lundi 26 février 2018

KICK-ASS #1, de Mark Millar et John Romita Jr.


Après avoir consacré trois volumes à Dave Lizewksi, le premier héros-titre de Kick-Ass, Mark Millar inaugure un nouveau cycle avec un nouveau personnage qui redéfinit et renouvelle le concept de "real-life super-hero". L'entreprise pourrait paraître opportuniste, mais le scénariste, qui retrouve pour l'occasion John Romita Jr., co-créateur et dessinateur de la série, nous entraîne dans une direction qui sans renier la première version propose vraiment autre chose.


Qui est donc cette femme qui a décidé de reprendre le pseudonyme, le masque et la tenue de Kick-Ass à Albuquerque, Nouveau-Mexique ? A priori une amatrice puisqu'elle se fait surprendre par les gardiens d'une boîte de nuit puis conduire devant le patron peu commode de l'établissement autour duquel elle rodait...


... Sauf qu'en vérité Patience Lee servait, quelques semaines auparavant, comme G.I., en Afghanistan. Elle y a terminé son temps en sauvant deux amis soldats aux mains de terroristes en attendant les renforts et une évacuation aérienne.


De retour aux Etats-Unis, elle est accueillie en héroïne par sa famille et ses deux enfants, Grace et Jordy. Mais quand Patience demande où est son mari, Frankie, elle apprend qu'il l'a quittée pour une certaine Raven, direction Las Vegas.


Ses déconvenues ne s'arrêtent pas là : elle ne décroche qu'un minable job de serveuse dans un rade pour subsister, refusant l'offre de Maurice, son beau-frère, de travailler dans un club louche. Et elle découvre ensuite que Frankie l'a laissée avec des dettes exorbitantes.


C'est donc ainsi qu'elle prend l'initiative de devenir la nouvelle Kick-Ass et de dévaliser un night-club de mauvaise réputation. Elle se laisse délibérément capturer par les vigiles pour atteindre le propriétaire, neutraliser sa garde rapprochée et lui soutirer son fric - pas seulement pour elle mais aussi pour tous ceux qui, comme elle, dans son quartier, sont les oubliés de l'administration Trump !

On aurait tort de réduire cette nouvelle incarnation de Kick-Ass au fait qu'il s'agit d'une héroïne afro-américaine et non plus un adolescent blanc, même s'il est évident que ce choix n'a rien d'innocent de la part de Mark Millar. La charge qu'il adresse au gouvernement Trump (mais qui peut s'appliquer aux précédents présidents américains ayant délaisser les soldats de retour du front) n'est pas subtile mais transforme la mission même du personnage-titre.

Dave Lizewski était l'archétype de l'ado mal dans sa peau, victime de brimades au collège, fantasmant sur une camarade, élevée par une mère absente, sans référent paternel, jusqu'à ce qu'il s'engage dans une quête insensée : appliquer la justice dans le rues. Une correction sévère et un accident plus tard, il devenait insensible à la douleur mais pas davantage prêt à mener son combat et sa rencontre avec deux vigilants professionnels (dont la fillette Hit-Girl) le précipitera dans une guerre contre la pègre puis dans dans une société parallèle de justiciers aux méthodes et objectifs divers.

Patience Lee n'est pas du même bois : effectivement, c'est une femme, noire, et adulte, mère de famille et mariée. Mais cette fois, c'est une guerrière aguerrie, militaire de formation, ayant servie sur des théâtres de guerre dangereux. Elle devient Kick-Ass par nécessité, endettée, abandonnée par son époux, oubliée malgré ses brillants états de service par le gouvernement. Sa soif de revanche teinte son désir de justice d'une coloration propre.

A une lettre près, il est facile de confondre, dans le feu d'une discussion animée (comme l'écossais sait en susciter), Millar et (Frank) Miller. Cette nouvelle version de Kick-Ass fournira sûrement quelques confusions supplémentaires tant on pense immédiatement à Martha Washington, l'héroïne de Liberty (dessiné par Dave Gibbons... Le partenaire de Millar sur Kingsman : The Secret Service ! Le monde est petit...), elle aussi femme, noire, issue d'un milieu défavorisé, officier de l'armée, animée par un besoin de reconnaissance (pour elle et sa communauté ethnique et sociale). Mais la comparaison s'arrête là car cette série ne verse pas dans la dystopie, bien ancrée dans la réalité et l'époque.

En revanche il est troublant (même si les deux projets ne peuvent être suspectés de plagiat, mais plutôt de puiser à la même source, celle de Liberty justement) de lire ce numéro 1 juste après le premier épisode de The Silencer (écrit par Dan Abnett, publié chez DC Comics), qui anime une héroïne black experte dans le maniement des armes.

Le rapprochement est d'autant plus piquant que les deux séries sont dessinées par John Romita Jr. ! L'artiste a cependant déjà réalisé les trois premiers épisodes de The Silencer pour lesquels il s'était engagé avant de retrouver Mark Millar, mais on trouve les deux titres en kiosques simultanément.

La différence de qualité graphique entre les deux travaux est éloquente et prouve que Romita Jr. a avec Millar un auteur qui sait bien mieux tailler son script pour lui que Dan Abnett. Le dessinateur, plus "Kirby-esque" que jamais, a besoin d'espace pour s'exprimer et s'épanouir, ce dont il ne dispose pas sur The Silencer, alors que dès les premières pages de Kick-Ass, on mesure son aisance avec ce qu'il illustre (sans doute aussi parce que cet univers lui est plus familier).

Lorsqu'il met en scène le sauvetage opéré par Patience Lee en Afghanistan ou le tabassage en règle, précis et brutal, contre les vigiles du night-club, Romita Jr. est vraiment dans on élément, mais il compose aussi bravement les scène d'exposition, en sachant y glisser une tension constante (dans la relation de Patience avec Maurice par exemple).

L'autre nouveauté en pratique sur ce Kick-Ass, c'est que JR Jr. n'est plus encré par ses fidèles Klaus Janson ou Tom Palmer (ni les différents partenaires qui lui ont été attribué chez DC comme Danny Miki, Richard Friend, Sandra Hope). Place à Peter Steigerwald et un encrage digitale très fin, discret, et sa mise en couleurs quasiment directe (la même méthode employée par Frank Quitely et Dave Stewart) : le résultat fait un bien fou au trait de l'artiste, qui gagne en légèreté, en vivacité, d'autant que la palette utilisée privilégie des teintes presque pastel, loin des couches épaisses d'un Dean White (qui a longtemps, ces dernières années, assisté Romita Jr.).

Avec son héroïne revancharde, aux motivations dignes de Robin des bois, mais capable de botter les culs avec énergie, cette nouvelle ère qui s'ouvre pour Kick-Ass a tout d'une cure de jouvence.      

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