, des soucis déjà présents dans le premier acte mais habilement occultés par le rythme soutenu.

Il suffit d'un exemple pour souligner ce qui ne fonctionne pas/plus : lorsqu'il est fait roi, T'challa est défié par l'imposant M'baku (au passage, très intelligemment réinventé par rapport aux comics dans lequel il figurait un caricatural homme-singe, dont la connotation raciste ne passerait plus aujourd'hui). Il le vainc, difficilement, mais sans discussion. Lorsque T'challa est à nouveau défié par N'jadaka, même si ce dernier a été entraîné dans l'armée, et commis des massacres sur des théâtres de guerre divers, donc représente un adversaire coriace, malgré toutes les grimaces carnassières (et la coiffure ridicule) de Michael B. Jordan, on a du mal à croire qu'il va poser plus de problèmes à Black Panther dopé par "l'herbe-coeur"... Mais on a tort car il lui assène des blessures multiples, une correction sévère avant de le jeter à bout de bras du haut du cascade ! Soit "l'herbe-coeur" marche moins bien, soit N'jadaka est plus fort que M'baku (ce qui paraît hautement improbable quand on voit Winston Duke), mais enfin, bon, le coup de théâtre est si grossier qu'il nous fait sortir du film.

Peu importe ensuite si T'challa n'est évidemment pas mort, comment il parvient à vaincre N'jadaka, à renverser presque tout seul les alliés de son adversaire (grâce aux propriétés de son costume absorbant l'énergie cinétique et de l'expulser ensuite... Mais aussi grâce aux renforts de Nakia, sa fiancée super-espionne - à laquelle la belle Lupita Nyong'o donne tout ce qu'elle peut -, sa soeur Shuri - super-scientifique et guerrière qui permet surtout à Letitia Wright de cabotiner de façon horripilante - et Okoye - sorte d'amazone renfrognée à laquelle Danai Gurira prête son charisme)... On sait comment tout cela va se finir : de la façon la plus convenue, prévisible, linéaire et paresseuse au possible - et avec un rythme sérieusement déclinant qui fait bien sentir que 135 minutes pour tout ça, c'est bien trop.

J'aurai aimé aimer davantage Black Panther : pour Chadwick Boseman, très sobre et classe ; Angela Bassett et Forest Whitaker, majestueux (moins pour Martin Freeman dont le rôle aurait pu être effacé sans que cela ne dérange, ou Andy Serkis grimaçant à l'excès). Ryan Coogler est un metteur en scène indéniablement prometteur, qui sait faire vivre ses personnages sans en faire seulement des symboles sur pattes, et s'arrange des effets propres à ce cinéma (avec des idées visuelles séduisantes et intenses), plus que pour sa rigueur de scénariste.

Mais en l'état, si l'on veut estimer honnêtement le résultat et sortir des discours idéalistes sur la révolution culturelle qu'est censé matérialiser le film, Black Panther est un Marvel movie mineur, trop long, à la narration bancale, et qui, après Les Gardiens de la galaxie, volume 2 et Thor : Ragnarok, n'a que pour vrai mérite de souligner notre excitation avant la sortie en Avril de Avengers : Infinity War.  

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